Suite de notre série de reportages sur la frontière éthiopie-érythréenne. Depuis le 11 septembre dernier et la réouverture de la frontière terrestre entre les deux voisins, les affaires reprennent dans les villes frontalières éthiopiennes, comme Zalambessa. Cette ville martyre avait été en grande partie détruite par la guerre qui a opposé les deux voisins de 1998 à 2000 pour un différend frontalier. Depuis six mois, Zalambessa, ville de 16 000 habitants entourée de villages érythréens, revit.
De notre envoyée spéciale à Zalambessa,
Sous un beau soleil, les marchandises sont posées à même le sol sur de grandes bâches: ici des jeans et des pulls, là des récipients en terre cuite pour le café, des plateaux pour la traditionnelle galette de tef, mais aussi des bassines en plastique de toutes les tailles, du savon, du liquide vaisselle, des épices ou des légumes, tout y est . Entre les étals, le marché bruisse de monde, et c’est nouveau : « Avant il n’y avait que deux ou trois vendeurs ici, maintenant on en a même qui viennent d’Adigrat pour vendre », explique une vendeuse de vêtements.
Depuis l’ouverture du poste-frontière de Zalembessa, le 11 septembre dernier, les Erythréens viennent en nombre faire leurs courses dans la petite ville éthiopienne, moins chère du fait d’un taux de change avantageux. Et même si le poste-frontière a été officiellement refermé par Asmara en décembre, les villageois des environs continuent de traverser en contournant le poste-frontière et les militaires érythréens, comme le confirme Mebrit, un fichu serré autour de ses cheveux pour se protéger du soleil. « Les Erythréens achètent tout », s’exclame-t-elle du sourire de la vendeuse satisfaite.
Depuis septembre, elle vend deux à trois fois plus. « Mes châles, mes bassines en plastique, je vends tout et comme ça je peux acheter des légumes et ce dont j’ai besoin », raconte-t-elle, avant d’ajouter « et surtout on a la paix ! » Cette paix, les habitants de Zalambessa se délectent de l’avoir retrouvée. « Maintenant la nuit on peut dormir », confie une cliente, agenouillée par terre en train de choisir une Netalla, le châle traditionnel blanc. « On est plus stressés, avant on s’inquiétait qu’il puisse y avoir une attaque. Ou alors on était réveillés par les tirs des militaires sur les personnes qui tentaient de passer clandestinement. »
La ville se reconstruit
Chacun y va de son exemple, mais le changement se voit à l’œil nu. La petite ville qui porte encore les stigmates de la guerre se reconstruit à vitesse grand V depuis septembre. Aux bâtiments détruits qui bordent la rue principale se mêlent désormais des hôtels en construction. Quelques Erythréens sont revenus récupérer leur habitation d’avant la guerre. L’un d’entre eux a ouvert un restaurant. Le long de l’avenue qui traverse le village, des petites terrasses servent désormais le café. Sur le marché, chaque étal est occupé. Vêtements, savons, les paniers se remplissent vite.
Une vieille dame en robe blanche traditionnelle et son mari sont justement venus d’Erythrée choisir des jeans pour leurs enfants. « Elle, elle est Ethiopienne, moi je suis Erythréen », explique le retraité, chapeau sur la tête et costume du dimanche. « Pendant 22 ans, ma femme a été séparée de sa famille ! 22 ans, on les a comptés », insiste-t-il. Depuis que le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed et le président érythréen Isaias Afwerki ont foulé les 200 mètres qui séparent les deux pays et les deux lignes de front où, pendant dix-huit ans, les soldats éthiopiens et érythréens se sont regardés en chiens de faïence derrière leurs murets de pierre, tout a changé. « Ce 11 septembre, c’était le plus beau jour de ma vie », confie sa femme.