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[Reportage] Inda Aba Guna, la jeunesse érythréenne sur la route de l’exil

Suite de notre série de reportages sur la frontière éthio-érythréenne. Effet secondaire de la réouverture de la frontière entre les deux pays en septembre dernier, selon les autorités éthiopiennes, près de 30 000 Erythréens ont demandé l’asile chez leur voisin éthiopien. Dans le Tigré, dans le nord-est du pays, le poste-frontière de Zalambessa est de nouveau fermé depuis décembre, mais chaque jour entre 200 et 250 personnes arrivent tout de même au centre d’Inda Aba Guna, à une centaine de kilomètres à vol d'oiseau de la frontière, où ils sont enregistrés avant d’être transférés vers l’un des quatre camps de réfugiés de la zone. Ces derniers mois, de plus en plus de mineurs traversent seuls la frontière.

De notre envoyée spéciale à Inda Aba Guna,

Des bouteilles d’eau passent de main en main. Des paquets de biscuits aussi. A l’intérieur du bus aux rideaux satin et plafond orange, il n’y a que des enfants. Il fait chaud, tout le monde est en débardeur et short, mais l’ambiance n’est pas à la sortie de classe. Les regards sont sérieux, silencieux.

Installé tout à l’avant du bus, Samuel a traversé la frontière avec son copain Hirob en rentrant de l’école quatre jours plus tôt, sans rien dire à ses parents du haut de ses douze ans. « Tous nos amis sont partis, il n’y a plus personne là-bas », justifie Samuel d’une voix de petit garçon. « Avec qui va-t-on jouer ou passer le temps ? Donc on a décidé de partir aussi ! » Son copain Hirob, assis juste derrière lui, 13 ans renchérit. « Tous les jours, j’avais des copains qui m’appelaient et me demandaient : mais qu’est-ce que tu fais ? Quand est-ce que tu viens en Ethiopie ? Alors on est venus. »

Carte d’Inda Aba Guna. © RFI

Originaires d’un village près de la frontière Samuel et Hirob ont marché quatre heures depuis chez eux avant d’atteindre le poste-frontière de Rama. « Une fois à la frontière, on a fait un petit détour pour éviter que les militaires qui étaient au niveau du bureau de poste nous voient, car sinon ils nous auraient renvoyés », poursuit Hirob comme s’il racontait son parcours pour aller acheter du pain, concédant concédant juste avoir eu « un petit peu peur. »

« Pour ces enfants de la région frontalière, traverser n’est pas très compliqué », explique un employé de l’agence éthiopienne qui gère les réfugiés. « A la moindre contrariété ou dispute avec leurs parents, ils filent, maintenant qu’ils ne risquent plus de se faire tirer dessus en passant la frontière, c’est presque comme de se rendre dans le village d’à côté. »

180 mineurs en une seule journée

Reste que cet exode au compte-gouttes est impressionnant. Ce jour-là, ils sont 26 mineurs dans ce bus, 180 répartis dans trois autocars qui se rendront dans l’un des quatre camps de réfugiés de la zone du Tigré où se trouve généralement un frère ou un cousin. Un enfant, une feuille A4, dans la main demande si c’est bien cet autocar qui va au camp de Hitsats (l’un des quatre camps de réfugiés). Sur sa feuille d’enregistrement du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) est indiquée sa ville d’origine Kafna, une ville proche de la frontière avec l’Ethiopie, et sa date de naissance : 05 février 2009. Il vient d’avoir dix ans.

« La plupart de ceux qui viennent sans leurs parents ne préfèrent ne rien leur dire pour ne pas les mettre en danger », explique Berhane Negus, employé de l’Organisation internationale pour les migrations (IOM) et chargé d’accompagner les 180 enfants dans le camp de réfugiés à une cinquantaine de kilomètres de là. « Même si la frontière est fermée, ils viennent à travers champs, ils savent comment traverser. Combien il en arrive ? Tous les jours, trois bus, quatre bus », raconte le responsable à la veste bleue.

Les réfugiés en Ethiopie. © RFI

Un nouveau bus arrive depuis la frontière. A son bord, trente-huit personnes, quasiment que des femmes et des enfants. Pas de bagages, à peine quelques balluchons. « J’avais déjà tenté de traverser deux fois [avant la paix avec l’Erythrée] », raconte une jeune mère de famille, les cheveux enveloppés dans un grand châle. « J’ai même atterri en prison. Cette fois, je suis venue avec mes deux enfants. » Installés à côté d’elle, ses deux enfants ont trois et six ans. Un sac à dos contient l’essentiel. « Je devais porter ma fille donc je n’ai pas voulu me charger », raconte encore la mère qui a marché quatre heures avec des voisins à travers champs pour rejoindre l’Ethiopie. Son mari est en Allemagne depuis trois ans, « étudiant ». Elle compte le rejoindre.

Tous rêvent d’une vie meilleure

Le petit centre d’enregistrement d’Inda Aba Guna, deux maisons avec bureaux et une grande cour intérieure, grouille de monde. Sous un préau, sur une dizaine de bancs placés les uns derrière les autres, les derniers arrivés patientent devant une télé qui diffuse des clips de musique traditionnelle. Un peu plus loin, une trentaine d’enfants fait la queue sagement, le temps d’obtenir un ticket-repas. Ensuite viendra le tour des femmes et puis des hommes, les moins nombreux. Les yeux se détournent dès qu’on tente de poser des questions. Un jeune homme refuse de parler au micro, mais fait des gestes. Il passe la main sur son front, mimant la fatigue, puis croise les poings devant lui pour signifier l’absence de liberté dans le pays qu’il vient de quitter.

L’Erythrée est depuis longtemps critiqué par les organisations de défense des droits humains pour le recours à la détention arbitraire, la disparition d’opposants et la restriction des libertés d’expression et de religion. La perspective d’être enrôlé à vie dans un service militaire obligatoire, jusque-là justifié par la menace du voisin éthiopien, a poussé une grande partie de la jeunesse sur la route de l’exil. Pour l’heure, l’accord de paix entre les deux pays n’a pas fait changer d’avis les candidats au départ, au contraire. Sauf que désormais ce sont les femmes, les jeunes filles et les garçons mineurs qui sont les plus nombreux, 90% de ceux qui viennent demander l’asile en Ethiopie, selon l’agence de réfugiés éthiopienne.

Un fichu rose sur la tête, une jeune femme vient de s’asseoir sur l’un des derniers bancs de libre avec son amie. Elle dit avoir 18 ans. « J’ai fait comme si j’allais à l’école, raconte-t-elle, puis j’ai traversé » [la frontière]. Quand on lui demande pourquoi, elle baisse les yeux, avant de lâcher : « En Erythrée, il n’y a plus rien ; là-bas, je pouvais être bergère c’est tout ! Moi je veux faire des études ! » Une fois ses papiers éthiopiens en poche, la jeune fille compte étudier la religion.

Tous rêvent d’une vie meilleure tout en regrettant d’avoir été obligés de quitter leur pays d’origine. « En venant ici, je veux m’aider moi, ma famille et mon pays ; Et faire des études », raconte ainsi Samuel dans son bus, sur le point de prendre la route. Avec pour objectif souvent, rejoindre un membre de leur famille qui est déjà en Europe.

Dates clés du conflit entre l’Erythrée et l’Ethiopie. © RFI

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