Les crises postélectorales ont conduit à un bicéphalisme de forme ou de fond à la tête de certains pays africains.
« Je suis le seul et unique président de la République ». Cette expression a été entendue à plusieurs reprises alors que deux candidats au lendemain d’une élection présidentielle réclamaient la victoire.
Les crises postélectorales en Afrique naissent dans un contexte politique et électoral marqué par une crise de confiance entre les acteurs politiques.
L’opposition conteste généralement la composition de la Commission électorale flanquée la plupart du temps de la notion « indépendante ».
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Cette indépendance est remise en question lorsque les hommes et les femmes qui la composent sont jugés proches du pouvoir.
A cette première cause de suspicion s’ajoute généralement ce que l’opposition appelle la « machine à frauder ».
Il s’agit de manœuvres orchestrées généralement par la majorité au pouvoir, selon les partis d’opposition, pour s’assurer un vote massif et elles prennent diverses formes.
Par exemple, au Sénégal, l’opposition dénonce les « retards » dans la distribution de cartes d’identité et des cartes d’électeur dans ses bastions au-delà du fait que le pouvoir a écarté ses principaux ténors.
En République démocratique du Congo, c’est l’introduction du vote électronique qui est considérée comme la « machine à frauder » du camp Kabila.
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En Côte d’Ivoire, des accusations de distribution de cartes d’identité à des non-nationaux fusent déjà avant la présidentielle de 2020.
Après les cas de fraudes présumées ou réelles, le contrôle de la dernière instance chargée de trancher en cas de contentieux est indispensable : la Cour suprême ou le Conseil constitutionnel.
C’est à ce niveau que la rupture s’opère pour de bon et que les tensions s’enracinent entre pouvoir et opposition.
La bataille Kenyatta– Odinga
L’Afrique retient son souffle chaque fois que Raila Odinga et Uhuru Kenyatta doivent s’affronter. Les joutes électorales entre les deux hommes débouchent bien souvent sur des violences meurtrières.
En 2008, le premier face-à-face entre les deux hommes ont conduit à la mort de plus de 1.500 personnes et fait 300.000 déplacés.
En 2017, alors que Uhuru Kenyatta prêtait serment, son éternel rival affirmait : « Je suis le président légitime. » M. Odinga appelait à une campagne de désobéissance civile.
Il ira jusqu’à prêter serment et présenter devant « le peuple » les grandes orientations de sa politique.
Finalement, une réconciliation inattendue entre les deux hommes en mars 2018 va permettre au Kenya de se retrouver avec un seul président.
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Gbagbo sorti sous les bombes
La Côte d’Ivoire divisée par une guerre civile et contrôlée au nord par une rébellion engage un processus électoral sans désarmement.
Les élections se déroulent dans un contexte tendu et marqué par des violences. Lorsque la Commission électorale déclare Alassane Ouattara vainqueur, la majorité présidentielle dénonce un faux résultat annoncé depuis le siège de campagne d’un candidat.
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Le Conseil constitutionnel proclame Laurent Gbagbo vainqueur, mais le certificateur des élections (ONU) entérine la victoire d’Alassane Ouattara.
Malgré les médiations de la CEDEAO et de l’Union africaine, la crise s’enlise et débouche sur un affrontement armé qui fera 3.000 morts.
Laurent Gbagbo est sorti de son bunker après un intense bombardement de l’armée française. La Côte d’Ivoire se retrouve avec un seul président après la prestation de serment d’Alassane Ouattara.
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Jean Ping, toujours président
Le Gabon a toujours deux présidents ou un, selon la perspective politique dans laquelle on analyse la situation du pays.
Il y a ceux qui ne reconnaissent que le pouvoir exercé par Ali Bongo et ceux qui sont toujours convaincus que leur champion – Jean Ping – est le vrai président du Gabon.
Dans ce petit pays d’Afrique centrale riche en pétrole, l’opposant Jean Ping revendique encore aujourd’hui le statut de chef d’Etat du Gabon.
Il a adressé un message à la nation comme tous les présidents en début d’année et insistant sur l’unité du peuple.
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« Le devoir nous commande de mettre de côté les petits calculs politiciens pour nous rassembler autour de l’idéal commun. Cet idéal a été clairement défini le 27 août 2016, lorsque vous m’avez majoritairement élu par les urnes », a déclaré Jean Ping.
Ces partisans l’appellent « Monsieur le président », mais la première tentative de coup d’Etat dans le pays ne visait pas à le renverser lui.
C’était le fauteuil occupé par son rival, Ali Bongo, qui était visé, et c’est ce dernier qui est officiellement président du Gabon.
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Maurice Kamto dans l’ombre de Biya
Le processus électoral au Cameroun s’annonçait mouvementé avec de fortes contestations et une volonté apparente de tourner la page Paul Biya, actuel recordman africain de longévité au pouvoir.
Les vieilles recettes qui ont permis à Paul Biya de se maintenir au pouvoir fusent sous fond d’ironie dans les capitales africaines.
« Le vieux a l’art d’inverser les résultats des élections et de se choisir lui-même ses opposants », ironise un quotidien satirique ivoirien.
Mais pour ces dernières élections, l’opposant ne s’est pas laissé choisir : Maurice Kamto veut en finir avec « le grand-père ».
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Les élections vont se tenir sous fond de contestation : l’opposition dénonce des fraudes massives. Aussi lorsque le Conseil constitutionnel valide la victoire de Paul Biya, le camp Kamto crie au hol-up électoral, au braquage des urnes.
Les appels de l’opposition en faveur d’une reprise de l’élection présidentielle ont été rejetés par le Conseil constitutionnel.
Maurice Kamto tente de perturber la prestation de serment de son rival, mais il est très vite ramené à l’ordre et assigné à résidence pendant que ses partisans sont conduits en cellule.
M. Kamto dirige « son » Cameroun à lui et Paul Biya « son » Cameroun, les deux hommes ne sont pas sur le point de fumer le calumet de la paix.
Un successeur pour Kabila
En raison de la taille de la République démocratique du Congo, deux présidents pourraient sans doute diriger le pays, mais la Constitution congolaise ne le prévoit pas.
Pour la première fois dans le pays, deux opposants se disputent le fauteuil présidentiel sous le regard silencieux – ou complice – de la majorité présidentielle.
Pour la CENI et le Conseil constitutionnel, c’est bien Félix Tshisekedi le président de la RDC, mais selon des documents qui auraient fuité de la CENI, et selon les rapports de la CENCO (Conférence épiscopale nationale du Congo), Martin Fayulu aurait gagné les élections.
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M. Fayulu dénonce un « coup d’Etat constitutionnel » et se « considère désormais comme le seul président légitime de la République démocratique du Congo ».
« Dès lors, je demande au peuple congolais de ne pas reconnaitre tout individu qui se prévaudrait illégitimement de cette qualité, ni d’obéir aux ordres qui émaneraient de lui ».
Si les deux opposants ne trouvent pas un accord, un bicéphalisme de forme ou de fond pourrait conduire la RDC à avoir aussi deux présidents.
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