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Rwagasore : le dernier et grand procès des assassins du Fils du Mwami

Après plusieurs confrontations juridico-diplomatiques, le cas Rwagasore prend fin un matin du 15 janvier 1963 par la pendaison des principaux accusés. Dernier épisode sur la mort de Rwagasore et la saga juridique qui s’en est suivi.

Reclus dans sa cellule, Kageorgis écrit une lettre à ses parents. Il leur fait ses adieux. La grâce qu’il a demandée au roi des Belges lui a été refusée. Nous sommes le 29 juin 1962. Le lendemain, à l’aube, plus précisément à 6 heures 22 minutes, le peloton commandé par le sous-lieutenant Kamuraru exécute le Grec de 30 ans.

Le sort du tireur du 30 juin est scellé. Celui de ses coaccusés ne l’est pas encore. De fait, le 2 juillet, au lendemain de la déclaration de l’indépendance, le gouvernement burundais réaffirme le rejet du premier verdict. Les sentences sont considérées purement et simplement comme nulles et non avenues. 

Cette attitude ne plaît pas du tout aux autorités belges. Paul Henri Spaak, ministre des Affaires étrangères, notifie à Edouard Henniquiau, ambassadeur du royaume de Belgique au Burundi que «  si le gouvernement d’Usumbura refait le procès, la Belgique va revoir son assistance technique au Burundi.»

Les Burundais ne changent pas de cap, malgré les menaces. Dans la soirée du 19 septembre, le Mwami signe un arrêté créant la Cour de cassation. « Cette cour permet au Ministère public, aux prévenus, ou à la partie civile d’attaquer l’arrêt du 7 mai (la première sentence) par un pourvoi », fait savoir Henniquiau à Spaak. La Belgique rétorque : le 21 du même mois, le Conseil des ministres décide d’arrêter l’assistance technique. 

Quand Muhirwa, ministre de l’Intérieur burundais, demande de rencontrer Spaak pour discuter des futures relations belgo-burundaises, le spectre du procès s’invite. Le diplomate belge n’y va pas par quatre chemins : « Je crains que cette entrevue ne soit pas très utile si la question du procès n’est pas réglée », répond-il.

Le dernier procès…

Dans le combat pour refaire le procès, Katikati Félix, Ngunzu Pierre et  Ngendandumwe Pierre se lancent à la recherche d’un avocat de grande envergure. Ils le trouvent en la personne de Jules Chromé. 

Ce dernier sera d’une grande importance surtout quand la Commission Internationale des Juristes basée à Genève trouve des poux à certains détails du procès. Ils fustigent par exemple la tenue rudimentaire des accusés, la présence des jurés qui somnolent en pleine séance et qui ne comprennent pas le français. 

Me Chromé répond que « sous un climat tropical, le singlet et un short peuvent constituer l’uniforme de prisonnier ». Quant aux jurés qui ne maîtrisent pas la langue de Molière, il avance le recours à la traduction. Et pour couronner le tout, il demande pourquoi, Me Razafintsambaina, un juriste malgache envoyé par la Commission Internationale des Juristes « ne devrait pas se focaliser sur les violations de droits de l’Homme majeurs qui se commettent dans son île. » 

Le vingt-septième jour de novembre les jurés demandent que les accusés soient sanctionnés ainsi : condamnation à mort pour Birori Joseph, Ntidendereza Jean-Baptiste, Nahimana Antoine, Ntakiyica Jean et Iatrou Michel,  la prison à vie pour Ntakiyica Henry et une réclusion de dix ans pour Archianotis Liverios.

…et l’activation de la machine diplomatique par la Belgique pour le revoir

La Belgique ne veut pas s’avouer vaincue. Elle joue la carte de la diplomatie. Une occasion en or se présente. Le Mwami va effectuer une visite d’État au Saint Siège du 15 au 18 décembre 1962. Bruxelles, par le biais du baron Poswick,  ambassadeur de Belgique auprès du Vatican, demande aux proches du Cardinal Cicognagni, secrétaire d’État du Vatican d’alors, de faire un lobbying auprès du roi. Avec comme objectif, accorder la grâce aux condamnés à mort. 

Les prélats se montrent évasifs et informent aux Belges que « le roi s’est montré sensible aux considérations développées et, sans prendre d’engagements, a paru disposé à faire un geste. »

La même démarche avait connu le même sort quand la Belgique avait demandé aux autorités néerlandaises et françaises lors des visites ultérieures de Mwambutsa dans ces deux pays. Mais le père du héros de l’indépendance n’a pas bougé d’un iota. « La Belgique a été prévenue à temps et à plusieurs reprises que le procès serait rouvert, parce que les véritables coupables ont échappé à la punition lors du premier procès », a répondu Mwambutsa en visite à La Haye.

L’ancienne puissance tutélaire se tourne alors vers ses alliés africains. La première préférence va aux francophones. La main invisible de la France derrière, on s’en doute. Le Gabon et Madagascar demandent aux pays africains de faire pression sur le Burundi. Les pays du Maghreb, le Cameroun et le Congo Brazzaville s’exécutent. Les Sénégalais refusent, « nous estimons que c’est une affaire intérieure », avancent-ils.

Le voisin d’outre-Malagarazi, par la personne de Julius Nyerere, un ami personnel de Rwagasore, rejette également la demande d’intervention que lui adressent les autorités belges. « Le premier ministre du Tanganyika estime que le procès d’Usumbura est une affaire intérieure burundaise dans laquelle le gouvernement du Tanganyika ne peut pas intervenir », notifie Rittweger de Moor, ambassadeur de Belgique à Dar es Salam à ses supérieurs.

In fine, les condamnés à mort sont pendus au stade de Kitega, au matin du 15 janvier 1963 devant une foule évaluée à dix mille personnes. Ce dernier acte clôt un long feuilleton de bras de fer entre le Burundi et la Belgique sur le cas du traitement des protagonistes dans l’affaire Rwagasore.

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