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« Chroniques des Grands Lacs » ou les mots sur les maux

Dans le recueil de nouvelles « Chroniques des Grands Lacs », les auteurs mettent les mots sur les maux de la région. L’exil, la haine, les conflits ethniques, tout y passe. 

Les Chroniques des Grands Lacs (Editions Sépia, 2019) s’ouvrent sur un excellent texte mi-prose mi-poésie de Rivardo Niyonizigiye. Rivardo se met dans la peau d’un réfugié burundais, sans-papier en France, qui se fait arrêter et qui, du fond de sa cellule, tenaillé par la solitude et l’humiliation, commence à rêver de la beauté du Burundi. Il rêve qu’il est en train de retourner au paradis perdu du Burundi, où le soleil brille tout le temps, où l’on mange de l’Umusoma et l’on joue de l’Inanga… Mais au moment où il s’apprête à descendre à l’Aéroport de Bujumbura (« Quel bonheur de rentrer chez soi ! »), boum ! Il se réveille. Ce n’était qu’un cauchemar ! 

Burundi-Rwanda : l’exil croisé

L’exil semble être un des thèmes communs des auteurs du Burundi et du Rwanda dans ce recueil de nouvelles qui comprend aussi des plumes de la RDC. Les Burundais racontent leur exil au Rwanda, et les Rwandais racontent le leur au Burundi. Comme on a tendance à l’oublier trop vite, ce recueil nous le rappelle : le Burundi a accueilli les réfugiés rwandais bien avant que des Burundais n’aillent chercher refuge au Rwanda. 

C’est ainsi qu’on lit avec plaisir et curiosité les aventures des réfugiés rwandais au Burundi dans le texte « Une exilée qui n’est jamais rentrée » de Désiré Bigirimana. Un texte qui a de quoi satisfaire la curiosité des voyeurs, surtout quand l’auteur raconte comment enfant il assistait aux combats où les prostituées rwandaises et congolaises se battaient nues à Bwiza… Une ambiance qu’on retrouve dans Un si beau diplôme de Scholastique Mukasonga. 

D’un autre côté, Natacha Songore narre son expérience de réfugiée burundaise au Rwanda, après une « révolution » qui « avait tourné court ». Derrière un langage imagé, on déchiffre comment évolue la pensée d’une réfugiée plus elle passe le temps en exil. Au début, elle pensait que ça ne durerait que quelques temps, et ne songeait qu’à retourner dans son pays natal. Mais après deux, trois, quatre ans d’exil, elle regarde la réalité en face, comprend que l’exil risque de durer plus long que prévu, et élabore des stratégies pour s’intégrer tant bien que mal dans « la belle étrangère », le pays qui l’a accueilli. Cependant, le désir de retourner dans son pays ne la quitte jamais, mais elle tient à ce que quand le moment viendra, elle ne rentre pas bredouille. « Je ne suis pas loin. À quelques collines. A une frontière près. Ici, j’apprends à vivre, à vaincre et à mieux m’aimer. En attendant de te retrouver. »

L’ombre du génocide 

Chez les auteurs rwandais, l’ombre du génocide de 1994 n’est jamais loin. C’est un évènement qu’on ne peut pas oublier, surtout quand on y a perdu cinquante membres de sa famille, comme Elise Rida Musomandera. Dans sa nouvelle « Alice, Bella et Ntwali », une rescapée passe dix-huit ans à chercher la tombe de son fiancé Ntwali, qui a été assassiné la veille du mariage. Elle nous fait comprendre que, même dans ces circonstances, « l’amour est plus fort que la mort».

Je ne peux pas terminer ce billet sans dire un mot sur le texte de Parfait Nzeyimana, « Les premiers pas de Kadogo au secondaire ». C’est un texte que les plus jeunes, qui veulent comprendre l’histoire récente du Burundi, trouveront du plaisir à lire. L’auteur raconte avec une extraordinaire honnêteté comment, après l’assassinat du président Melchior Ndadaye en 1993, les élèves Tutsi ont chassé les élèves Hutu du Lycée de Cibitoke, ce qui a poussé ces derniers à rejoindre les groupes rebelles. C’est un épisode intéressant de notre histoire puisque l’ambiance toxique du Cibitoke était la même dans les autres lycées burundais, et a eu un impact indéniable sur ce que le Burundi est devenu aujourd’hui. 

Ce recueil permettra de découvrir beaucoup de jeunes écrivains de talent de la région des Grands-Lacs dont je n’ai pas pu parler, comme Joëlla Sayubu, Patrick Bassham, Yannick Matita, Isaac Muhindo Kisatiro, Merdi Mukore, Jean-Fraterne Ruyange, Luck Mayani, Jean de la Croix Hakizimana. Certains d’entre eux porteront loin le drapeau des Lettres des Grands-Lacs.  

 

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