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« Je t’aime », le mot impossible à dire pour les Burundais ?

La Saint-Valentin est enfin là ! Chouette ! Cela fait des jours que certain·e·s s’organisent. Ça discute dans les groupes whatsapp, on se donne des plans pour le meilleur restaurant de Buja,… Certaines vont sortir manger et danser avec leurs chéris, maris ou amants, d’autres resteront à la maison essayant d’avoir du temps à deux. Mais : « Est-ce que vous dites à vos maris, fiancés, petit ami que vous les aimez de vive voix ? ». 

La question gêne et soulève beaucoup de points. Qu’est-ce qui est le plus important entre montrer à quelqu’un qu’on l’aime et le lui dire ? Est-ce que les paroles valent plus que les gestes et les actes ? Faut-il faire les deux en même temps ? Les questions se succèdent. Dans mon groupe whatsapp avec des copines, je demande alors à chacune de se rappeler de la dernière fois où elle a dit à son homme ou vice-versa, yeux dans les yeux, les trois mots suivants : « Je t’aime » ou un seul mot: « Ndagukunda ». 

Ariane, 25 ans, est la première à répondre : « Il me l’écrit souvent par message ou il me le dit au téléphone mais je ne me rappelle pas l’avoir entendu me le dire de vive voix face à face. » 

Jeannette, 30 ans, dit : « La dernière fois qu’il me l’a dit de vive voix, c’était après la naissance de notre enfant. Il y a cinq ans. De mon côté, c’était quand nous sortions ensemble avant notre mariage. De toutes les façons, ce sont des comportements de jeunes. Pour nous, il y a aujourd’hui plus de gestes de tendresse, et moins de mots. C’est comme cela que la plupart de couples se comportent même dans l’intimité. Cela ne fait pas partie de notre culture. Les Burundais, nous sommes pudiques. » 

Le Burundais, cet être pudique

Exprimer les mots d’amour ou non viendraient donc de notre culture, de notre vécu ou de l’éducation que nous avons reçue ? Il est vrai qu’au Burundi, quand deux personnes sont amoureuses, la discrétion doit être le maître-mot. C’est très mal vu de se tenir par la main dans la rue si vous êtes deux personnes de sexe opposé, pire, voire de se donner un bisou. La moindre marque d’affection entre deux amoureux doit se faire à l’abri des regards. 

Un autre constat, les mots d’amour tels que « j’aime ma femme ou mon mari ou mes enfants. », dits en public, souvent, ils sont exprimés en l’absence de la personne concernée. Si on ose les afficher partout sur les réseaux sociaux, il n’est cependant pas question de les dire de vive voix à l’être aimé. La pudeur burundaise exige.

Jamais nous n’avons vu nos parents avoir des marques d’affection l’un envers l’autre. Nos parents vivaient avec nous comme s’ils étaient de parfaits étrangers. Nous regardions la télévision et nous savions reconnaître les longs regards, les mains qui se touchent, les petits sourires mais chez nos parents, rien ne transparaissait. Dans la vie réelle, nous savions juste que nos parents partageaient la même chambre. Les paroles d’amour exprimées entre eux, nous ne les entendions jamais. 

Certes, nos parents nous montraient leur amour parce qu’ils remplissaient leurs devoirs de parents envers nous : ils nous nourrissaient, nous habillaient, nous soignaient et nous scolarisaient…mais, rares sont les enfants qui ont reçu des gestes tendres ou ont entendu leurs parents leur dire cette fameuse phrase « Je t’aime ». D’ailleurs, les couples qui continuent d’avoir des gestes et des paroles d’amour entre eux sont honnis. Nous disons d’eux : « Ils se croient dans un film ou ils se comportent  toujours comme des adolescents. »

Répète après moi : « Ndagukunda »

Qu’est-ce qui est le plus approprié ? Écrire ou dire je t’aime ? Le dire seulement en intimité ou en public ? Devant nos enfants ou pas ? La discussion continue. 

Irène, 45 ans, conclut : « Pourquoi je dirais « je t’aime » à mon conjoint alors que je suis incapable de le dire à mes enfants ? Mes enfants, j’ai souffert pour les avoir après des heures de douleur mais une fois qu’ils sont là, je ne le leur dis pas. Et pourquoi ? Parce que moi aussi, mes parents ne me l’ont jamais dit. Pour savoir exprimer l’amour, il faut qu’on te l’ait transmis. Je n’ai jamais vu mes parents se dire qu’ils s’aimaient ni les parents de mes amis. Mes parents ne m’ont jamais dit qu’ils m’aimaient. Je ne doute pas de leur amour envers moi, mais ils ne me l’ont jamais dit. Tu grandis avec cette image et tu te dis que tu ne peux pas ou cela ne se fait pas. Les paroles d’amour n’existant pas dans le cercle familial nucléaire, elles sont très difficiles à exprimer par la suite. Donc, si je suis incapable de dire à mes enfants que je les aime, pourquoi je le dirais à mon conjoint tout en sachant que les raisons pour lesquelles les personnes se mettent en couple diffèrent parfois de l’amour ? »

Notre conversation se termine par là. La plupart tombent d’accord. Les mots d’amour sont les plus difficiles à exprimer de part notre culture et notre éducation. À votre tour, qui ce soir, en dehors de la carte, du message écrit à la hâte, osera regarder son homme ou sa femme ou son enfant et lui dire yeux dans les yeux : « Je t’aime  ou Ndagukunda ? »

 

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