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Burundi : l’autre visage des karaokés

Les bars karaoké sont légion à Bujumbura, mais aussi dans d’autres villes du pays, où ils sont très à la mode. J’ai pu m’entretenir avec un chanteur de karaoké d’un bar très connu de Ngozi. Je vous partage son histoire.

Le bar est modeste mais très à la mode ces derniers jours. Il est réputé pour son « muchopo » et surtout pour son karaoké. Il n’est que 16h, mais l’endroit est déjà plein de monde. Les mélomanes ont déjà commencé à « Kanyaguer » selon Diamond. Je prends place à côté d’un gentleman pour un verre. Mon voisin qui est très bien connu des lieux, stylé comme pas possible, boucles aux oreilles, coiffure à la mode, me reçoit chaleureusement. En sirotant ma grande Primus, je lui demande s’il n’y a pas de karaoké le soir. Alors qu’il me donne des explications, une jeune fille, de taille moyenne mais bien en chair, passe devant nous dans un déhanché endiablé.

Notre conversation se coupe net. Nos regards, tous braqués sur elle, évoluent avec elle. Ils l’accompagnent et la scrutent jusqu’à ce qu’on la perde de vue. Elle est allée rejoindre ses amis dans une salle. Le film prenant fin, nous revenons à nos moutons. Mais la conversation prend une autre tournure. D’un air très sérieux, le regard fixé dans le vide, le jeune homme me dit : « Je me suis trompé de carrière ! La musique m’a poussé à m’aventurer dans une vie pleine d’ombres et de risques. » 

Une pathologie libidinale 

« Après mes études secondaires, mon oncle paternel m’a consacré gardien de sa maison en chantier. Là, n’ayant pas grand-chose à faire, nuit et jour, j’écoutais de la musique. Je connaissais les auteurs de mes chansons préférées, j’enviais leur célébrité et rêvais aussi de cette vie. Après avoir appris assez de chansons, je me suis décidé d’embrasser la carrière musicale, pourquoi pas moi…  Ainsi ont débuté mes aventures dans des concerts et karaoké à Ngozi », raconte le jeune chanteur.

Le succès ne tarda pas à se manifester. Quelques années plus tard, il est la coqueluche de ce bar à la mode, et sa vie a changé. « Aujourd’hui, chaque fois que je monte sur scène, une ovation d’applaudissement m’accompagne, me rendant de plus en plus célèbre. Mes fans scandent mon nom, les gens viennent nombreux me féliciter. Des bouteilles de Primus affluent sans savoir d’où elles me viennent.  Et quand je demande qui m’a fait honneur, les serveurs me désignent tantôt une fille tantôt une femme. Et des messages de félicitations foisonnent dans mon téléphone. Souvent accompagnés de « j’aime ta voix angélique, j’aime ton style, j’aime…. J’aime … Je t’aime. » 

Avenir incertain

Pendant qu’il me raconte son « malheur », je me dis qu’il y a pire comme calvaire – moi aussi je voudrais de ces messages -, après avoir entendu la suite, je change d’avis. « Un samedi, après m’avoir tellement saoulé, une maman – dont le mari n’est plus – me proposa de l’accompagner chez elle. C’était aux environs de 2 heures du matin.  Arrivés à la maison, sur sa demande insistante, on finit par coucher ensemble. Depuis, chaque week-end, je reçois des rendez-vous que je n’arrive pas à décliner. »

Le jeune chanteur, les yeux dans les vagues, laisse échapper un soupir, puis il me confie : « Je regrette cette vie malgré moi. En fait, la musique me fait vivre, c’est vrai. Je parviens à me payer le loyer, me nourrir et m’acheter les habits. Mais elle me détruit à petit feu. Peut-être que si j’étais resté au chantier de mon oncle, j’aurais fait l’université. Et j’aurais des occupations autre que la musique avec son avenir incertain. ».

 

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