LE JOURNAL.AFRICA
Dessins

Petit bus de Bujumbura, petit farceur !

Ses petites manies agacent et font rire jaune. En petit capricieux, le dix-huit places sait prendre son temps, se faire attendre ou unir les passagers contre leur gré. Et il s’en moque éperdument.

Toi… Si petit mais, petit roi! Majestueux, avec tes dix-huit places affichées sur ton profil bien dessiné. Tu me faisais sentir majeure et adulte, autrefois, quand j’étais encore petite et que je n’en revenais pas encore que je prenais LE BUS « toute seule », pour la première fois, comme les grands adolescents de mon quartier. Tu m’emmenais loin, si loin là-bas au centre-ville de Bujumbura, exactement à cinq kilomètres de la maison !

Tu fus le premier à me faire profiter de mon premier moment de responsabilité de soi, première autonomie, première preuve de confiance de la part des parents. Vrai qu’ils me dirent, ce jour-là : « Tu es assez grande pour prendre le bus toute seule! ». Tu me faisais grandir.

Avec le temps, vint la farce

C’est au fil des années que je me rendis compte de ta farce. Oui, parce que tu es un farceur, petit bus de Bujumbura. Tu as tes petites manies de jouer discrètement avec tes passagers. Comme par exemple, dès notre entrée dans ton espace, tu nous obliges à nous courber, en sorte de révérence. Tu t’amuses bien quand tu nous obliges à nous couper en deux pour occuper une place, et ainsi te montrer notre respect résiliant.

Et tu ne choisis pas ! Que ce soit ce brave monsieur en costume cravate ou cette dame qui sent bon le parfum, ce maçon avec ses outils de travail ou ces vendeurs de Ndagala avec l’odeur du poisson, tu fais exprès qu’ils se courbent et s’assoient ensemble.

Ça t’éclate de les voir se frotter les uns aux autres sans le vouloir, n’est-ce pas ? De les voir essayer de s’écarter sans pouvoir y arriver, avoue ! Et même, tu te fais de plus en plus étroit pour ce spectacle comique ! Pour cette proximité non-désirée.

À l’unisson !

« Unir » doit être ton mot de passe ! Parce que, vois, ils sont obligés de sentir les odeurs des uns et des autres, obligés d’entendre deux amis parler de leurs avis sans devoir intervenir. Tu les obliges à être complices de mensonge quand un passager ment sur son téléphone, et quand une femme porte un enfant sur le dos et qu’elle ne se courbe pas assez, tu fais réagir tout le monde pour lui sommer de ne pas écraser la tête du gosse. Il devient le gosse de tout le monde. « Unir » doit être ton mot de prédilection.

Ah, tiens ! Parlons de ce moment embarrassant, quand une maman débarque avec ses cinq petits dont elle ne paiera pas le trajet, tu culpabilises les passagers et leur fais recueillir un des enfants sur leurs genoux. Et malheur à la voisine qui ne veut pas s’y coller en regardant par tes petites fenêtres poussiéreuses, eh bien, tout le monde la dévisage façon : « Et nous autres sommes trop cons pour aider ? Vas-y ! Prends aussi un enfant!!! ». Tu te régales bien devant tout ce cirque, n’est-ce pas ?

Petit bus de Bujumbura, petit comique

Je t’entends ricaner quand tu redémarres en laissant ce beau jeune homme avec son costume déchiré. Car oui, des fois tu t’amuses à déchirer nos vêtements et la meilleure est qu’on s’en prend à nous-même! Nous rouspétons sur nous-même, « Je n’ai pas été assez prudent! ».

Que dire de cette fierté que tu affiches à la « grande station de bus », lorsqu’ il est vingt et une heures passées et que tu es le seul qui reste, avec une cinquantaine d’individus qui t’attendent avec pour toute fortune quatre cent francs burundais dans la poche… Oui, je t’entends éclater de rire, quand tu nous vois nous pousser, piétiner, nous faire voler, quelques-uns s’insulter juste pour avoir une petite place dans l’étroitesse que tu nous présentes et la propreté douteuse de tes enceintes. Des fois, je me mets à ta place. Et je me dis que franchement, tu es un enfant gâté.

Cela ne se passerait pas ainsi, ailleurs !

Rends-toi compte que si tu étais ailleurs (ailleurs, je veux dire dans une ville qui se soucie plus du bien-être de ses fonctionnaires ou enfants), tu subirais quelques critiques désobligeantes ! Cela t’étonne ? Comment t’expliquerais-je…

Quand tu te mets à l’aise en dégageant ton gaz carbonique, ailleurs, ils te demanderaient de laisser la place aux plus discrets ! Il paraît que ça endommage la santé des citoyens. Mais toi non, tu es bien quand tu te laisses aller…

Quand tu utilises des bidons comme « réservoir » franchement, tu devrais savoir que c’est prohibé, mais cela évidemment tu t’en moques, c’est encore une petite farce de ta part.

Tu es gâté car, même s’il y a des contrôles, personne ne te dicte quel temps tu devrais prendre pour quitter par exemple le quartier Buyenzi au centre-ville! Souvent, tu prends quarante et cinq minutes au lieu de quinze. Car bien sûr, tu as le droit de prendre autant de temps que tu veux, c’est ton commerce ! Ta seule préoccupation, c’est de te remplir les poches, pas d’arriver à destination à temps – pour que cette jeune lycéenne ne rate pas son premier cours.

Bien né

Ce n’est pas la belle vie, ça ? Tu n’as pas idée de ce qu’on fait payer comme amende aux bus d’ailleurs qui n’arrivent pas à l’heure prévue sans explication ou qui rentrent dans les quartiers faussant le trajet conventionnel, ou alors qui s’arrêtent juste en voyant un potentiel client sur l’autoroute. Oui, ils ont des arrêts bus qu’ils doivent honorer et ce sont les seuls endroits où ils peuvent s’arrêter. « Rhhoo la dictature de m***», dois-tu te dire, petit bus de Bujumbura.

Vois, tu es vraiment un petit enfant gâté. Tu fais carrément ce que tu veux ! Parfois, je me dis que si on te garantissait la présence d’une famille de dix, qui se rendront en ville dans quelques minutes, tu serais capable de les attendre devant leur portail ! Ensuite circuler un peu pour les huit places restant, puis retourner dans ton pauvre stationnement. D’ailleurs, cet endroit-là peut justifier la liberté que tu te donnes pour circuler à gauche à droite avant d’y retourner ! C’est un endroit qui n’est pas fait pour toi. Mais oui, toi si mignon, sous tes airs de ciel bleu et nuages blancs, on devrait te trouver plus ample abri pour te stationner.

Bref, de toi à moi et à voix basse, depuis ma première aventure avec toi, j’ai grandi. Et je deviens ennuyeuse, petit bus. Parce que tes petites comédies commencent un peu à me taper sur les nerfs. Elles me paraissent infantiles. C’est pourquoi je te demande : « Petit bus de Bujumbura, quand grandiras-tu? Quand arrêteras-tu de péter dans la rue ? De nous jouer tes petites comédies ? ». Mais je dis ça je ne dis rien, car même si je te demande tout ça, je dois dire qu’après des semaines sans te voir, je me retrouve nostalgique. À tantôt, petit farceur.

 

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