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«Je n’aurais pas dû naître, car mon père est prêtre»

En février dernier, un sommet consacré aux abus sexuels commis à l’encontre des mineurs s’est tenu au Vatican. Les évêques africains y ont prétendu que cette crise est une histoire de «blancs».  Qu’à cela ne tienne. En Afrique, d’autres douloureuses réalités existent. Témoignage.

Je m’appelle Nicole*, fille unique. J’ai 16 ans, catholique de l’archidiocèse de Gitega. J’ai été élevée par ma mère. Malgré plusieurs questions, ma mère ne m’a jamais révélé l’identité de mon père. Elle me mentait toujours. Seize ans de mensonges qui se sont démêlés un jour, en quelques minutes. C’était le 8 mai 2018. Je rentrais de l’école. Derrière la porte, j’entendis, « Où est ton géniteur de prêtre toi femme qui ose me contredire ? ». C’était mon oncle qui, au cours d’un différend familial, venait de cracher le morceau. Mon oncle  ne mâchait pas les mots : «j’étais le fruit d’une liaison interdite», « je n’aurais pas dû naître ».

Mon papa est un prêtre. Un grand choc. Je ne savais même pas que cela existait un enfant de prêtre ! À mon école qui est catholique, j’avais appris que les prêtres observaient la règle du célibat, qu’ils n’avaient pas de relations sexuelles. Comment imaginer qu’ils puissent avoir des enfants? Aveuglée par les larmes, tout s’entremêlait en moi : la sidération, la honte, la tristesse, la colère, la culpabilité…. J’étais hébétée et tremblante en entrant dans la maison. Ma mère remarqua que j’avais tout entendu, n’eût plus d’autre choix que celui de confirmer.

Enfant du silence et de la misère

Mon père, ayant refusé de demander la dispense du ministère, l’évêque l’avait transféré très loin, dans une paroisse rurale. Abandonnée et non reconnue, j’ai vécu une vie de misère indescriptible. D’abord dans un orphelinat des sœurs, avant que ma mère ne décide de m’y retirer et d’endosser seule la responsabilité. Ma vie et celle de ma mère ont été détruites. Elle ne s’est jamais mariée, et moi, je suis de père inconnu, sans nom, sans famille. Imaginez cette vie dans une société où la survie dépend des réseaux de solidarité familiale et clanique. Une blessure psychique. Je suis maintenant habituée à cacher mon identité et à me taire quand des amis parlent de leurs familles. Même dans la famille de ma mère, pourtant très catholiques, personne n’en parle. Mon oncle m’a expliqué que c’était pour éviter les réflexions désobligeantes et l’ostracisme provoqués par des préjugés.

En pensant à mon père, je le maudis en mon for intérieur, lui qui a préféré ses paroissiens à cette gamine à fossettes et à sa mère pauvre. Cette vie de mensonges et d’hypocrisie est antinomique avec l’évangile qui proclame que «la vérité nous rendra libres». Et d’ailleurs, depuis ce jour, je ne vais plus à la messe, car il faut un caractère hors pair pour rester imperturbable face à cette réalité.

 

* le nom a été modifié pour des raisons d’anonymat  

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