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Moi, Ngabire, 16 ans et enceinte

1421 cas de grossesses en milieu scolaire ont été enregistrés en 2018. Le pic avait été atteint en 2014, avec 2424 jeunes élèves enceintes. Quelle est l’histoire de ces jeunes filles? Et celle de leur progéniture? La blogueuse Élodie Muco tente de nous la brosser, dans cette fiction inspirée de faits réels.

Ngabire est tombée enceinte à l’adolescence. Quand on s’est connus dans la vingtaine, elle m’a raconté ce qui lui était arrivé. À travers la lettre qu’elle avait écrite à son enfant à l’époque, elle me fit découvrir son histoire, histoire hélas, si semblable à celle de nombreuses autres familles burundaises, qu’elle me permit de partager aujourd’hui.

Cher enfant à naître,

Je m’appelle Ngabire, je suis ta mère et j’ai 16 ans. 16 ans, c’est l’âge qu’avait ma mère quand elle est tombée enceinte de moi. Je n’ai jamais connu mon père et j’ai grandi chez mes grands-parents. D’après ce qu’on m’a raconté, mon père m’a renié quand ma mère lui a annoncé qu’elle était enceinte de moi. Ils étaient ensemble sur le banc de l’école. Un gosse comme elle, quoi. On m’a aussi raconté qu’elle était décédée à ma naissance.

Mon enfance chez mon grand-père était plutôt heureuse. Curieusement, pour une «batarde», j’étais bien chouchoutée. Mais seulement au sein de la maison de mon papy, parce que dehors, c’était autre chose. J’étais pointée du doigt par tout le monde, surtout les enfants. Les adultes, je m’en fichais un peu. Mais je ne comprenais pas pourquoi à l’école dès que j’approchais, on me riait au nez, les autres enfants ne voulant jamais m’intégrer dans leurs jeux, non plus. Ma tête de petite fille n’y comprenait pas grand-chose. Qu’est-ce qui ne tournait pas rond chez moi?

Je me souviens qu’un jour, j’étais rentrée de l’école et m’étais jetée sur mon grand-père, en larmes. Lui, inquiet, m’avait demandé ce qui n’allait pas. Je lui avais tout raconté alors. Les moqueries des autres enfants, les regards dédaigneux, les chuchotements, etc. Il avait eu un sourire triste et m’avait pris sur ses genoux. J’avais 8 ans et je m’en souviens comme si c’était hier : «Tu sais Ngabire, tu ne devrais pas te soucier de ce que les gens disent de toi. Ne baisse jamais la tête face aux insultes, sois forte et défends-toi. Quoi que les gens disent, cela ne doit pas t’atteindre». «Mais…pourquoi tous les autres enfants ne veulent jamais jouer avec moi? Je ne comprends pas…». Mon grand-père prit une grande inspiration et je vis des rides creuser encore plus son visage fatigué. «Mugisha, celle que tu appelles ta tante, celle qui étudie à Bukeye et qui vient pendant les vacances… eh bien,  ce n’est pas ta tante, c’est ta mère».

«Ta tante, c’est ta mère»

Mugisha? Ma mère? Mais…comment est-ce possible? D’après ce que me raconta encore une fois mon grand-père, j’appris que Mugisha m’avait eue quand elle était adolescente. Lorsqu’elle est venue annoncer sa grossesse, ça a été le chaos dans la famille. Mugisha, la fille du très noble et très respecté Nduwayo était tombée enceinte à 16 ans. La honte! Sa mère ayant succombé quelques mois plus tôt à une épidémie de malaria, la voilà qui ramenait une bâtarde à la maison. Mon grand-père avait eu du mal à accepter la nouvelle, encore moins les frères aînés de Mugisha qui voulaient qu’elle avorte en cachette. Mon grand-père avait refusé. Mugisha était sa seule fille, sa petite dernière et il était hors de question qu’elle mette sa vie en danger en avortant. Il décida qu’elle accouchera et qu’elle laissera l’enfant chez son père avant de retourner à l’école. Tant pis si l’honneur de la famille était souillée! Les gens n’avaient qu’à s’occuper de leurs affaires, après tout. Je reconnaissais bien là mon grand-père…

À partir de  l’instant où mon grand-père me fit ces aveux,  ma vie ne fut plus jamais la même. Mon regard vis-à-vis de ma personne et de mon entourage changea. Tout s’expliquait maintenant. Même les relations entre ma tante/mère ne furent plus les mêmes. Cette jeune femme, jadis si chaleureuse avec moi, sans doute parce qu’il n’était alors pas question à l’époque pour elle d’assumer sa maternité, devint un peu plus distante chaque fois qu’elle venait à la maison. La honte sans doute… Elle ne m’avait jamais assumé en fait, encore moins après ces aveux. Pour elle et pour beaucoup d’autres, j’étais l’enfant de la honte, une erreur de jeunesse.  

Quelque temps plus tard, elle se maria. J’espérais secrètement que maintenant qu’elle avait un foyer à elle, elle m’emmènerait vivre avec elle et son mari, bref, qu’elle m’assumerait. Je me trompais lourdement. Elle me laissa chez mon grand-père et je ne la vis presque plus. Face à son comportement que je pris comme un second rejet, je commençai à adopter un comportement malsain, à me rebeller. Je devins invivable, ne supportant plus les ordres de quiconque à tel point que mon grand-père fut obligé de m’envoyer à l’internat aussi. Me voilà donc aujourd’hui aussi à 16 ans, à l’internat et…enceinte. Telle mère, telle fille? Ferais-je les mêmes erreurs que ma mère? Je ne sais pas, mais je ne le souhaite pas.

 

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