C’est l’appel de MSF aux autorités camerounaises : « Laissez-nous faire notre travail ». Faute de garantie sur la sécurité de ses employés, Médecins sans Frontières suspend ses activités dans la région du Sud-Ouest, une des deux régions à majorité anglophone en proie à une crise sécuritaire depuis plus de quatre ans. Quatre employés camerounais de l’ONG sont en prison à Buea, deux hommes et deux femmes (dont une infirmière enceinte). Parmi ces collaborateurs arrêtés, 2 l’ont été fin décembre alors qu’ils transportaient un blessé, membre d’un groupe armé. Les deux collaborateurs de MSF font l’objet d’une enquête pour « complicité de sécessionnisme ». MSF décide de suspendre ses activités « pour se consacrer à l’obtention d’une libération en toute sécurité de ses collaborateurs ». Sylvain Groulx, directeur des opérations pour MSF, est notre invité.
RFI : qu’espérez-vous de la part des autorités camerounaises ?
Nous espérons la libération de nos collègues qui sont détenus simplement pour avoir fait leur travail. D’ailleurs, il y a eu un rapport d’enquête remis après une investigation indépendante menée à la demande du ministère de la Défense par l’organisation Mandela Center. Le rapport a été publié il y a plusieurs semaines. Il exonère très clairement nos collègues et pourtant ils sont toujours détenus en prison (à Buea).
Où en est le dialogue avec les autorités sur ces dossiers ?
Il est un peu inexistant. Nous avons tenté depuis plusieurs mois de rencontrer divers interlocuteurs au sein des autorités nationales pour avoir une discussion, des éclaircissements. Ils font la sourde oreille et nous ne parvenons pas à les rencontrer.
Quel va être l’impact de la suspension de vos activités dans le Sud-Ouest du Cameroun pour les habitants ?
Il faut bien comprendre que notre travail va au-delà du soin aux blessés de guerre.
En 2021, nous avons assuré 165 000 consultations, dont plus de 42 000 pour des enfants de moins de cinq ans.
Nous assurons des actes de chirurgie, des césariennes pour les femmes qui en ont besoin.
Lors des journées de lockdown (NDLR : consignes de confinement imposé par les groupes armés) durant lesquelles les habitants n’ont pas le droit de se déplacer, MSF était la seule organisation qui pouvait se déplacer dans ces zones et faire office d’ambulance avec une garantie de sécurité venant des deux parties (NDLR : les groupes armés d’un côté, les forces gouvernementales de l’autre). Malheureusement cette garantie de sécurité venant du gouvernement ne nous est plus offerte du fait que des collègues ont été arrêtés et sont en détention.
Comment expliquez-vous cette défiance des autorités camerounaises envers MSF ?
Vous devez leur poser la question.
Comment avez-vous vu la relation avec les autorités évoluer ?
Ça a été plutôt des problèmes administratifs, mais cela ne nous empêchait pas de faire notre travail. Aujourd’hui, c’est une grande problématique que des travailleurs humanitaires dans l’exercice de leur devoir (soient mis en cause, NDLR) Nous avons toujours fait preuve de transparence dans nos activités depuis quatre ans que nous sommes dans la zone. Nous ne comprenons pas pourquoi aujourd’hui nos collègues sont détenus.
Depuis quand l’environnement de travail se détériore pour MSF ?
Ça a commencé avec la suspension de nos activités, également, dans la région du Nord-Ouest il y a une pu plus d’un an et demi (en décembre 2020). C’est depuis cette période-là je dirais.
A ce sujet où en est le dialogue pour relancer vos activités dans cette région du Nord-Ouest ?
Il n’y en a toujours pas, malheureusement. Nous essayons, en vain.
Il y a le conflit entre groupes armés et forces gouvernementales dans la région du Sud-Ouest mais il y a aussi des cas de choléra. Est-ce que la suspension de vos activités dans la région concerne aussi la lutte contre cette maladie ?
Malheureusement, oui. Nous étions en partenariat avec le ministère de la Santé qui avait demandé notre appui, ainsi que l’OMS (l’Organisation mondiale de la Santé). Nous étions en lutte contre cette épidémie qui fait rage depuis la fin de l’année 2021 dans la zone de Bamousso et on a dû interrompre malheureusement notre support d’urgence pour cette épidémie de choléra.
Médecins sans Frontières n’est donc plus présent ni dans le Nord-Ouest, ni dans le Sud-ouest ; quelles sont les conditions préalables nécessaires à la reprise de vos activités dans ces régions, si les autorités le souhaitent ?
Premièrement : la libération de nos collègues, très clairement. Deuxièmement, l’engagement positif des autorités pour qu’elles nous assurent que nous ne risquons pas d’être mis en cause ou détenus quand nous faisons notre travail. C’est aussi simple que ça. C’est un travail dans des conditions déjà très très difficiles, dans des conditions ingrates pour tout le monde. Mais c’est un travail qui est excessivement important pour la population. On avise toujours les autorités de nos activités. Soyons clairs, nous sommes toujours très transparents. A partir de là, laissez-nous faire notre travail.
Je crois que c’est important que nous ayons l’opportunité de nous asseoir, de dialoguer, dans un environnement sain, puis que nous puissions travailler sans crainte d’être arrêté, détenu en prison, sans être accusé de « complicité de sécessionnisme ». C’est une charge des des plus ridicules : MSF travaille au Cameroun depuis plus de trente ans. Nous n’avons jamais eu de problèmes. Et on ne comprend pas pourquoi aujourd’hui on se voit reprocher d’aider une partie ou l’autre de cette crise-là. C’est le comble du ridicule !