Ce lundi 31 janvier 2022, l’un des plus célèbres militants actifs sur les réseaux sociaux a été condamné à six mois de prison avec sursis, 6,9 millions d’ariary d’amende (environ 1 550 euros) et cinq ans de mise à l’épreuve pour diffamation, outrage à l’État et diffusion de fausses nouvelles. Le commentateur de l’actualité politique, et opposant, se retrouve au cœur d’un tourbillon médiatique où ministre, député et ex-présidents n’hésitent pas à prendre la parole pour l’accabler ou le soutenir.
Avec notre correspondante à Antananarivo,
« Est-il vrai que le pont Bailey nouvellement construit à Moramanga (suite à l’effondrement d’une digue six jours plus tôt, NDLR) est cassé ? » C’est à cause de cette question, postée sur son propre compte Facebook vendredi dernier, et largement commentée, que Mahery Lanto Manandafy, alias Malama, a été convoqué samedi 29 janvier au « pôle cybercriminalité » de la police judiciaire.
Furieux de cette convocation, l’influent activiste s’insurge et publie dans la foulée deux autres messages : « Je n’ai pas peur de toi, même si tu es président », suivi d’un « Tu te crois tout puissant alors que tu n’es qu’un incapable » (en Malgache, les propos sont insultants, orduriers, NDLR). L’affaire prend de l’ampleur.
Le ministre de l’Intérieur se fend d’une vidéo pour rappeler à l’activiste, fils de feu Manandafy Rakotonirina, le fondateur du parti MFM, qu’il n’a pas le droit de manquer de respect aux personnalités haut placées. Un député l’attaque en le fustigeant d’avoir osé défier le président de la République. Marc Ravalomanana et Hery Rajaonarimampianina, les deux derniers chefs d’État, eux, font parvenir un communiqué de presse pour soutenir Manandafy et dénoncer « la dictature ».
Après 48h passées en garde à vue, Manandafy est transféré au tribunal de première instance d’Anosy pour y être auditionné à huis clos ce 31 janvier. Mais alors qu’il est dans le bureau de la Procureure, explique l’opposant, « des gendarmes font irruption et demandent de suivre ». Les policiers refusent de le donner aux gendarmes. « J’ai été exfiltré de la salle d’audience, et emmené en voiture sur le parking d’un hôtel de luxe voisin. » Les tractations entre les forces de l’ordre se poursuivent, sans aboutir. Manandafy retourne finalement au tribunal, sous escorte policière.
« Je n’arrêterai pas de donner mon avis »
À 17h, la famille et les journalistes sont alors conviés à écouter la condamnation lue par la juge. La sanction tombe : une très lourde amende et de la prison avec sursis… comme un avertissement. Mahery Lanto Manandafy promet : « Je me suis engagé à ne plus insulter le président de la République. Par contre, ce sera difficile de me museler. Que ce soit les affaires d’État, économiques ou sociales, je n’arrêterai pas de donner mon avis là-dessus. Je ne suis pas d’accord pour qu’on gère l’État malgache de cette façon. Il n’y a pas de projection. Pas de planification. Un quart du budget de l’État, appelé budget transversal, est utilisé n’importe comment. Sans qu’ils aient de compte à rendre. Moi je ne peux pas voir ça et me taire. Malgré ma condamnation, je continuerai à parler. »
Une situation loin d’être réjouissante, commente le journaliste Fernand Cello, son ami et soutien qui avait été, lui, condamné à deux ans de prison avec sursis sous le précédent régime, après avoir dénoncé des expropriations foncières. « C’est une fausse liberté. Il n’est pas libre parce qu’il ne peut fonctionner comme avant. Ce sursis, c’est un avertissement. S’il continue de dénoncer un dossier contre le régime actuel, il ira en prison. C’est certain. »
Une nouvelle convocation
Suite à cette condamnation, Doris Rakoto, l’épouse de Manandafy, craint une vague d’autocensure dans la petite communauté des activistes. « Après ce qu’il s’est passé, personne n’osera plus dire quoi que ce soit. Il n’y a pas de liberté d’expression à Madagascar. C’est un climat de peur et de frustration qui est en train de s’instaurer. Frustration par rapport à ce qu’il se passe tous les jours dans la vie des Malgaches. Et peur de ne pas pouvoir critiquer ou seulement questionner. »
Plusieurs soutiens appartenant au cercle de l’opposant politique ont d’ores et déjà fait état de menaces, à leur endroit, diffusées via des messages privés sur Facebook, les incitant à « se calmer » et « cesser de soutenir les anti-régimes ».
Lundi soir, à 20h, nouveau rebondissement dans cette affaire : l’activiste malgache recevait une nouvelle convocation, de la section de recherches criminelles de la gendarmerie cette fois. Mahery Mananfady est donc attendu ce mardi dans les locaux des forces de l’ordre pour être entendu après la plainte déposée par la gendarmerie nationale, pour outrage et incitation à la haine sur les réseaux sociaux. Depuis deux ans, la Grande Île a vu de plus en plus d’internautes se faire arrêter à cause de leur publication sur les réseaux sociaux.