La tension monte autour des négociations en cours entre les autorités maliennes de transition et le groupe privé de sécurité Wagner. Ce mardi 14 septembre 2021, la ministre française des Armées Florence Parly a jugé qu’un tel accord serait « extrêmement préoccupant et contradictoire » avec l’action menée par les militaires français au Sahel. Le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian juge même que l’arrivée du groupe russe serait « absolument inconciliable » avec la présence des soldats français.
À Paris, l’inquiétude est réelle de voir les Russes de la sulfureuse société Wagner prendre pied au Mali, pays clé de l’opération Barkhane. Les autorités françaises préviennent : il s’agit d’une nouvelle ligne rouge. Pas de Wagner au Mali. De même qu’il y a quelques mois, Paris avait indiqué au pouvoir malien qu’il n’était pas envisageable de négocier avec les groupes armés terroristes qui combattent les soldats de Barkhane.
Selon des informations de presse, le groupe Wagner pourrait envoyer plusieurs centaines, voire un millier de mercenaires russes au Mali. Cet accord entre Bamako et le groupe Wagner n’est même pas signé qu’il suscite déjà des réactions très vives. Il faut dire que beaucoup de choses se jouent autour de cet accord.
Le premier enjeu, c’est celui de la souveraineté nationale. Aux propos de Jean-Yves le Drian, qui menace de retirer les soldats français du pays, le ministère malien de la Défense répond : « Le Mali entend diversifier ses relations, nous parlons avec tout le monde. » Rien de plus légitime pour un État. Cet enjeu de souveraineté rejoint un enjeu de politique intérieure : les autorités de transition veulent montrer à l’opinion malienne leur indépendance et leur force. Et face à l’ancien colonisateur, le gain politique, au moment où se pose la question de l’allongement de la période de transition, est évident. D’ailleurs, le spectre de cet accord peut aussi être perçu comme un atout pour valider, cette fois auprès des partenaires internationaux actuels du Mali, cet allongement de la transition. Comme s’il s’agissait d’un coup de bluff au cours d’une partie de poker, c’est ce que certains observateurs avertis n’excluent pas.
Ensuite, il y a l’enjeu diplomatique, celui de l’influence. La Russie n’est pas considérée comme une ennemie, ni par la France ni par l’Union européenne ou les Nations unies. Mais ailleurs dans le monde – en Syrie, en Libye, en Ukraine -, on voit bien que les intérêts et les stratégies mises en œuvre sont souvent très opposées. Donc l’arrivée de Moscou sur le théâtre sahélien effraie la France, mais également les autres partenaires occidentaux du Mali.
Ce mercredi, l’Allemagne s’est associé à la France et a indiqué sans détours que si accord il y a avec la sulfureuse société de mercenaires russes, cela remettrait en cause le mandat de l’armée allemande au Mali. Une présence importante puisque 1500 soldats de la Bundeswehr y sont déployés dans le cadre de la mission de formation de l’Union européenne, mais aussi au sein de la Minusma.
Accès aux sites miniers en bonus
Il y a aussi l’enjeu des droits de l’homme. Quels que soient les intérêts de chacun, il n’est pas illégitime de rappeler les nombreuses accusations d’exactions, particulièrement violentes, dont les agents de Wagner font l’objet en Centrafrique ou en Syrie. Des accusations documentées par des journalistes et des organisations de défense des droits de l’homme. Enfin, il y a l’enjeu économique : on parle de plus de neuf millions d’euros par mois avec en bonus un accès à plusieurs sites miniers. Si rien n’est encore signé, cela reste quand même une question à prendre en compte puisque le budget malien est ce qu’il est, et que la coopération militaire américaine, française ou onusienne, elle, n’est pas payante.
Après la mise en garde des responsables français, et peut-être pour faire baisser la pression, le porte-parole du Kremlin, ce mercredi matin, a tenu à précisé que la Russie ne négocie aucune présence militaire au Mali, et qu’il n’y a sur place aucun représentant des forces armées russes. Bien sûr, sans jamais évoquer la présence de la société privé Wagner. Wagner qui aux yeux des Occidentaux n’est ni plus ni moins qu’un faux nez de Moscou.
Le ministère malien de la Défense l’a admis : il y a bien négociation pour déployer des paramilitaires russes chargés de former les forces armées maliennes et d’assurer la protection des dirigeants. Pour l’heure, on n’en sait pas plus. Mais si ce contrat venait à prendre corps, il provoquerait un véritable séisme dans la bande sahélo-saharienne.
En effet, l’opération Barkhane s’étend très largement au-delà des frontières maliennes, l’état-major de la force est à N’Djamena. Sa principale base aérienne est à Niamey. Quant aux forces spéciales, elles sont à Ouagadougou. Barkhane, d’un point de vue opérationnel, peut poursuivre sa mission. Néanmoins, l’essentiel des opérations se déroulent au Mali, dans la zone des trois frontières entre Liptako et Gourma. Si rupture il y a avec Bamako, plane une double interrogation : que décidera l’allié américain ? Que feront les Européens qui actuellement montent en puissance au sein de la force Takouba ? Enfin, cela obligerait Barkhane à quitter Gao, sa base la plus importante au Mali. Et sur le plan logistique, ce ne serait pas une mince affaire.
A Paris, de sources proches de l’état-major des armées, on reste prudent. A Bamako rien n’est joué, rien n’est signé, dit-on. Mais on laisse entendre que si le scénario Wagner prenait corps, cela se traduirait en effet par de sérieux changements. Dans un premier temps la force Barkhane pourrait poursuivre ses opérations, la zone est grande, les soldats français ne seraient pas au contact immédiat des mercenaires russes. En revanche si la rupture est plus brutale avec la junte, la France pourrait alors prendre la route du Niger voisin. Il y a un plan B et même un plan C, glisse un haut gradé.
A Bamako depuis plusieurs jours on pèse le pour et le contre. Dans la balance : quelques centaines de mercenaires russes d’un côté, et une coalition internationale de l’autre et il y aurait, murmure-t-on, de sérieuses divergences au sommet du pouvoir malien.
Nous souhaitons que notre Mali explique aux Maliens de quoi il s‘agit exactement. C’est important parce que l’avenir du pays se joue à ce niveau et je ne souhaiterais pas que notre pays devienne un terrain d‘affrontement entre puissances.
Housseini Amion Guindo, président du parti politique Codem