Avant de devenir l’actrice fétiche d’Abdellatif Kechiche, Hafsia Herzi était la fille d’une femme de ménage. Avec « Bonne Mère », elle rend hommage à cette mère-courage sans mari qui l’a fait grandir dans les quartiers nord de Marseille. C’est là aussi où la réalisatrice est retournée pour tourner cette histoire très juste, à la fois touchante et universelle, qui sort ce mercredi 21 juillet dans les salles en France.
La première image continue à nous hanter bien longtemps après le film : une femme d’un certain âge, à la fois tendre et forte, regarde l’horizon au travers de la fenêtre de son immeuble HLM dans les quartiers Nord de Marseille. Entre rêve et réflexion, et avec le sourire, cette mère et grand-mère s’impose dans sa famille comme la Bonne Mère (la basilique Notre-Dame-de-la-Garde, NDLR) trônant depuis des siècles sur le destin de Marseille.
Avec Bonne Mère, Hafsia Herzi, Marseillaise de naissance, rend à la fois hommage à sa propre mère et au quartier où elle a grandi, les quartiers nord. Un double portrait réussi, incarné dans le film par Nora (Halima Benhamed, « un coup de foudre immédiat ») se donnant du mal pour faire exister et vivre sa grande famille très hétéroclite. Sa fille en a marre de se tuer aux petits boulots et va tenter sa chance dans la prostitution essayant de renverser les rapports de soumission. Son fils cadet passe son temps à glaner, faire le beau et jouer aux jeux vidéo. Il y a le fils aîné, actuellement en prison, pour lequel Nora soulève des montagnes afin de l’en faire sortir. Heureusement pour elle, il y a aussi son petit-fils qui se donne du mal pour réussir à l’école et rester droit dans la vie.
La beauté par la bonté
Hafsia Herzi dessine Nora comme une héroïne défiant son destin et les obstacles de la vie quotidienne dans ce quartier avec sa population abandonnée par les pouvoirs publics. Nora incarne l’amour par ses émotions, la beauté par sa bonté et le sacrifice par son sens de la solidarité infaillible. Et elle y arrive, malgré le fait qu’elle se trouve littéralement sur les dents. Cela fait des mois qu’elle a mal et ne peut plus manger correctement, mais elle préfère de payer l’avocate qui a promis de sortir son fils de la prison que de mettre l’argent sur le compte bancaire de son dentiste.
Rien ne fera se résigner Nora. L’ascenseur est encore une fois en panne ? Elle monte les cinq étages sans se plaindre, car elle garde son souffle pour préparer le déjeuner. Le quartier est de plus en plus délabré et délaissé ? Elle traverse avec honnêteté et droiture les zones des voyous et trafiquants de drogues. Son salaire en tant qu’agent de nettoyage des avions à l’aéroport ne suffit pas pour vivre ? Alors elle enchaîne après son travail avec un autre boulot donnant du cœur et de la joie à Liliane, une personne âgée.
La vie intérieure d’une héroïne
Hafsia Herzi a trouvé la bonne recette et la bonne façon de manier la caméra pour nous partager avec douceur et détermination la vie intérieure de son héroïne et faire naître les quartiers Nord de Marseille à l’écran. On sent bien que la réalisatrice a grandi juste en face de l’immeuble où elle a choisi de tourner cette histoire que personne d’autre n’a racontée avant elle au cinéma. Modestement, humblement, par indices interposés, ici le cri d’un coq, là un tatouage, elle donne corps aux personnages, aux appartements, aux petits réseaux de la drogue et de la prostitution, aux rues et au rap, entre fierté et résignation, entre espoir et soumission, entre poésie et prison, entre les quartiers de la pauvreté et les royaumes du cœur. À juste titre, Hafsia Herzi vient de remporter pour son film le Prix de l’ensemble de la sélection Un certain regard au Festival de Cannes.
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