C’est un des enjeux majeurs de la réconciliation des mémoires entre la France et l’Algérie. Un sujet resté longtemps enterré dans les sables du Sahara : la pollution du Sud algérien par les essais nucléaires français. Plus de cinquante ans après le dernier essai en 1966, Alger vient de créer une agence pour la réhabilitation des sites des anciens essais nucléaires.
De 1960 à 1966, l’armée française a procédé à 17 essais nucléaires dans le Sud algérien, sur les sites de Reggane et In Ekker. À l’époque, Albdekrim Touhami, natif de Tamanrasset, était adolescent. In Ekker est à 150 kilomètres au Nord. Il se souvient de l’installation de la base militaire française, perçue alors comme une source bienvenue d’emplois.
« Pour nous, c’était une aubaine. Tout le monde accourait pour avoir un poste de manœuvre ou de travailleur simple sur le chantier. Loin de nous l’idée que cette bombe allait être une catastrophe pour la région. On nous a dit : « Voilà, la bombe va éclater de telle heure à telle heure. Vous allez peut-être sentir des secousses comme une sorte de séisme. Mais n’ayez crainte, il n’y aura pas de problème. » »
Quinze ans après Hiroshima et Nagasaki, la dangerosité de l’arme nucléaire est connue. Le Sud algérien est choisi pour mener ces essais, car la zone est considérée comme assez désertique comparée aux Alpes du Sud ou à la Corse, tout en étant proche de la métropole française. La France veut démontrer rapidement sa capacité à utiliser la bombe dans un contexte de guerre froide et de course à la dissuasion nucléaire.
« La France voulait rattraper les autres puissances nucléaires qu’étaient les États-Unis, la Russie et le Royaume-Uni, pour rester dans ce qu’on appelait à l’époque « la cour de grands ». Ce qui explique en partie que ce qui était prioritaire, c’était le résultat, pas la préoccupation liée à l’impact environnemental ou aux dégâts collatéraux pour les populations. La priorité c’était de faire péter la bombe », rappelle Patrice Bouveret, co-fondateur de l’Observatoire de l’armement, un centre d’expertise indépendant.
Une zone très polluée
En 1962, l’Algérie devient indépendante. Les essais continuent. Une majorité, onze, a été réalisée entre 1962 et 1966 et donc avec l’accord des nouvelles autorités algériennes. Systématiquement, les déchets engendrés par ces essais sont enterrés, explique Jean-Marie Collin porte-parole de Ican-France (Campagne Internationale pour l’Abolition des Armes Nucléaires) qui a publié une étude avec Patrice Bouveret, « Sous le sable, la radioactivité ! ».
« Très clairement, la France a une volonté d’enfouissement, souligne Jean-Marie Collin. Elle considère le désert comme un océan, un océan de sable, et elle enterre tout ce qui est susceptible d’être contaminé. L’indépendance algérienne et le fait que la France ait quitté l’Algérie dans des conditions un peu compliquées, cela n’a pas joué en faveur d’une dépollution. Bien au contraire, on a laissé encore plus de déchets. »
Des déchets qui vont du simple tournevis au char exposé pour tester la résistance de l’équipement militaire à la bombe atomique. Autre pollution liée aux essais nucléaires, celle, accidentelle, lors de l’essai souterrain Berryl en 1962.
« Si on faisait des essais, c’est parce qu’on ne maîtrisait pas totalement cette technologie nucléaire et donc il y a eu des accidents qui ont fait dégager de la lave radioactive, poursuit le porte-parole d’Ican-France. L’essai concerné, c’était en 62. Nous, on y était en 2007. Les scientifiques ont mesuré la radioactivité qui était extrêmement forte et ils nous disaient : « Il ne faut pas rester plus de vingt minutes sur place, si on ne veut pas absorber de la radioactivité dangereuse pour l’organisme ». »
Une seule victime indemnisée
Des roches contaminées restées à l’air libre, dans des zones de passage. Du sable contaminé disséminé par les vents au-delà des frontières algériennes, au Niger voisin notamment. Depuis une quinzaine d’années, dans le secteur de Tamanrasset et avec très peu de moyens, Abdelkrim Touhami et son association Taourirt tente de dresser un bilan sanitaire.
« Nous avons appris que beaucoup de gens sont décédés de morts suspectes, confie-t-il. Les gens s’éteignaient peu à peu. Des bébés naissaient avec des malformations. Des cancers se sont déclarés au travers de cette catastrophe. »
À ce jour, aucun recensement officiel des personnes exposées, qu’elles soient françaises ou algériennes. Une seule victime algérienne a été indemnisée dans le cadre de la loi Morin (2010). Le décret du 31 mai créant en Algérie une agence de réhabilitation des sites des essais est une étape importante pour Jean-Marie Collin d’Ican-France
« Jusqu’à présent, explique-t-il, l’État algérien créait une certaine zone de surveillance sur ces sites, mais il n’y avait jamais eu d’action pour protéger ces zones afin d’éviter tout accès véritablement. Ce décret engage la possibilité que des organisations internationales comme des États puissent venir aider à la réhabilitation de ces sites d’essais nucléaires. Ce que l’on a dans le même temps, ce sont des discussions entre la France et l’Algérie, révélées officiellement en avril, alors qu’officiellement jusque-là, ces discussions n’existaient pas officiellement. »
Ces discussions se sont déroulées dans le cadre du groupe de travail franco-algérien sur les essais nucléaires, créé en 2008 sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Cet enjeu de la réhabilitation a aussi été inscrit dans le rapport de Benjamin Stora sur la réconciliation des mémoires entre la France et l’Algérie. Alger doit ratifier avant mi-octobre le Tian, le Traité pour l’interdiction des armes nucléaires, dont la France n’est pas signataire.
Les partisans de la réhabilitation des anciens sites des essais nucléaires souhaitent l’envoi d’une mission conjointe franco-algérienne pour cartographier les sites pollués pour les circonscrire, pour à terme les traiter afin que les habitants ne soient plus exposés à la radioactivité.