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Analyse

Alaa Salah, icône de la révolution au Soudan: «il ne faut jamais se taire sur ses droits»

La jeune militante soudanaise Alaa Salah est devenue l’icône de la contestation dans son pays avec ses chants révolutionnaires. Aujourd’hui, elle raconte son vécu durant le soulèvement dans un livre écrit par Martin Roux et intitulé Le chant de la révolte, édité chez Favre. En 2019, Alaa Salah, alors étudiante en architecture, âgée de 23 ans, participe à sa manière aux manifestations. Juchée sur le toit d’une voiture, toute de blanc drapée, elle chante majestueusement des poèmes engagés que la foule reprend derrière elle. Aujourd’hui, elle poursuit sa lutte engagée pour la défense des droits dans son pays. Entretien.

RFI : Alaa Salah quels sont les valeurs véhiculées par cette poésie que vous déclamiez lors de la révolution ?

Alaa Salah : Il s’agit des valeurs et des slogans de notre révolution : Liberté, paix, justice. Je chante : « la balle ne tue pas, ce qui tue, c’est le silence de l’homme ». En fait, il ne faut jamais se taire sur ses droits. Si tu te tais, tu peux mourir, alors que si tu dénonces et essaies de faire régner la justice, ta mort pourra servir la patrie et sera pour toi un honneur.

Avec vos chants poétiques, vous êtes devenue l’icône de la révolution soudanaise, vous étiez toujours habillée en thobe blanche, était-ce un symbole ?

En mars 2018, dans les universités, les femmes soudanaises ont initié l’opération « mars blanc ». Cela signifiait notre soutien, en tant que femme à la révolution soudanaise, le refus des exactions contre les manifestants pacifiques, le refus des exactions contre les droits de l’homme, le refus de toute injustice commise envers les femmes par l’ancien gouvernement. J’ai porté à nouveau cette robe blanche lors du « sit-in » de la place du commandement général à Khartoum, pour rappeler notre message du mois de mars.

Vous êtes devenue un symbole et on vous a surnommée, comme certaines autres femmes : « Kandaka ». D’où vient ce mot et que signifie-t-il ?

Kandaka, est le nom qui a été donné aux reines nubiennes courageuses et combattantes, il y a 7 000 ans. Elles symbolisent le courage, la lutte et le militantisme. Durant la révolution en 2018, 60% des manifestants étaient des femmes, nous avons joué un grand rôle. La révolution a montré que nous étions fortes et que nous sommes en train d’emprunter le même chemin que nos grands-mères. C’est pour ses similitudes qu’on nous a appelé « Kandaka ».

La révolution a permis à la femme soudanaise de se libérer des restrictions imposées par l’ancien régime. Êtes-vous une femme libre aujourd’hui ?

Le Soudan est un pays d’une grande diversité. Pour nous c’est une source de fierté. Mais l’ancien régime a tenté de mettre tout le monde, toute cette beauté dans un même moule. La première chose qu’on a faite, a été de casser ce moule dans lequel on nous avait enfermé(e)s. L’ancien régime a fait en sorte d’adopter des lois restreignant au maximum la voix et la liberté de la femme. Ils savaient très bien que la voix de la femme est une révolution en soi. Nous nous sommes révoltées. Nous avons brisé les chaînes et repris une grande partie de nos droits. Nous sommes toujours en chemin pour obtenir le reste. L’ancien régime craignait vraiment les femmes soudanaises parce qu’elles sont réellement courageuses, fortes et combattantes.

Avant la révolution, vous aidiez des personnes non-voyantes à étudier, aujourd’hui vous luttez pour maintenir à l’école les jeunes filles ?

L’éducation est un critère pour mesurer le degré de développement d’un pays. Au Soudan, l’ancien régime nous a légué un système éducatif en ruine. Je suis complètement convaincue que pour réaliser un vrai changement dans le pays, il faut d’abord changer le système éducatif. En ce qui concerne l’enseignement, nous avons un chiffre énorme de filles de moins de 15 ans qui abandonnent l’école car elle se marient très jeunes. Ceci est pour nous quelque chose de très choquant. Nous luttons pour qu’elles aient le droit à l’éducation. Un bon environnement éducatif produirait des enfants et des mères éduquées et donc une société développée.

Politiquement, en tant que révolutionnaire comment avez-vous vécu la décision du Soudan de normaliser les relations avec Israël ?

C’est une décision gouvernementale et non pas la décision du peuple soudanais. Nous, en tant que Soudanais, nous refusons cette normalisation. Notre soutien au peuple palestinien a été très clair avec l’organisation des manifestations protestataires. Il y a un énorme refus. La normalisation ne nous représente pas.

Le 3 juin 2019, les forces armées du conseil militaire dirigées par les forces de soutien rapide ont violemment dispersé les manifestants à Khartoum. Plus de 100 personnes ont été tuées. Pourtant, les responsables n’ont toujours pas été désignés ?

Pour nous, le peuple, nous savons très très bien ce qui s’est passé lors du massacre de la place du Commandement général. Pour nous l’affaire est déjà conclue. Au vu des faits constatés par tous, la décision du Comité d’investigation devrait être similaire à la nôtre. Sinon, nous ne serons pas concernés par leur décision. Le retard pris dans l’annonce du résultat a créé le mécontentement chez les révolutionnaires. Nous nous sentons en quelque sorte trahis. Pour nous le résultat est connu, mais il y a des tentatives de camoufler la vérité ou de gagner du temps. La réponse des manifestants sera la conséquence du résultat annoncé. Nous savons tous que celui qui a commis le massacre est celui-là même qui a dissous le « sit-in » par la force. Je pense que tout ce retard est délibéré afin d’éviter sa réaction en cas d’accusation.


 Le chant de la révolte – Le soulèvement soudanais raconté par son icône de Alaa Salah, Martin Roux et Rokhaya Diallo (préface), aux éditions Favre, 2021.

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