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L’Afrique des musées: la refondation du Musée national de Tripoli en Libye

« Le pays a besoin de ce musée. » Situé dans une ancienne forteresse, appelée aussi le « Château rouge » ou As Saraya al-Hamra, le Musée national de Tripoli héberge une des collections les plus exceptionnelles d’Afrique du Nord et les incroyables richesses du patrimoine archéologique libyen. Entretien avec Mohamed Fakroun sur les enjeux de l’actuelle refondation et réhabilitation du musée national de Libye.

Longtemps directeur général de ce plus grand musée d’histoire du pays, Mohamed Fakroun est aujourd’hui membre du département des Antiquités de Libye et en tant que directeur du département archéologique de Tripoli responsable pour les musées régionaux et nationaux dans la région. Dix ans après la révolution et la chute de Kadhafi, le projet de la refondation cherche à mettre le musée national au service de la population et de le transformer en centre de connaissance où l’on raconte l’histoire du peuple libyen.

RFI : Quel est pour vous le côté unique du Musée national de Tripoli ?

Mohamed Fakroun : Le côté unique du musée national de Tripoli est d’abord le lieu où se situe le musée, au cœur de la médina de Tripoli, au Château rouge [déjà à l’époque byzantine, il y avait une grande forteresse pour défendre la ville. Au XVIe siècle, pendant l’occupation espagnole, la forteresse a été peinte en rouge, d’où son nom. Dès 1919, les colonisateurs italiens ont aménagé une partie du bâtiment en musée. En 1948, le Château rouge a été transformé en Libyan Museum Complex avant que Mouammar Khadafi inaugure en 1988 les 8 250 mètres carrés du nouveau Musée national de Tripoli]. Il est aussi unique, parce que la collection du musée couvre toutes les périodes historiques depuis l’âge de pierre et les civilisations préhistoriques. Dans notre projet de réhabilitation, il y a l’idée de faire renaître ce musée pour qu’on puisse regarder toute l’histoire de l’ensemble du pays, du début jusqu’à aujourd’hui.Vue de la section romaine du musée national de Tripoli (As Saraya al-Hamra) en 2006.

Pourriez-vous nous citer une ou deux œuvres emblématiques de la collection du musée ?

Par exemple, il y a une stèle funéraire représentant la déesse Perséphone, la fille de la déesse Déméter, l’épouse d’Hadès. C’est une stèle de style tout à fait libyen qu’on ne connaît nulle part ailleurs. Elle est unique au monde et vient d’une découverte archéologique réalisée dans la nécropole nord de Cyrène, une des villes les plus « grecques » en Libye.

Il y a aussi une statue représentant la déesse Vénus Aphrodite. Cette statue de la fin du IIe, début du IIIe siècle, a été restituée par les Italiens à la fin du XXe siècle. Découverte dans les thermes de Leptis Magna, elle a une histoire tout à fait intéressante. Emportée par les Italiens comme cadeau pour les Allemands autour de 1939, elle a été restituée par les Italiens à la fin du XXe siècle.

Depuis dix ans, la Libye a la réputation d’être un pays martyr. Depuis la révolution libyenne en 2011, y a-t-il encore des visiteurs au musée national de Tripoli ?

À partir de 2011, l’instabilité dans le pays nous a forcés de fermer le musée jusqu’à la fin de l’année 2011. En 2012, nous avons repris notre travail sur les collections. Après, la situation s’est un peu calmée. On a refermé le musée à partir de 2015 jusqu’à aujourd’hui. Pour ne pas perdre du temps, on a eu le projet de réhabiliter le musée de Tripoli. Dans ce cadre-là, on a reçu l’expertise d’experts français dans ce domaine et on a une convention avec la Mission française archéologique de Libye (MAFL) pour faire des études concernant l’ensemble du musée. Dans une première phase, nous avons étudié toute la collection du musée pour commencer prochainement avec le travail.

Dans le cadre de cette refondation et réhabilitation du musée, comment allez-vous « redéfinir le regard porté sur l’histoire de la Libye » ?

D’abord, nous allons mettre le musée aux normes du XXIe siècle. Le musée a été construit dans les années 1980, avec les normes de cette époque. On ne touche pas à la collection du musée. La collection sera la même, mais il faut que les visiteurs puissent bien comprendre, bien apprécier et bien s’approcher de notre collection pour qu’ils se puissent s’y identifier. Il ne s’agit pas de changer simplement le regard. À l’époque où ce musée a été réalisé, c’était un regard de cette époque, influencé par la politique. Aujourd’hui, on souhaite un musée qui parle que d’héritage. On souhaite montrer aux gens l’importance du patrimoine culturel de notre pays.

Jusqu’à la fin du règne de Kadhafi, un étage du musée était consacré à la période contemporaine et en partie dédié à la gloire de Mouammar Kadhafi. Dix ans après la mort de Kadhafi, comment allez-vous faire vivre la période actuelle ?

La corruption de cette période [pendant le règne de Kadhafi, NDLR] ne sera jamais une fierté. Peut-être, il y aura un autre projet pour un musée dédié à l’histoire contemporaine. Le musée national de Tripoli est surtout destiné à traiter les périodes classiques et du Moyen-Âge, la vie quotidienne et l’artisanat de ces époques. Mais, il y a la perspective de créer un autre musée parlant de la Libye du XXe et du XXIe siècle, avec tout ce qui s’est passé depuis l’arrivée des Italiens, jusqu’à aujourd’hui.

La pandémie du coronavirus, a-t-elle changé votre manière de présenter les œuvres et votre relation avec le public ?

Pour des raisons de sécurité et de protection des œuvres, il n’y a qu’un seul musée encore ouvert dans la région de Tripoli. Les autres sont fermés par précaution, pour éviter des pillages ou d’être une cible, car même récemment, il y avait des combats pas très loin du centre de Tripoli.

Après la réouverture du musée national, quelle place occuperont les outils numériques ?

C’est une question très difficile qu’on est en train d’étudier. Cela va être une de nos priorités pour servir les visiteurs, pour permettre au public d’étudier, de comprendre et d’apprécier les détails des œuvres, mais aussi pour protéger les œuvres du musée.

Au niveau international, quelles sont les collaborations les plus importantes du musée avec d’autres musées, sur le continent africain et en dehors de l’Afrique ?    

Au niveau régional, on travaille beaucoup avec nos voisins tunisiens et égyptiens dans plusieurs domaines, concernant des stages, des formations ou le travail avec le public… Au niveau international, on a un projet en cours avec le musée du Louvre en France. Et une délégation du musée national de Tripoli fait des études en collaboration avec le musée d’Arles antique. On travaille beaucoup avec la France et l’Italie et on compte beaucoup sur leur expérience dans ce domaine.

En 2018, le président français a lancé un grand débat sur la restitution du patrimoine africain. Entre la Libye et l’Italie, il y a eu l’histoire de la restitution de la Vénus de Cyrène, en 2008. À l’époque, Mouammar Khadafi et Silvio Berlusconi avaient conclu ce premier accord signé par une ex-puissance coloniale. Quel est votre point de vue sur ce débat aujourd’hui autour de la restitution ?Le Musée national de Tripoli, est-il concerné par la question ?  

Je ne pense pas que le musée national de Tripoli est concerné par l’initiative du président français. Cela concerne surtout les anciens pays colonisés par la France, des pays où beaucoup d’objets sont partis pendant l’époque coloniale. Nous sommes surtout concernés par la période récente où il y avait beaucoup de prises clandestines et trafics illégaux d’objets archéologiques.

Après la réhabilitation, comment voyez-vous le Musée national de Tripoli dans dix ans ? Quelle est votre vision pour 2030 ?

Dans trois ou quatre ans, on aura peut-être fini le travail de la réhabilitation. On retrouvera nos visiteurs et le musée retrouvera son statut de destination incontournable à Tripoli et de haut lieu du patrimoine culturel de la Libye. Mais pour retrouver nos visiteurs locaux et internationaux, on a d’abord besoin d’une situation sécuritaire stable.

Le musée sera-t-il une sorte de repère pour le pays, un facteur de changement ?

Le musée national de Tripoli n’est jamais tombé dans l’oubli et ne tombera jamais dans l’oubli. Le pays a besoin de ce musée. Vous n’imaginez pas le nombre de messages qui me demandent quand le musée sera enfin ouvert de nouveau. Les gens en ont besoin. Mais, il y a une question de temps et de moyens. Ce n’est pas simplement une question d’argent. On a aussi besoin de stabilité dans le pays. Le projet prendra un certain temps avant de pouvoir recevoir du public des quatre coins du monde. On a eu des Français, des Italiens, des Anglais, des Japonais… À une certaine époque, la Libye était une destination pour le tourisme. Le musée de Tripoli était incontournable pour tous les visiteurs de la Libye.

Quand la réhabilitation sera-t-elle terminée ?

La phase d’évaluation sera terminée en 2021. On est en train de négocier le budget avec nos partenaires et sponsors gouvernementaux et internationaux pour réaliser le futur musée. Si tout se passe bien, le musée sera ouvert en 2025.

Le 17, 18 et 19 mai 2021 aura lieu un colloque international en ligne sur la Libye antique, sous l’égide de la Mission archéologique française de Libye, du Centre de recherche sur la Libye antique et l’Institut National d’Histoire de l’Art. À l’occasion du 45e anniversaire de la mission archéologique française de Libye.

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