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La présence africaine au Festival du court métrage de Clermont-Ferrand

Quatre films africains (Afrique du Sud, Égypte, Soudan, Tunisie) étaient en lice pour les trophées du Festival du film court de Clermont-Ferrand, le plus grand rendez-vous au monde pour les courts métrages. Finalement, le palmarès 2021 n’a retenu qu’un seul : « Al-Sit » de Suzannah Mirghani (Soudan, Qatar), primé avec le Prix Canal+/Cine+. Néanmoins, la qualité et la diversité des films sélectionnés venus d’Afrique restent impressionnantes et accessibles jusqu’au 13 février pour tout le monde en France sur la plateforme du festival.

Grand vainqueur au Festival de Cannes 2020 en octobre, où il a remporté la seule Palme d’or décernée dans cette année du coronavirus, le réalisateur égyptien Sameh Alaa, est reparti bredouille du palmarès 2021 du Festival de Clermont-Ferrand. I am afraid to forget your face (Je crains d’oublier ton visage) raconte en quinze minutes l’histoire d’un amour malheureux dont ignore tout.

Avec un jeu très subtil pour à la fois évoquer et défier la tradition et l’oppression subies par les femmes, Adam, le protagoniste, se travestit en femme. Caché derrière son voile intégral, il traverse la ville du Caire à pied et en bus, se frottant aux non-dits des lieux publics et des sphères privées. Car uniquement en tant que femme, il a le droit de pénétrer dans cette chambre mortuaire baignée dans un blanc aussi divin qu’aveuglant pour pleurer sa bien-aimée après son suicide. Sameh Alaa, né en 1987 au Caire, dirige sa caméra de façon autant poétique qu’implacable pour faire surgir les soubassements de cette histoire aussi sordide que politique.

« Al-Sit » au Soudan

Suzannah Mirghani, cinéaste avec des origines soudanaises et russes, est la seule réalisatrice du continent africain à rentrer de l’édition 2021 avec une distinction, le Prix Canal+/Ciné+. Al-Sit ouvre avec un coup de foudre dans un champ de coton au Soudan. Mais le jeune homme touché par le regard tendre de la jeune Nafisa, n’est pas le bon pour la famille. Le gendre idéal vient d’arriver, habillé en costard-cravate, il cherche un signal pour son smartphone et déclare que ses parents ne pourront pas venir pour la demande au mariage : « Ils sont trop occupés à gérer l’entreprise » à Doha. Nadir rêve de réaliser l’affaire du siècle en unissant les forces, les nouvelles machines au Qatar avec l’héritage du coton soudanais. Mais l’histoire entre l’homme d’affaires et Nafisa commence mal. Lors de la première rencontre, il se trompe et la prend pour une servante apportant le thé…

De toute façon, dans ce village fidèle aux traditions, pas de mariage sans l’accord de la matriarche Al-Sit. Et celle-ci se méfie des habits trop clinquants en polyester. Pas de quartier pour Nadir, même si ses ancêtres venaient du même village. « Ils étaient obligés de partir pour construire une meilleure vie », clame-t-il. « Qu’est-ce qui ne va pas avec notre mode de vie », rétorque la sage du village et scrute chaque millimètre de son visage : « Tu ressembles à ton grand-père qui parlait aux Anglais dans leur langue. Écoute-moi bien : ce mariage n’aura jamais lieu. » Et elle s’oppose avec la même véhémence au mariage de cœur souhaité par Nafisa. Mais cette dernière est bien décidée à déplacer des montagnes, de faire neiger de flocons de coton dans la nuit et de trouver une troisième voie entre le rouleau compresseur du capitalisme et le poids étouffant de la tradition. Une fable poétique, nourrie par les souvenirs d’enfance de la réalisatrice, délicatement mise en scène comme un conte d’aujourd’hui. Ceux qui ont l’impression d’avoir été laissés sur leur faim concernant le traitement des questions sur le féminisme et les ravages du colonialisme et du capitalisme au Soudan peuvent être rassurés. La réalisatrice est en train d’élargir le film pour en faire un véritable long métrage dont elle a déjà dévoilé le titre : Cotton Queen, La Reine du coton.

Les montagnes de rêve en Afrique du Sud

Avec Heaven reaches down to earth (Le Paradis descend sur terre), le cinéaste sud-africain Tebogo Malebogo a réalisé un film très surprenant. Ce fils d’un diplomate, né au Royaume-Uni, qui a grandi au Canada, Kenya et en Afrique du Sud, avait été couronné aux Journées cinématographiques de Carthage avec le Tanit de bronze pour son précédent court métrage Mthunzi. Pendant les dix minutes de son nouveau film, il parcourt le réveil homosexuel de Tau et Tumelo. Une renaissance qui se transforme en fresque cinématographique très naturaliste, très allégorique, rythmée par des dialogues entre les hommes et les montagnes. Filmé parfois en format carré, l’œil du spectateur est immergé dans un flux d’images époustouflantes tournées dans la réserve naturelle de Limietberg en Afrique du Sud, avec un lac de montagne et des vallées saturées de nuages. Comment explorer une montagne, comment éteindre le feu ? Hors champ, une voix chuchotée transporte les émotions de ceux qui souhaitent se mesurer avec les forces de la nature et aller au bout de leurs limites. Jusqu’au moment où les montagnes, qui aspirent être explorées, se transforment en corps humains dévorés par les désirs.

La Tunisie, « Hors jeu flagrant »

Hors jeu flagrant oscille entre comédie et polar politique et satirique. Le réalisateur tunisien Sami Tlili, 35 ans, également directeur artistique du Festival international du film de Gabès, fait surgir l’arbitraire et le ridicule du système à travers de deux policiers qui patrouillent la nuit dans des rues désertes dans un pays sous tension. Ils suivent à la radio le match décisif de l’équipe de foot tunisienne pour se qualifier en Coupe du monde de football quand soudainement la transmission s’interrompt. C’est alors un homme intègre dans sa voiture qui va faire les frais de leur abus du pouvoir pour satisfaire leurs intérêts bassement personnels. Filmé avec un vrai talent pour le suspens et un décor à minima – deux voitures et un bar bondé avec des supporteurs de football – Sami Tlili en extrait sur grand écran un petit bijou, grâce aux exploits formidables de ses acteurs pour rendre toute sa dimension politique à cette métaphore du « hors jeu flagrant ».

Les films africains, une priorité du Festival

Pour Tom Redford, délégué général du Festival, programmer des films africains, cela restera une priorité :  « Oui, c’est une priorité et cela restera une priorité. C’est la trentième année de notre sélection Regards d’Afrique. On a une dizaine de films en compétition aussi. Aujourd’hui, il y a deux courants. On a reçu moins de films, mais plus de films du Maghreb. Et il y a deux pays qui ressortent vraiment cette année. L’Egypte et l’Afrique du Sud accumulent la moitié des inscriptions du continent africain. En tout, on a reçu 150 films de tout le continent et la moitié provient de ces deux pays. Cela vient du fait qu’on s’y déplace pas mal, on a des réseaux. En Afrique du Sud, il y a une industrie très forte et très bien implantée. Et en Egypte, il y a vraiment quelque chose qui est en train de se passer. On l’a vu avec la Palme d’or du court métrage 2020 du Festival de Cannes, I am afraid to forget your face, de Sameh Alaa. Malheureusement, des autres pays africains on reçoit moins de films, parce que cela dépend aussi des perturbations politiques. Mais, on a quand même douze pays représentés du continent africain. Il y a notamment un programme très intéressant cette année, labelisé par l’Institut français pour la Saison Africa 2020 : Promesses africaines, graines de héros que je recommande à tout le monde. »

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Tous les films de cette édition entièrement numérique du Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand restent disponibles sur la plateforme du festival jusqu’au 13 février.

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