En Côte d’Ivoire, au dernier recensement de 2014, près de 500 000 personnes souffrant de handicap physique étaient recensées. Mais en réalité il se pourrait qu’ils soient beaucoup plus nombreux compte tenu du fait que très souvent les familles les cachent par honte. Au-delà des préjugés, le handicap pose des problèmes matériels très lourds pour des familles souvent pauvres. Les enfants qui ne peuvent se déplacer seuls ne peuvent aller à l’école et sont condamnés ainsi à la misère et à la dépendance.
Avec notre correspondant à Abidjan, Pierre Pinto
Christelle Kouakou Afwe est maman de jumeaux. Deux beaux garçons de 9 ans, Ismaël et Elias. Ismaël souffre d’une maladie neurologique qui lui paralyse les jambes. Des jambes emprisonnées dans des prothèses externes en métal qui lui font souffrir le martyre. Quand les garçons ont eu deux ans, leur père, par honte du regard de ses voisins, a mis sa famille à la porte. Christelle élève donc seule ses garçons en faisant des ménages pour avoir de quoi vivre.
« Il ne peut pas se déplacer en béquilles. Je dois le porter sur le dos pour aller à l’école. Je dois le changer, mettre ses chaussures. Ses pieds étaient pliés. Les appareils ont fait qu’ils se sont redressés au fur et à mesure mais la douleur est encore là. Il doit porter ces fers toute la journée, toute la nuit pour que cela se termine et qu’il puisse marcher. » Ces « fers » lui ont coûté cher, glisse-t-elle.
« Un cri du coeur » pour « des enfants abandonnés »
Le sort d’Ismaël est malheureusement très commun en Côte d’Ivoire. Les aides pour les enfants handicapés n’existent quasiment pas. Les coûts de rééducation ou d’équipements sont supportés par les familles avec parfois l’aide d’associations comme celle de Pierre Kassi Aboigni, de l’ONG Ayibouaté (bienfaisance en langue ebrié). Handicapé moteur lui-même, il sait combien un fauteuil peut changer la vie d’un enfant et exhorte le gouvernement à aider dans ce sens.
« Un fauteuil coûte 2,5 millions [de francs CFA, NDLR]. En tant que vice-président d’une ONG, c’est un cri du coeur que je lance, en particulier à M. le ministre de la Protection sociale pour qu’il se penche un peu sur ces enfants qui sont vraiment abandonnés. Je pèse bien mes mots : ce sont des enfants abandonnés. »
Hortense Loucou est la tante de Samuel, 10 ans. Samuel souffre de troubles neurologiques qui lui paralysent tout le côté droit. Il ne peut se déplacer qu’en rampant et ne peut donc aller à l’école. Ses journées, il les passent essentiellement devant la télé. Hortense exhorte elle aussi l’État à faire davantage pour aider les enfants dans son cas.
« Les fauteuils coûtent vraiment très cher. Donc si vraiment on pouvait donner un peu à ces enfants pour les aider à se déplacer. En plus, il est très intelligent, il a une bonne mémoire. Son français est propre, même sans aller à l’école, parce qu’il retient facilement ce qu’il entend. »
Le handicap n’est pas une fatalité
Pierre Kassi Aboigni a un combat : expliquer aux parents d’enfants handicapés que le handicap n’est pas une fatalité. Il feuillette le livre de la journaliste Agnès Kraidy, une galerie de portrait de personnalités ivoiriennes handicapées qui ont en commun d’avoir pu aller à l’école pour surmonter leur handicap.
« Ils sont allés à l’école. Elle est enseignante, lui informaticien. Lui c’est un ancien ministre. Il est en fauteuil roulant. Ca veut dire que tout est possible ! »
Aussi met-il l’État devant ses contradictions : « Chaque année, l’État de Côte d’Ivoire dit : école inclusive, école pour tous. Mais pour un enfant handicapé, les classes ne sont pas adaptées. Il n’y a pas de prise en charge de ces enfants. Ils font comment pour se payer un fauteuil à 2,5 millions ? L’État doit aider les parents pour qu’ils puissent aider leurs enfants. »