La fermeture des frontières et le confinement dus à la crise du coronavirus ont stoppé les mouvements de population sur une grande partie de la planète ; et dans l’Union européenne, selon Frontex, très peu de migrants sont arrivés illégalement au mois d’avril : 900, quasiment 85% de moins qu’en mars.
► L’agence européenne de surveillance des frontières reste mobilisée et poursuit notamment sa transformation : 2020 est une année charnière pour son directeur exécutif, Fabrice Leggeri, avec la création du corps permanent de garde-frontières et garde-côtes européens.
RFI : Fabrice Leggeri, comment envisagez-vous la réouverture des frontières extérieures après cette crise inédite dans l’espace Schengen ?
Nous appliquerons bien sûr les procédures habituelles du code Schengen, mais on peut anticiper que la question de la pandémie restera d’actualité. Et nous allons probablement renforcer la dimension sanitaire du contrôle aux frontières extérieures. Jusqu’à présent, il était essentiellement concentré sur les questions migratoires et sécuritaires. Mais on voit qu’il y a sur ce sujet un travail important à réaliser avec les autorités sanitaires nationales mais aussi au niveau de l’Union européenne. Frontex y contribue depuis le début de la pandémie et il est probable que ce sera un impact durable de ce confinement.
D’après un rapport interne cité par certains journaux européens, Frontex s’attend à un nouvel afflux de migrants à la frontière entre la Turquie et la Grèce, les opérations sont maintenues ?
Nous avons fait cette évaluation d’une part au regard du nombre de migrants en situation irrégulière qui souhaitaient entrer en Grèce au moment où les autorités turques – et notamment le président Erdogan – avaient annoncé que les frontières étaient ouvertes et que tous les migrants qui le souhaitaient pouvaient entrer en UE. D’autre part, l’absence de mobilité pendant la crise du coronavirus fait qu’il y a du côté des migrants qui veulent bouger, du côté des passeurs et des organisations criminelles un « retard » qu’ils vont essayer de combler. Il y a enfin en toile de fond les déclarations répétées du président Erdogan disant que de toute façon, après le Covid-19, les frontières seraient à nouveau ouvertes vers l’Europe. Certes, il y a peut-être des inflexions à attendre, mais je pense qu’il faut rester vigilant et c’est la raison pour laquelle en tant que directeur exécutif de l’agence, avec les autorités grecques, j’ai décidé de maintenir l’opération d’intervention rapide aux frontières terrestres et maritimes de la Grèce. Cette opération qui a commencé début mars a été renouvelée jusqu’à début juin et nous planifions une possible extension jusqu’à début juillet. Pour le moment, environ 600 garde-côtes et garde-frontières sont déployés en Grèce ce qui montre d’ailleurs que la crise Covid-19 ne nous a pas empêchés de maintenir cette présence, nécessaire pour faire face aux incertitudes de la reprise de la mobilité.
Qu’en est-il en Méditerranée ? Les traversées continuent, comment intervenez-vous ?
Nous avons maintenu les opérations de Frontex en Espagne et en Italie avec des effectifs un peu réduits parce que les autorités nous ont indiqués qu’en raison de la diminution des arrivées il était moins nécessaires d’avoir une présence importante, néanmoins une centaine de garde-côtes frontières sont présents en Italie et Espagne. Nous avons des avions qui font de la surveillance aérienne et lorsque nous détectons des embarcations en difficulté ou même en train de se mettre en mer nous prévenons les centres de coordination des secours maritimes de la région. Dans tous les cas, nous prévenons les centres de secours maritime d’Italie et de Malte, et lorsque les bateaux de migrants sont plus proches de la côte nord-africaine, nous informons le centre de secours maritime de Tripoli et le centre de coordination des secours de Tunisie. Nous appliquons le droit international, puisque ces pays ont déclaré une zone de secours maritime qui est de leur compétence et que nous devons partager avec eux l’information en temps réel. Frontex n’a pas pour le moment de bateaux déployés dans cette zone, et en général les interceptions ou sauvetages qui ont eu lieu se passent bien en dehors de la zone opérationnelle de Themis (nom de l’opération conjointe avec l’Italie). En revanche sur le plan de la surveillance aérienne nous déployons nos moyens bien au-delà donc nous pouvons surveiller assez facilement ce qui se passe dans la zone de secours déclarée par la Libye. 2020 est une année charnière pour Frontex, avec la création d’un corps permanent de garde-côtes et garde-frontières européens. Désormais armés et en uniforme, ils seront placés sous l’autorité directe de l’Union européenne.
Qu’attendez-vous de cette transformation ?
Avec le corps européen de garde-frontières nous n’aurons plus à quémander le déploiement de personnel aux Etats membres
Tout d’abord, je tiens à confirmer que le corps européen sera bien déployé à partir du 1er janvier 2021. Nous sommes en train de recruter, nous avons eu à peu près 7 500 candidats pour une première vague de 700 recrutements donc nous avons l’assurance d’avoir des candidats de qualité. Ce corps d’armement européen directement employé par Frontex va nous permettre d’être beaucoup plus flexibles, et d’agir en fonction des besoins sans être obligés de quémander le déploiement de personnel par les États membres. Par ailleurs, il aura aussi des équipements : nous sommes en train de faire l’acquisition de nos propres voitures pour la surveillance terrestre, également de nos propres moyens de surveillance aérienne – avions, drones et ballons.
Quelles seront ses missions ?
Nous allons essentiellement aider les États dans trois registres : d’abord détecter et traiter l’immigration irrégulière ce qui inclut la détection aux frontières, l’enregistrement, et pour ceux qui ne sont pas éligibles à l’asile, l’organisation du retour dans le pays d’origine. Il y a ensuite le registre sécuritaire, qui depuis deux ou trois ans est en développement, c’est la lutte contre la criminalité internationale. Enfin, la bonne gestion des frontières extérieures c’est la bonne gestion de la mobilité des personnes : c’est le troisième registre. Il est important d’avoir des frontières extérieures qui fonctionnement rapidement (c’est aussi un élément de compétitivité économique) de manière fiable, avec l’assurance que tous les contrôles de sécurité et d’immigration sont faits. Et peut-être rajouterons nous davantage de contrôle sanitaires suite à la pandémie. Nous savons qu’il manque 6 à 7 000 garde-frontières à l’échelle européenne. Nous allons donc pouvoir soutenir les États membres. Soit sur une moyenne ou longue durée pour des pays comme la Grèce ou l’Italie, qui font face régulièrement à des crises migratoires, soit ponctuellement pour d’autres pays de l’UE ou de l’espace Schengen qui ont parfois des faiblesses dans la surveillance des frontières (manques de personnel ou problèmes de logistique). Comme le disent les textes, la frontière extérieure est une frontière commune et sa gestion est une fonction partagée entre les États et l’Union européenne.
Donc on va voir des agents en uniforme Frontex dans les aéroports européens ?
Oui, il y en a déjà à Roissy, Francfort ou d’autres aéroports. Pour le moment, c’est surtout pour l’analyse des risques et la formation, mais c’est tout à fait cela : vous verrez dans les lieux de passage officiels réguliers de plus en plus de garde-frontières européens en uniforme, c’est le sens de la création du corps européen.
Reprenons le cas de la frontière entre la Grèce et le Turquie : des cas de mauvais traitement des migrants ont été dénoncés, personnes dépouillées, violences sexuelles, un migrant est mort d’un tir à balle réelle …
Le gouvernement grec a démenti que des personnes aient été tuées par la police grecque, c’est un démenti très formel.
On ne sait pas en effet à qui ils sont attribués, mais il y a eu des tirs à balle réelle documentés par les médias et les ONG. Lorsque la force armée de garde-frontières européens interviendra sur le terrain, comment allez-vous organiser le partage des responsabilités et du commandement avec les autorités nationales ?
Nous aurons comme c’est le cas dans les opérations actuelles un plan opérationnel décidé conjointement par l’agence et le pays hôte de l’opération (objectifs, moyens opérationnels). Il y aura un certain nombre de règles de bonnes conduites et des règles d’engagement de l’usage de la force, et le commandement tactique, quotidien de la mise en œuvre des opérations se fera sous l’autorité nationale de l’État hôte. Donc si on est en Grèce, c’est la police grecque qui donne le commandement, si on est à l’aéroport de Roissy, c’est la police aux frontières françaises. Mais évidemment, il y aura de plus en plus une sorte de double vérification : l’agence s’assurera de la bonne discipline de ses agents et s’assurera aussi que les instructions données par les autorités nationales sont bien en conformité avec le plan opérationnel.
En cas d’incident, typiquement en cas d’usage disproportionné de la force qui pourrait aller jusqu’à l’usage illégitime d’arme à feu, il y aura un mécanisme de supervision qui s’appliquera au personnel de Frontex : c’est le directeur exécutif de l’agence qui enquêtera en association avec l’État hôte pour conclure s’il y a eu faute, s’il faut une sanction. Par ailleurs il y aura encore des garde-frontières mis à disposition par les États membres, qui ne feront pas partie du corps permanent. En ce qui les concerne, en cas de problème, les autorités de leur pays seront impliquées dans le processus.
À qui l’agence rend-elle compte ?
Pour moi Frontex est un exemple de bonne responsabilité et de compte-rendu. Le conseil d’administration réunit tous les États membres et États associés Schengen, plus la Commission européenne. Je me rends en tant que directeur exécutif en moyenne 5 fois par an devant la commission Libertés civiles du Parlement européen, ainsi qu’aux auditions de la commission du budget. Il y à la fois un contrôle démocratique et un contrôle de la bonne administration des deniers publics.
Il vous est pourtant reproché parfois de manquer de transparence ?
Je sais que certains sont un peu frustrés, mais il y a eu 1 600 documents diffusés l’an dernier dans le cadre de la procédure d’accès aux documents publics (qui permet à chaque citoyen d’avoir accès aux documents sous réserve qu’ils ne soient pas classifiés et qu’ils ne mettent pas en danger la sécurité publique ni ne divulguent des données personnelles). Il est totalement faux de dire que Frontex n’est pas transparent. Honnêtement, je n’ai jamais vu dans l’administration nationale un système qui le soit autant.
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