LE JOURNAL.AFRICA
AFRIQUE

Sahel: d’où viennent les armes et les munitions?

Qu’il s’agisse de terrorisme, d’insurrections ou de banditisme, l'Afrique de l'Ouest et le Sahel en particulier sont confrontés à la présence de nombreuses armes et munitions en circulation qui menacent la sécurité.  D’où viennent ces armes ? Comment les groupes armés, qui ne font pas partie des forces nationales et internationales, se dotent en armements et en munitions dans le contexte actuel ? Réponses avec le chercheur Georges Berghezan. Entretien.

Publicité

Georges Berghezan est chercheur au Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP). Un centre de recherche et d'information indépendant belge sur les problèmes de paix, de défense et de désarmement dans la perspective de l'amélioration de la sécurité internationale en Europe et dans le monde.

RFI : Que sait-on du volume d’armes et du type d’armement en circulation en Afrique de l’Ouest ?

Georges Berghezan : Le volume des armes est un sujet à caution. Sur toute l’Afrique, les estimations donnent environ quarante millions d’armes détenues par des civils, en grande majorité de façon illicite, et une douzaine de millions d’armes sur l’Afrique de l’Ouest. Il s’agit d’armes à feu de petit calibre que l’on peut classer en deux catégories : les armes industrielles, où le modèle Kalachnikov domine très nettement, et les armes artisanales, du type fusil de chasse à un ou deux coups. Les groupes catalogués comme « terroristes » n’utilisent pas d’armes artisanales, mais ces armes ne sont pas à négliger. En plus des chasseurs, elles sont principalement utilisées par les milices communautaires, par la criminalité urbaine, les coupeurs de route et les voleurs de bétail. Par exemple à Bamako (Mali) ou à Accra (Ghana),ce sont essentiellement des pistolets artisanaux qui sont utilisés dans les attaques à main armée. La République centrafricaine est l’un des rares pays en conflits où ce sont essentiellement les armes artisanales qui sont utilisées par les milices qui s’affrontent.

D’autre part, quand on parle d’armes illicites, il faut être conscient que la plupart de ces pays n’ont pas de réglementation ou de processus pour délivrer des permis de port ou d’utilisation d’armes, donc beaucoup de gens qui ont des armes sont dans l’illégalité simplement parce qu’il y a un vide législatif ou administratif.

Un pays qui fait exception en Afrique de l’Ouest, c’est le Ghana. C’est un pays qui a fait des efforts pour enregistrer les producteurs et les détenteurs d’armes et qui a une législation opérationnelle. Au Ghana, l’évaluation donne environ un million deux cent quarante mille armes licites enregistrées chez des civils et un million d’armes illégales. D’après les données disponibles du Small Arms Survey, un institut de recherche indépendant basé à Genève, le troisième pays qui aurait le plus d’armes parmi la population est la Côte d’Ivoire (plus d’un million). Mais le pays d’Afrique de l’Ouest qui a le plus d’armes, c’est le géant de la zone, le Nigéria, où l’on parle de plus de six millions d’armes détenues par des civils.

Quelles sont les origines de ces armements ?

Il y a depuis très longtemps des armes dans la région. Il y a eu tout d’abord la pénétration arabe, puis au sud du Sahel, la pénétration française, la colonisation. C’est à ce moment-là que des forgerons ont commencé à produire eux-mêmes des armes en copiant des fusils de chasse français, donc la première source a été la production locale. En général, ce sont des armes non automatiques qui utilisent des cartouches de chasse, mais apparemment certains artisans sont capables de copier des Kalachnikovs, en particulier au Mali, pays dont l’expertise en matière de production d’armes est la plus reconnue.

Sur la proportion d’armes automatiques, les statistiques sont assez rares. On sait, par exemples qu’au Niger, entre 2014 et 2016, sur 462 armes saisies, 56% étaient des fusils d’assaut dont 95% du type AK (Kalachnikov), 26% des armes de poings, pour majorité des pistolets d’alarme reconvertis pour tirer des projectiles, quelques armes traditionnelles artisanales et 12% toute sorte d’armes légères, allant des mitraillettes aux lance-roquettes.

Concernant les origines des armes industrielles, elles sont très diverses. Par exemple, pendant la guerre civile en Côte d’Ivoire, le président Blaise Compaoré [ancien président du Burkina Faso, ndlr] soutenait les rebelles nordistes [de Côte d’Ivoire] et il y a eu de gros flux d’armes du Burkina Faso vers la Côte d’ivoire. D’après les rapports de l’ONU, la majorité des armes qui ont été transférées depuis les arsenaux de l’armée du Burkina Faso vers la Côte d’Ivoire étaient des « Types 56 », c’est-à-dire la version chinoise de la Kalachnikov. Il y avait aussi des modèles AK (Kalachnikov) provenant de Pologne, des pistolets HK (Heckler & Koch) d’origine allemande mais produits aux Etats-Unis, et des munitions fabriquées en Serbie et en Roumanie.

Mikhail Kalachnikov, à l'âge de 87 ans, et l'arme qui porte son nom.
Mikhail Kalachnikov, à l'âge de 87 ans, et l'arme qui porte son nom. DIMA KOROTAYEV / AFP

On sait qu’après la chute du président libyen Mouammar Kadhafi, il y a eu un flux important d’armes en provenance de Libye sur le Sahara et le Sahel. Ce flux est-il toujours d’actualité et quelles sont aujourd’hui, les principales sources d’approvisionnement ?

Entre 2011 et 2013, c’était vraiment l’inondation d’armes en provenance de Libye : des armes anti-aériennes, des lance-roquettes, mais surtout des armes à feu de petit calibre qui étaient de très loin les plus nombreuses. Même si une partie de ces armes arrivées au Sahel est partie vers d’autre destinations comme la République centrafricaine, l’essentiel est resté au Sahel. Depuis, la part libyenne semble avoir fortement diminué, surtout quand la guerre civile a recommencé en Libye et on a même assisté à des retours d’armes du Mali vers la Libye.

Donc ce flux a décru. Mais en 2011, c’était aussi la fin de la guerre civile en Côte d’Ivoire, quelques années après la fin des combats en Sierra Leone et au Liberia. On a alors assisté à d’importants transferts illégaux d’armes de ces pays, et en particulier par des commandants de zone du nord de la Côte d’Ivoire vers le Mali et le Niger, mais aussi vers la République centrafricaine où la guerre commençait. Cette situation a entrainé une diminution des transferts transcontinentaux tels qu’ils existaient à l’époque des guerres du Liberia et de la Sierra Leone, comme le racontait le film Lord of War. Ces transferts transcontinentaux existent toujours mais ils se sont fortement réduits et leurs arrivées se concentrent sur quelques ports : Dakar, Conakry, Abidjan et Lagos.

Il y a aussi des réseaux de trafic avec des groupes hautement organisés qui opèrent dans le Sahara ou sur un axe est-ouest et qui se caractérisent par ce qu’on appelle les « poly-trafics » car ils combinent les armes avec d’autres produits, comme les stupéfiants, par exemple le haschisch marocain à destination de l’Égypte et du Moyen-Orient, ou la cocaïne d’Amérique du Sud qui transite par le Sahel à destination de l’Europe.

Enfin, il y a le petit trafic, qu’on appelle le «  trafic de fourmis », qui souvent se mêle au trafic de migrants, très actif dans les zones frontalières. Ces zones sont souvent des centres du trafic d’armes, comme par exemple dans le nord de la Côte d’Ivoire sur les frontières avec le Mali et le Burkina Faso.

Mais de mon point de vue, la principale source d’approvisionnement, celle qui compte au moins pour moitié dans certains pays, c’est le trafic provenant des arsenaux des forces de sécurité. Evidemment, il y a eu la Libye, où les arsenaux gouvernementaux libyens se sont vidés. Mais dans des pays comme le Mali et le Niger, les forces de sécurité perdent ou vendent leurs armes au profit de groupes armés, de criminels et de jihadistes. Les arsenaux des armées de ces pays sont sans doute la source majeure d’approvisionnement en armes illicites.

Qui sont les grands acteurs du trafic transnational ?

Les grands trafiquants, qui étaient connus il y a une vingtaine d’années, sont inactifs maintenant. Viktor Bout est en prison aux États-Unis, Arcadi Gaydamak [condamné notamment en France dans l’affaire des ventes d'armes vers l'Angola] ou le Belge Jacques Monsieur, qui pendant des dizaines d’années ont été pratiquement sur tous les grands conflits du monde, sont aujourd’hui neutralisés. Mais même si ces grandes figures du trafic d’armes ne sont plus actives, il faut aussi souligner la responsabilité de certains chefs d’État qui ont beaucoup contribué au trafic d’armes. Quelqu’un comme Blaise Compaoré, l’ancien président du Burkina Faso, a alimenté en armes et munitions à peu près tout ce qui était sous embargo en Afrique à l’époque : la Sierra Leone, le Liberia, la Côte d’Ivoire et encore avant l’Unita [l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola] en échange de diamants, d’où l’expression des « diamants du sang ».

Certains pays ont joué un rôle très important dans la fourniture d’armes : l’Ukraine, la Bulgarie, avant qu’elle ne rentre dans l’Union Européenne, l’Iran, plutôt actif vers l’est de l’Afrique, ou la Chine dont les munitions et les fusils d’assauts se retrouvent un peu partout en Afrique. Récemment par exemple, il y a eu une très grosse saisie à Lagos (Nigéria) de fusils turcs, la Turquie semble devenir elle aussi un gros exportateur d’armes.

Les transferts d’armes entre Etats peuvent aussi être officiellement autorisés par les gouvernements au profit d’autres gouvernements, et détournés vers d’autre destinations, comme cela a été le cas par exemple au Burkina Faso. Officiellement, les armes étaient envoyées au Burkina Faso qui était un pays stable et elles étaient détournées vers le Liberia ou la Côte d’Ivoire en guerre.

Un soldat somalien montre l'usage d'une kalachnikov à des enfants dans les rues de Magadiscio, le 13 septembre 2009.
Un soldat somalien montre l'usage d'une kalachnikov à des enfants dans les rues de Magadiscio, le 13 septembre 2009. (Photo : AFP)

 
Avoir des armes, c’est une chose mais encore faut-il pouvoir s’approvisionner en munitions. Y-a-t-il des logistiques particulières pour les munitions ?

Quand je parle de trafic d’armes, je parle aussi de trafic de munitions. C’est vrai que les munitions sont des « consommables » alors que les armes, si elles sont bien conservées, on peut les garder des dizaines d’années et elles seront toujours en état de marche. J’ai vu récemment dans la presse malienne que l’armée mauritanienne avait intercepté un convoi d’armes destiné aux jihadistes du Mali et ce qu’on a saisi, c’étaient des mitrailleuses, de la drogue mais aussi des munitions. Les flux se confondent et il y a peu d’indications et d’études sur le trafic spécifique de munitions. Je pense que ce qui se passe au Sahel, c’est à peu près la même chose que ce qui se passe dans une autre zone, en République Démocratique du Congo (RDC). Dans ce pays, les forces armées nationales alimenteraient à 80% les groupes armées congolais ou étrangers actifs au Congo tandis que, au niveau des munitions, le pourcentage serait encore plus élevé, probablement du fait de la forte demande.

À Bamako (Mali), il y a une usine de production de munitions, de cartouches « calibre 12 » pour les fusils de chasse et on retrouve ces cartouches dans toute l’Afrique de l’Ouest, donc leur commerce est t...   

Continuer la lecture de cet article sur RFI AFRIQUE

Articles similaires

Pour la première fois en 10 ans, le FMI s’est rendu en Érythrée

RFI AFRIQUE

Antoinette Sayeh, ex-ministre des Finances du Liberia, bientôt numéro 2 du FMI

RFI AFRIQUE

Soudan: «Les responsabilités (de l’attaque contre le Premier ministre) ne sont pas établies»

RFI AFRIQUE
Verified by MonsterInsights