Héritière de la grande tradition littéraire du Nigeria, Chimamanda Adichie est la nouvelle grande voix de l’Afrique anglophone. Son superbe roman tolstoïen sur la guerre du Biafra L’Autre moitié du soleil est entré dans le répertoire des classiques de la littérature contemporaine.
Deux mots sur l’auteur
La magistrale Chimamanda Adichie. Cette quarantenaire est sans doute la romancière la plus talentueuse de sa génération, qui a pris le relais des grands pionniers des lettres nigérianes que furent Chinua Achebe et Wole Soyinka. Elle a à son actif trois grands romans, des nouvelles et des prises de positions audacieuses sur la question du féminisme en Afrique et dans le monde. C’est en 2004 qu’elle s’est fait connaître en publiant son premier roman L’Hibiscus pourpre qui mettait en scène une famille nigériane, ravagée par l’intégrisme religieux des sectes chrétiennes. Ce roman a révélé une écriture affirmée, plongée dans la réalité sociale et politique. L’Autre moitié du soleil que je voudrais vous inviter à lire ou à relire est le deuxième roman sous la plume de la Nigériane, et sans doute son œuvre la plus réussie.
L’éphémère république biafraise
Ce roman raconte la guerre du Biafra qui a ensanglanté le Nigeria entre juillet 1967 et janvier 1970. L’auteur met en scène la dislocation matérielle et spirituelle qu’ont vécue les Nigérians pendant cette période dramatique, avec plus d’un million de morts. Le récit oscille entre le début et la fin des années 1960 : il nous fait revisiter la période euphorique de la post-indépendance lorsque les graines de la guerre civile ont été semées et nous nous attardons sur la proclamation d’indépendance par la province du Biafra. Le titre du roman L’Autre moitié du soleil est d’ailleurs inspiré du drapeau de l’éphémère République biafraise, frappé d’un soleil d’or sur fond noir. Il ne s’agit pas pour autant d’un témoignage, mais d’une œuvre de fiction.
Guerre civile et catharsis
Sans doute, il y a un besoin de catharsis car ce passé n’est pas réellement passé. Il a laissé des traces profondes sur la conscience collective qui n’ont pas encore cicatrisé. La romancière a expliqué qu’en évoquant par le biais de la fiction les souffrances que cette guerre a engendrées, elle voulait contribuer au processus de cicatrisation. Le récit puise aussi ses ingrédients dans la mémoire familiale de l’auteur dont les deux grands-pères avaient été tués pendant la guerre. Leur deuil a bercé son enfance. « Ecrire ce livre était une expérience douloureuse, se souvient la romancière. A chaque pas, j’avais l’impression de marcher sur des lambeaux de souffrances ».
Pourquoi ça marche ?
Ce roman doit son succès à l’écriture élégante de Chimamanda Adichie, à l’histoire qu’elle raconte avec une époustouflante économie de moyens et surtout aux personnages inoubliables qui portent le récit. Ce sont des personnages complexes, comme, par exemple, Odenigbo, l’un des protagonistes importants du roman. Intellectuel engagé, Odenigbo est amoureux de la ravissante Olanna. Fille d’un riche homme d’affaires, elle abandonne les ors et les lumières de Lagos pour vivre avec son amant idéaliste. Leurs amours se déroulent sous le regard d’Ugwu, leur jeune domestique illettré, qui est pourtant la conscience à travers laquelle le récit est filtré. Outre ce trio, le roman compte une foultitude de personnages secondaires, pittoresques et mémorables. Bientôt tous ces hommes et femmes seront happés par le tourbillon de la guerre qui mettra à rude épreuve leurs convictions, leurs sentiments, leurs loyautés, bouleversant les hiérarchies binaires qui séparent le maître du serviteur, le colonisateur du colonisé, le savant de l’illettré. Il y a quelque chose de panoramique et tolstoïen dans cette Guerre et paix au Nigeria.
L’Autre moitié du soleil, par Chimamanda Adichie. Traduit de l’anglais par Mona de Procontal. Gallimard, Paris, 2008 (Disponible en collection Folio poche).
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