Daniel Oulaï, entrepreneur social dans le secteur agricole, est le fondateur de la Grainothèque. Trentenaire et déjà multiprimé, il veut soutenir l’activité des paysans pour valoriser leur travail et leur permettre de vivre dignement de leur activité.
Son travail, sa vocation, c’est de soutenir l’activité des paysans. Une mission qu’il s’est assignée dès l’enfance. Daniel Oulaï est né au Liberia, le pays de sa mère, mais rapidement, la guerre éclate, et oblige sa famille à franchir la frontière. Daniel Oulaï grandit donc en Côte d’Ivoire, le pays de son père, un pasteur qui sillonne l’ouest du pays, emmenant avec lui toute sa famille. Ces premières années ont suscité chez Daniel Oulaï une prise de conscience, qui a ensuite germé : « Je suis né pendant la guerre, au Liberia, dans une région où l’alimentation fait beaucoup plus de victimes que les balles de kalachnikovs, affirme d’une voix douce le jeune entrepreneur. C’est au Liberia que j’ai d’abord ressenti les problèmes liés à l’alimentation, et cela s’est ensuite confirmé au cours des quinze premières années de mon enfance. En Côte d’Ivoire, j’ai surtout été marqué par les pertes post-récoltes. Toute mon enfance, j’ai vu des champs vastes, des greniers remplis, mais derrière, c’était la misère. »
Premier projet : des banques de semences
Daniel Oulaï décide donc qu’il aidera les paysans de son enfance : à ne plus perdre leurs stocks, à accéder aux marchés pour vendre leur production… Bref, il veut les aider à vivre dignement de leur travail. C’est comme cela qu’il devient « agripreneur », un barbarisme crée aux États-Unis à la fin des années 90, qui mélange les mots « agriculture » et « entrepreneur », et dans lequel Daniel Oulaï, qui a fait des études dans le marketing avant de se former à l’agro-écologie, se reconnaît pleinement.
« Je ne sais pas où je l’ai entendu pour la première fois, s’amuse Daniel Oulaï avec les sourcils froncés de celui qui cherche sans trouver, mais ce mot a fini par être celui qui me définissait le mieux : un entrepreneur agricole qui veut changer les regards et les pratiques sur ce secteur. » Et d’évoquer le début de ses activités : « Le premier projet a été d’ouvrir des banques de semences à travers les champs ; des espaces où les agriculteurs peuvent venir se partager des semences. L’innovation que nous avons apportée, c’est que nous avons commencé à documenter ces semences et à vulgariser des bonnes pratiques pour régler la question de la productivité, sur laquelle se fondent les industriels pour vendre leurs semences sur les marchés. »
Multi-récompensé
Nous sommes en 2016. Daniel Oulaï a 25 ans à peine, et il vient de créer la Grainothèque. Une structure pour laquelle il reçoit très vite une palanquée de prix, décernés par des magazines, des organismes publics internationaux, mais aussi des fondations et de très grosses entreprises… qui apportent de nouveaux financements. Une reconnaissance qui rassure, mais aussi un vrai questionnement pour cet entrepreneur militant. « Je me suis posé la question de savoir si je devais accepter ou refuser, se souvient-il, alors j’en ai discuté longuement avec mes équipes. Nous nous sommes dit que tant qu’on ne nous demandait pas de changer notre façon de voir les choses, qu’on ne nous contraignait à rien, qu’on ne créait pas de redevabilité et que le cadre restait sain, il fallait y aller ». Avec le recul, Daniel Oulaï n’a aucun regret : « ça nous a ouvert beaucoup de portes et ça nous a apporté de la visibilité. Après un prix, deux prix… par des fondations crédibles, ça permet de toucher de très bons partenaires qui aident l’entreprise à aller de l’avant. »
Fablab agricole
En conséquence, la Grainothèque de Daniel Oulaï se développe. Elle étend ses activités à de nouvelles zones, en Côte d’Ivoire ; elle lance également un label de production porcine locale. On peut aussi parler de ce programme de soutien à 1000 jeunes agriculteurs, qui débutera en juin, ou encore de l’audacieux projet de Fablab agricole, le premier d’Afrique de l’Ouest, à Abidjan : « ça sera un espace où on permettra aux chercheurs, aux agronomes et aux paysans de se retrouver, pour pouvoir décloisonner la recherche scientifique et trouver des réponses simples, accessibles, et qui répondent aux besoins des agriculteurs. » L’espace n’est pas encore ouvert, mais le travail a commencé. Daniel Oulaï décrit le premier prototype issu de cette collaboration avec enthousiasme : « nous avons développé une couveuse solaire connectée, qui permet à n’importe quel agriculteur en zone rurale, qui n’a pas accès à l’électricité, de réduire son taux de pertes en termes d’éclosion d’œufs. C’est fait avec du recyclage, et c’est une technologie libre, que n’importe quel agriculteur peut dupliquer. »
Daniel Oulaï est depuis hier et jusqu’à demain à Man, dans le centre-ouest de la Côte d’Ivoire, où il co-organise le Forum de l’entrepreneuriat agricole (du 20 au 22 février). Celui qui confie lire beaucoup de biographies a déjà été approché par des personnalités politiques, qui lui ont demandé de le rejoindre. Pour le moment, ça ne lui dit rien… mais Daniel Oulaï a déjà prouvé que, chez lui, les idées étaient aussi parfois des graines.