Les dirigeants des principaux pays concernés par le conflit en Libye se sont engagés dimanche 19 janvier à Berlin à respecter l’embargo sur les armes décidé en 2011 par les Nations unies et à renoncer à toute « interférence » étrangère dans le conflit. Mais un goût d’inachevé demeure.
Lors d’une conférence sous l’égide de l’ONU à Berlin, onze pays dont la Russie et la Turquie ont convenu qu’il n’existait pas de « solution militaire » à ce conflit, qui déchire la Libye depuis près de 10 ans, a déclaré la chancelière allemande Angela Merkel à l’issue d’une demi-journée de discussions.
Les participants ont aussi appelé à un véritable cessez-le-feu permanent sur le terrain, qui se fait attendre malgré l’entrée en vigueur le 12 janvier d’une fragile trêve entre belligérants.
Pour s’assurer du respect effectif et durable de la fin des hostilités, des rencontres inter-libyennes entre représentants militaires des deux camps devraient être organisées prochainement. Une invitation sera lancée « dans les prochains jours », a assuré Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU.
Pour la consolidation du cessez-le-feu, l’émissaire de l’ONU avait appelé les deux camps rivaux à former une « Commission militaire » composée de dix officiers, cinq de chaque côté. Les noms des candidats respectifs ont d’ores et déjà été communiqués aux Nations unies. Selon les informations de RFI, des invitations seront adressées pour la tenue de la première réunion le 28 et le 29 janvier à Genève.
Cette commission aura pour mission de définir sur le terrain les mécanismes de mise en œuvre du cessez-le-feu. Elle aura également la lourde charge de réunifier l’armée et les forces sécuriaires. Elle doit oeuvrer à dissoudre les milices. Mission difficile en Libye, pays pris en étaut par des dizaines de formations armées. Dimanche soir, des tirs d’artillerie nourris ont été entendus sur certaines lignes de front au sud de la capitale.
Je ne peux insister assez sur cette conclusion : il n’y a pas de solution militaire au conflit en Libye. Tous les participants l’ont répété plusieurs fois durant notre réunion. Même ceux qui sont impliqués le plus directement dans le conflit. Tous les participants se sont engagés à ne plus interférer dans le conflit armé ou dans les affaires intérieures libyennes. Cela fait partie des conclusions de ce sommet. Et bien sûr, cela doit être un prérequis, tout comme l’appel à faire taire les armes et à mettre une fin définitive aux hostilités militaires. Nous appelons tous les acteurs à éviter toute action qui pourrait exacerber le conflit. Et je demande à tous les participants et à la communauté internationale de se plier à leurs engagements à respecter sans réserve et sans équivoque l’embargo sur les armes décrété par le Conseil de sécurité. Enfin, le retour au processus politique est essentiel. Nous demandons aux deux parties libyennes de s’engager dans le dialogue sous l’égide des Nations unies, afin d’ouvrir la voie à une solution politique à cette crise.
Respect de l’embargo sur les armes
Les participants sont aussi tombés d’accord pour « respecter » strictement l’embargo sur les armes et que « cet embargo serait plus strictement contrôlé qu’auparavant », a expliqué la chancelière lors d’une conférence de presse commune avec Antonio Guterres et l’émissaire de l’ONU en Libye, Ghassan Salamé. L’embargo a été décrété en 2011 par l’ONU mais est largement resté lettre morte.
« Nous avons assisté à une escalade dans le conflit. Il a atteint ces derniers jours une dimension dangereuse », a en effet fait valoir Antonio Guterres, pointant le « risque d’une véritable escalade régionale ».
Autre point sensible du conflit : les interventions plus ou moins directes de pays étrangers dans ce conflit. « Tous les participants se sont également engagés à renoncer à des interférences dans le conflit armé ou les affaires intérieures de la Libye », a indiqué M. Guterres.
La Turquie soutient en effet militairement le gouvernement de Fayez el-Sarraj à Tripoli et la Russie, malgré ses dénégations, est soupçonnée d’appuyer l’homme fort de l’est de la Libye, le maréchal Khalifa Haftar.
Depuis la reprise des combats entre camps rivaux en Libye en avril 2019, plus de 280 civils et 2 000 combattants ont été tués et, selon l’ONU, plus de 170 000 habitants ont été déplacés.
■ Un goût d’inachevé
Malgré un certain optimisme, l’envoyé spécial de l’ONU Ghassan Salamé n’a pas caché que l’incertitude demeure dans le dossier libyen : « Je pense qu’aujourd’hui était une belle journée, qui nous a donné l’impulsion nécessaire pour continuer notre travail. J’espère que le Conseil de sécurité sera à nos côtés, j’espère que le Comité international de suivi sera à nos côtés pour mettre en application ce sur quoi nous nous sommes entendus. »
Par ailleurs, la conférence de Berlin n’aura pas permis aux protagonistes du conflit libyen de se parler. Fayez el-Sarraj et Khalifa Haftar ne se sont pas rencontrés et n’ont pas pris part aux négociations qui se sont tenus ce dimanche à Berlin. Angela Merkel l’a admis : les « différends sont si importants » entre eux qu’il était impossible de les réunir autour d’une même table.
Dans ce contexte, difficile d’imaginer quelle forme prendra le dialogue politique souhaité par la communauté internationale, même si les deux hommes ont chacun accepté de donner « cinq noms » pour former une « commission militaire » mixte de suivi.
En marge du sommet, Fayez el-Sarraj a de nouveau demandé qu’une « force militaire internationale » soit envoyée en Libye pour protéger la population civile.
Une option écartée lors de cette conférence, qui n’a débouché sur aucun mécanisme réellement contraignant pour garantir le cessez-le-feu ou pour contrôler l’envoi d’armes en Libye. La chancelière allemande l’a admis : « Nous n’avons pas parlé de sanctions aujourd’hui. Les documents sur lesquels nous nous sommes mis d’accord doivent encore être débattus et approuvés par le Conseil de sécurité de l’ONU. Nous partons du principe que ceux qui soutiennent cet accord savent ce que cela signifie si l’embargo sur les livraisons d’armes n’est pas respecté et nous ne manquerons de le dénoncer. »
Le renvoi du dossier devant le Conseil de sécurité de l’ONU est un échec en soi pour le spécialiste Jalel Harchaoui, qui rappelle que c’est bien « la paralysie du Conseil de sécurité » qui a poussé l’Allemagne à se saisir de ce dossier.
Reste le tour de force diplomatique, qui apparaît d’autant plus fragile qu’une rencontre de cette ampleur ne risque pas de se reproduire de sitôt.
■ Vu de Tripoli : Un embargo jamais respecté jusqu’à présent
Sur RFI, la semaine dernière, le chef de la mission de l’ONU, Ghassan Salamé, accusait une douzaine d’États d’avoir envoyé des armes en Libye depuis le début de l’année. L’offensive du 4 avril de Khalifa Haftar sur Tripoli a encore accentué les livraisons d’armes qui sont devenues un sport pour les deux parties.
La violation de l’embargo est considérée comme tellement normale en Libye, que l’arrivée des armes est parfois mise en scène. En mai dernier, c’est sous l’œil des caméras que 58 véhicules blindés anti-mines en provenance de Turquie ont fait leur entrée dans le port de Tripoli. Dans le camp de Khalifa Haftar, on n’est pas en reste. En 2017, un navire de patrouille de l’armée irlandaise, estampillé Yacht de loisir par une société des Émirats arabes unis s’est retrouvé dans le port de Benghazi où il a été immédiatement armé de mitrailleuses de 40mm.
Avec l’offensive sur Tripoli, c’est un nouveau type d’armes qui a fait son apparition en masse : les drones. Le gouvernement de Tripoli se fait livrer des drones turcs qui arrivent très souvent par containers dans le port de Misrata. L’autoproclamée armée nationale libyenne de Haftar bénéficie de drones de conception chinoise fournis par les Émirats arabes unis.
Outre les armes, les deux camps font aussi appel à des mercenaires étrangers. Des combattants soudanais ont rejoint les rangs de Haftar grâce à un contrat entre une société canadienne et des dirigeants de Khartoum. À l’ouest, des mercenaires tchadiens ont franchi en toute tranquillité la frontière pour défendre Tripoli. À Berlin, dimanche, le président français Emmanuel Macron a dénoncé la présence de combattants syriens envoyés par Ankara au côté des forces pro-Tripoli.
Chaque année depuis 2011, les experts de l’ONU constatent les violations répétées et flagrantes de l’embargo sur les armes. 2020 ne devrait pas échapper à la tradition.