Lancé en 2017, l’African Culture Fund (ACF) finance des projets artistiques avec l’argent des artistes africains eux-mêmes. Pas moins de 2,9 millions d’euros ont été levés en deux ans. Un début prometteur, pour une initiative qui se donne les moyens de sa souveraineté culturelle.
Un acteur culturel malien, Mamou Daffé, directeur du Centre culturel Kôré à Ségou et du Festival sur le Niger, se trouve derrière le lancement du Fonds africain de la culture, dont le siège est à Bamako. Il en est le président discret, car il n’est pas là pour sa gloire personnelle, mais une tout autre ambition. Le credo de son institution à Ségou résume bien l’état d’esprit de l’African Culture Fund (ACF), qui s’est choisi une dénomination en anglais : « Évoluer d’une perception folklorique de la culture vers des industries culturelles ».
L’idée n’a pas seulement germé en 2017 lors d’une grande exposition aux Seychelles et des discussions entre Mamou Daffé avec les artistes de renom qui s’y trouvaient. L’objectif : que les grands aident à financer l’essor et la professionnalisation des « petits », des talents sans grands moyens.
Mamou Daffé est passé tout de suite à l’action : « Nous avons mobilisé de l’argent africain pour financer des projets sur le continent », explique-t-il. L’initiative est taillée sur mesure, et elle voit grand. « On ne parle de 2 000 euros par projet, mais d’un minimum de 10 000 euros qui permet de démarrer sérieusement une aventure professionnelle ».
En deux ans, plus de 3 millions d’euros levés
Deux ans plus tard, le résultat est parlant. Après un premier appel à projets en 2018 qui a attiré 519 dossiers et permis de lever 1,7 million de dollars, le second, lancé entre août et octobre 2019, a enregistré 771 candidatures en provenance de 52 pays, dont 42 africains – les autres étant portés par des membres de la diaspora. Sur ce total, 57 % ont été déposés par des personnes, et le reste par des organisations.
Premier constat, les frontières linguistiques n’ont pas d’importance : les projets ont afflué jusque du Swaziland et du Mozambique. Deuxième constat : le fonds abonde, plus que toute autre structure – à l’exception de grandes structures prestigieuses, telles que le Fonds Prins Klaus, aux Pays-Bas.
Le 4 décembre 2019, pas moins de 40 projets ont été sélectionnés, la moitié dans les arts visuels et l’autre moitié dans les arts de la scène, pour un montant de 1,2 million d’euros (sur un total attendu de 2,6 millions sur 2019/20). Une somme plus que respectable – impressionnante dans l’univers de la culture en Afrique.
La clé du succès ? Une formule inventive : l’ACF s’est vu doté par des artistes de renom comme le plasticien malien Abdoulaye Konaté, avec des oeuvres vendues jusqu’à 100 000 euros, sans rien attendre de personne. L’ACF accepte les apports étrangers, parmi lesquels ceux des fondations Ford et Open Society (États-Unis), Doen (Pays-Bas), mais à parité avec l’argent africain investi. Autrement dit, les subsides étrangers ne peuvent pas dépasser l’argent investi par les Africains eux-mêmes.
Des projets départagés par un jury indépendant
Pour garantir la transparence de son processus de sélection, l’ACF forme chaque année un jury indépendant de six membres provenant de six pays. En 2019, y figuraient Fatma Kilani, directrice de La Boîte, un espace d’art alternatif à Tunis, Nakhana Diakité Prats, consultante malienne en ingénierie culturelle, coordinatrice générale du Pavillon du Mali à l’expo 2020 Dubaï, le peintre contemporain Viyé Diba du Sénégal, le dramaturge rwandais et directeur de Rwanda Arts Initiative (RAI) Dorcy Rugamba, le Sud-Africain André Le Roux, directeur général de la Southern African Music Rights Organization (SAMRO) et Korkor Amarteifio, productrice musicale et directrice associée du l’Institute for Music and Development Accra (Ghana).
Les projets portent aussi bien sur des œuvres que des actions de formation et de structuration des filières artistiques. Dans les arts visuels, la styliste sénégalaise Selly Raby Kane va pouvoir produire Dakar Strange Tales. Du côté des arts vivants, le périple nommé East African Soul Train est porté par Charlotte Spowage, basée en Grande-Bretagne, qui veut partir en train en dialoguant avec les passagers. L’objectif : tirer un récit sur 1 200 km à partir de Dar es-Salaam en Tanzanie, pour en faire des spectacles joués à chaque étape. En Guinée, L’univers des mots va consister à faire des résidences d’écriture pour confronter les manuscrits à l’avis de dramaturges confirmés, le lauréat gagnant un prix et la possibilité de défendre son œuvre au festival d’Avignon.
« Au lieu d’avoir le regard de l’autre porté sur l’Afrique, avec des gens qui se retrouvent « montrés » comme des curiosités publiques, l’ACF se veut à l’écoute du souci qu’ont les Africains d’être représentés dans les arts, avec des projets qui partent de leurs propres ressentis, explique Mamou Daffé. Au lieu de mettre de l’argent sur les migrants, la guerre ou l’excision, il y aura des fonds pour raconter l’épopée de Soundiata Keïta, une sonate pour balafon proposée par l’Ivorien Jean Donatien Koné, une histoire sahélienne par excellence ». Les projets portés se situent par ailleurs dans des cadres transversaux, engageant plusieurs pays, comme le Togo, le Bénin et le Burkina Faso en Afrique de l’Ouest par exemple, avec Antigone et son avatar : Antigone ou la tragédie des corps dispersés, de la Compagnie Gakokoé/Ziticomania.