Cinq ans après l’insurrection, de nombreux jeunes attendent toujours le changement tant souhaité. Même si elles ne regrettent la chute du régime de l’ex-président Blaise Compaoré, de nombreuses personnes accusent le nouveau pouvoir de conduire le pays avec les mêmes méthodes que l’ancien régime.
Comme tous les soirs, après le travail, Ferdinand Sawadogo et ses amis font des parties de pétanque. L’un des acquis de l’insurrection demeure la liberté, estime-t-il : « Maintenant, il y a beaucoup plus de liberté, de presse, de parole et de tout. »
→ Lire aussi : Invité Afrique : Burkina Faso: la transition a été «positive»
Grogne sociale, corruption, mal gouvernance… la rupture tant rêvée, tarde à se concrétiser selon Ezechias Somé, assis devant son domicile autour d’un thé : « On ne sent pas vraiment cette grogne sociale descendre, et à chaque fois que certaines personnes sont incriminées, on n’a pas l’impression que des mesures sont prises pour que les choses s’arrêtent. Dans tous les domaines, tous les voyants sont au rouge, que ce soit côté emploi, que ce soit côté sécurité. »
Daouda Nebié est comptable et son ami Mahamadi Compaore bibliothécaire à l’université Joseph Ki-Zerbo. Tous deux s’inquiètent du comportement de certaines autorités : « Nous avons des rapports de certaines institutions spécialisées à détecter des problèmes de corruption. Si cela est avéré, nous pensons que l’insurrection n’aura pas servi parce que nous pensions pouvoir mettre ces choses-là derrière nous », explique le premier, quand le second s’interroge : « Ce qui fait que je m’inquiète beaucoup plus, c’est où est-ce que nous allons avec tout ce qui ne va pas. Il n’y a plus de tolérance en tant que tel. Où est-ce que mon pays va ? »
→ Lire aussi : Depuis le départ de Blaise Compaoré, le Burkina Faso vit «un grand bond en arrière»
Pour l’opposition, la « cohésion est mise à mal »
Même s’ils ne regrettent pas d’avoir participé à l’avènement de l’alternance au Burkina Faso, cinq ans après l’insurrection, de nombreux Ouagalais se disent déçus de la gestion des affaires par le nouveau pouvoir.
Zéphyrin Diabré était l’un des acteurs politiques de cette insurrection, il est aujourd’hui le chef de file de l’opposition. « C’était un évènement politique majeur dans la vie de notre pays. Il était l’expression de toute une population contre une certaine manière de gouverner et une gouvernance qui avait d’énormes tares », dit-il.
Mais pour lui, la mauvaise gouvernance et la mauvaise gestion dénoncée par les manifestants il y a cinq ans n’ont pas disparu. « La situation a largement empiré. On a là un régime dont beaucoup d’acteurs ne cherchent qu’à se remplir les poches plutôt que de servir. Et à cela s’ajoute malheureusement le fait qu’on a une situation de sécurité qui a atteint un niveau de gravité qu’on n’a jamais connu dans notre histoire politique, on n’a pas réussi à endiguer la vague. On assiste à des déplacements massifs de populations, chose qu’on n’a jamais vue dans notre histoire politique. Et notre cohésion sociale, notre vivre ensemble, sont mis très à mal par ce phénomène parce que les actions des terroristes ont conduit à distiller le sentiment dans l’opinion que certains burkinabè, certaines communautés burkinabè devraient être indexées. Donc ceux qui gèrent le pays doivent nous proposer la démarche, la méthode et la vision nous permettant de sortir de cette situation-là. »
L’État ne peut pas tout, d’un coup
Le pays apparait donc pour certains comme un État fragile, notamment à cause des tensions sécuritaires dans le nord et le centre du Burkina Faso qui continuent de s’accentuer.
Mais pour le porte-parole du gouvernement, au contraire, l’État et l’armée continuent de se construire et de se consolider. Même s’il reconnait quelques faiblesses, notamment sécuritaires, le bilan de ces cinq années post-insurrection est globalement positif, explique Remis Fulgance Dandjinou. « Je pense que nous avons mis un processus en marche et que ce processus s’achève. Rien ne peut être entièrement fini dès le départ. La construction du bien-être des populations se fait en continuité. On ne peut pas penser aujourd’hui pouvoir le faire en une année ou en deux ans, lorsque nous avons un système qui s’était établi durant deux décennies à peu près. Donc chacun de nous lit l’actualité et les faits à l’aune de sa vision. Nous avons aujourd’hui une construction d’une démocratie qui se fait parfois dans la douleur notamment à cause des attaques terroristes, mais qui se fait et avance de plus en plus. Le Burkina tient le coup, reprend la main. Nous avons tous intérêt à ce qu’il tienne. Les efforts permettent de renforcer cette résilience et donner un succès au Burkina dans cette lutte qui lui est imposée. »