C’est l’histoire d’un joyau du 18e siècle découvert dans une valise par un ex-réfugié éthiopien aux Pays-Bas, il y a deux décennies, et de l’Indiana Jones du 21e siècle. Débusquée par le correspondant de l’AFP aux Pays-Bas, elle n’a rien d’une fable, si ce n’est sa moralité.
Il y a quelque chose de Tintin et le Sceptre d’Ottokar dans cette aventure qui pourrait s’appeler « Monsieur Asfaw et la couronne du roi Sellase ». L’intrigue se déroule entre l’Éthiopie et les Pays-Bas et s’étend sur plus de vingt ans. Son dénouement, heureux, vient d’avoir lieu, dans un petit appartement de Rotterdam.
Sirak Asfaw arrive d’Éthiopie aux Pays-Bas comme demandeur d’asile à la fin des années 1970. Il a dû fuir son pays, en proie à la Terreur rouge du colonel Mengistu (1977-1978). Installé dans la grande ville portuaire de Rotterdam, il débute une nouvelle vie, travaille comme consultant en gestion pour le compte du gouvernement. Hospitalier, il accueille régulièrement ses compatriotes qui, comme lui, fuient la dictature communiste.
Un jour d’avril 1998, il découvre une valise laissée par l’un de ses visiteurs. Stupeur à son ouverture : une couronne se dévoile sous ses yeux, elle est ornée de cuivre doré, sur laquelle sont représentés Jésus-Christ et ses apôtres. « Je me suis dit : « Ceci a été volé. Elle ne devrait pas être ici. Elle appartient à l’Éthiopie » », témoigne Sirak Asfaw à Jan Hennop, journaliste à l’AFP.
Problème : en 1998, l’Éthiopie est en conflit ouvert avec l’Érythrée voisine. « Je ne pouvais pas la rendre à cause de la situation instable en Ethiopie », raconte Sirak Asfaw, qui a promis au mystérieux propriétaire de la valise que la couronne « ne quitterait pas sa maison sauf pour rentrer » dans son pays d’origine. C’est ainsi que le joyau de monsieur Asfaw, gardien de trésor malgré lui, restera caché pendant vingt et un ans. Deux décennies qui ont pu lui paraître longues et périlleuses : Sirak Asfaw a été menacé à plusieurs reprises par des Éthiopiens qui le savaient en possession de la couronne et souhaitaient le forcer à la rendre.
Indiana Jones
Sirak Asfaw tint bon. « Je savais que si je la rendais, elle disparaîtrait à nouveau », dit-il lucide. Et s’il a prouvé qu’il savait garder un secret, il sait aussi quand il est temps pour lui de le révéler, sans que cela ne fasse de dégâts. Or, ce jour est arrivé, selon lui, lorsqu’Abiy Ahmed devient Premier ministre d’Éthiopie, début avril 2018.
Depuis sa prise de fonction, Ahmed a multiplié les mesures d’ouverture démocratique. À commencer par un geste spectaculaire : la signature d’un accord de paix avec l’Érythrée. Pour Sirak Asfaw, la situation est donc assez stable et sûre – ce malgré la tentative de coup d’Etat du 22 juin dernier, les revendications nationalistes et les risques de morcellement territorial – pour rendre à l’Éthiopie ce qui appartient à l’Éthiopie.
Il décide pour ce faire de prendre contact avec un célèbre spécialiste des objets d’art, Arthur Brand, surnommé depuis un documentaire de CBS « l’Indiana Jones du monde de l’art ». Ce détective privé est passé à la postérité en 2015 après avoir retrouvé en Allemagne deux chevaux de bronze réalisés par Josef Thorak, l’un des sculpteurs préférés d’Hitler.
Depuis, sa liste de trésors retrouvés s’allonge chaque année : en 2016, il déniche cinq œuvres de peintres flamands du XVIIe et XVIIIe siècles, volées par un groupe de criminels en Ukraine ; la même année, c’est au tour de deux chefs d’oeuvre, l’un de l’Espagnol Dalì et l’autre de la Polonaise De Lempicka. En novembre 2018, après plusieurs années de chasse, il retourne à Chypre une mosaïque byzantine vieille de 1600 ans, fragment d’une des fresques volées dans des églises de l’île en 1974, durant la guerre contre la Turquie. En janvier 2019, il débusque au fond du jardin d’une demeure aristocratique anglaise deux pierres gravées, volées quinze ans auparavant dans une ancienne église espagnole. Enfin, en mars 2019, il raconte comment il a tracé un Picasso, Buste de femme (Dora Maar), dérobé sur un yacht à Antibes, dans le sud de la France.
Mais cette découverte représente à ses yeux « l’une des trouvailles les plus excitantes de [s]a carrière. Ensemble, avec Sirak, un super type… »
Le bijou bientôt rendu à Addis Abeba
Asfaw lui confie être « en possession d’un objet éthiopien d’une grande importance culturelle ». « Il s’est avéré que Sirak Asfaw était depuis 21 ans le gardien d’une rare couronne éthiopienne du 18e siècle et qu’il voulait la rendre », dit simplement Arthur Brand. Selon les experts qui ont pu l’examiner, l’objet précieux fait partie d’une série comptant certains des plus importants biens culturels d’Éthiopie.
Parmi ces spécialistes, Jacopo Gnisci, chercheur à l’Université d’Oxford, a confirmé son authenticité et peut retracer une partie de son histoire. Il estime ainsi qu’il existe moins d’une trentaine de ces couronnes dans le monde, appelées zewd. « Ces couronnes revêtent une grande importance culturelle et symbolique en Ethiopie, car elles sont généralement offertes par de hauts responsables à des églises dans le cadre d’une pratique qui remonte à la fin de l’Antiquité », a indiqué Jacopo Gnisci.
Celle-ci aurait appartenu à l’un des plus puissants chefs de guerre éthiopien du 18e siècle, « ras » Welde Sellase. Ce dernier en aurait probablement fait don à une église située près de la ville de Mekelle, dans le nord du pays. La couronne est apparue en public pour la dernière fois en 1993, portée par un prêtre, avant de disparaître, complète l’universitaire. Une enquête avait été ouverte à l’époque, mais les coupables n’ont jamais été retrouvés.
Arthur Brand s’est rapproché du gouvernement néerlandais afin de le mettre au courant de la restitution future de la couronne. « Son authenticité devra désormais être établie en étroite coopération avec les autorités éthiopiennes », a déclaré le ministère des Affaires étrangères.
Quant à Sirak Asfaw, il semble libéré d’un lourd fardeau : « C’est un héritage culturel éthiopien, c’est l’identité de l’Éthiopie et, au final, cela fait du bien de la rendre. »