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Portrait : Strive Masiyiwa, PDG d’Econet Wireless

Ardent défenseur d’un discours positif sur l’Afrique, l’homme d’affaires zimbabwéen cultive son flair sur les opportunités du numérique et des télécoms depuis Londres, sa base.

Dans sa vaste demeure d’un domaine privé situé dans le Surrey, à moins d’une heure de Londres, le self-made-man de 58 ans reçoit sans façon. Il est attaché à ces lieux, où il voisine depuis plus de dix ans l’ancienne villa de John Lennon. Dans un vaste salon où la teinte blanche domine, il a son fauteuil attitré et ses habitudes. Tous les jours, il s’installe là pour lire la Bible, le livre qui a « changé sa vie ». Une lecture que le PDG du groupe de télécommunications Econet Wireless, l’un des opérateurs privés les plus influents d’Afrique, fait bien sûr au format digital, sur tablette.

Sélectionné deux fois par le magazine Fortune, en 2014 et 2017, parmi les 50 leaders les plus influents du monde, Strive Masiyiwa est crédité par le magazine Forbes d’une fortune de 2,7 milliards de dollars. Mais c’est un tout autre chiffre qu’il préfère mettre en avant : sa page Facebook compte près de 4 millions d’abonnés, « un record pour un homme d’affaires », souligne-t-il. Source d’inspiration pour les jeunes entrepreneurs africains qui le suivent, il discute avec eux en ligne, jouant volontiers un rôle de mentor.

Il participe activement à l’élaboration d’un nouveau discours sur l’Afrique. « Les 800 millions de téléphones portables en usage sur le continent représentent plus que les marchés d’Europe et des États unis réunis, assène-t-il. Parmi les 15 économies affichant la croissance la plus rapide au monde figurent 10 pays africains. C’est phénoménal. L’économie de l’Afrique représente 3000 milliards de dollars, soit la taille de l’Inde, aussi bien en termes de population que de PIB. En clair, quelque chose est en train de se produire ».

Vers des lendemains prometteurs en Afrique

Son optimisme et sa foi en l’avenir de l’Afrique paraissent inébranlables. À la question de savoir si les investissements dans l’éducation sont à la hauteur des défis, il fait cette réponse, typique chez lui : « en effet, mais l’Afrique n’est pas un pays, même si elle représente le continent le plus unifié du monde. Tous ses pays se parlent, contrairement à l’Asie, mais n’en sont pas moins souverains, avec des stades de développement et des discours politiques différents. Dire que l’éducation ne marche pas en Afrique, c’est s’exposer aux critiques de l’Afrique du Sud ou l’ile Maurice, qui vous diront que vous avez tort. Des pays comme le Nigeria, l’Éthiopie et l’Ouganda auront des populations massives d’ici quelques décennies. Il s’agit d’un défi sérieux, mais la génération qui vient sera responsable et fera tout pour éviter une crise majeure. »

Ingénieur en électronique formé au pays de Galles, il a commencé sa carrière au sein de la société zimbabwéenne de télécommunications. Alors que la téléphonie mobile n’en était qu’à ses tout débuts, il a persuadé le gouvernement de Robert Mugabe de lever le monopole d’État sur les télécoms, avant de fonder Econet Wireless. Cette holding familiale non cotée en Bourse affiche pour sa seule filiale télécom zimbabwéenne un chiffre d’affaires de 832 millions de dollars en 2018, en hausse de 34 %. Le groupe, dont le siège se trouve à Londres, compte 5000 employés à travers 25 pays qui ne sont pas tous situés en Afrique, puisqu’il s’étend jusqu’à la Bolivie, la République dominicaine, la Grande-Bretagne et la Nouvelle-Zélande.

« On ne peut conduire qu’une voiture à la fois »

Ancien patron du Daily News, un journal indépendant fermé par le pouvoir à Harare en 2003, Strive Masiyiwa cultive avec le Zimbabwe une relation compliquée. Il n’y est pas retourné depuis vingt ans, mais y reste très actif, à la fois sur le plan des affaires et de la philanthropie. La Higherlife Fondation, qu’il dirige avec sa femme, Tsitsi Masiyiwa, vient en aide aux orphelins, enfants doués ou en difficultés.

Sur les vingt dernières années, il a payé les frais de scolarité de 250 000 d’entre eux au Zimbabwe, au Burundi, au Botswana et au Lesotho. « Nous avons lancé la fondation avec ma femme dans un objectif pragmatique, à un moment où la crise générée par le Sida laissait des dizaines de milliers d’enfants non scolarisés et orphelins qui venaient frapper à notre porte, raconte-t-il. Nous nous sommes dit qu’il fallait les assister, sans quoi nous aurions une société instable à l’avenir ». Il ajoute, avec le franc-parler qui le caractérise : « nous avons aussi réalisé il y a bien longtemps qu’il n’y a rien de mal à vivre bien, mais que l’on ne peut dormir que dans un seul lit à la fois, et conduire une seule voiture à la fois. Nous avons décidé de consacrer la moitié de nos revenus à la fondation, qui oeuvre aussi dans la santé et l’agriculture »

Philanthrope global, membre de Giving Pledge aux États-Unis, engagé sur la question du climat, il discute avec les leaders du monde entier. Administrateur chez Unilever et à l’Université de Stanford, en Californie, il a présidé jusqu’en août 2019 l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra), et œuvré à la demande de Paul Kagamé à la réforme de l’Union africaine (UA) et la préparation de l’accord qui a permis de lancer cette année la Zone de libre-échange africaine. Il est aussi le seul homme d’affaires à siéger parmi une douzaine de chefs d’État au conseil d’administration de l’initiative Smart Africa, qui pilote la transformation digitale de l’Afrique.

Une nouvelle application pour le ramassage les ordures

Il ne faut pas compter sur lui pour faire des commentaires sur la mort de Robert Mugabe, avec lequel on devine aisément qu’il y a eu un profond désaccord, ni même parler de politique – et encore moins s’engager dans cette sphère. « Ce n’est pas bon pour le business », estime-t-il. Animé par ses qualités de visionnaire, Strive Masiyiwa préfère parler des 60 000 kilomètres de câbles à fibre optique que sa filiale Liquid Telecom a déjà posés, oeuvrant à la connexion Internet des pays entre eux, du Soudan au Nigeria, en passant par le Tchad et le Cameroun, avant le Sénégal et l’Afrique du Nord.

Son credo ? « Adapter l’offre à une demande qui correspond à des besoins humains ». C’est en répondant à une crise sanitaire liée au choléra au Zimbabwe, en 2018, avec un don de 20 millions de dollars mis en oeuvre par des équipes de la Fondation Bill et Melinda Gates, qu’il a eu l’idée de l’une de ses dernières innovations : un système de collecte des ordures à la demande des particuliers. « Au début, nous avons engagé un millier de jeunes pour ramasser les ordures pendant trois mois, pour mieux lutter contre le choléra. Ensuite, nous les avons organisés en coopératives, pour recycler les déchets. Une plateforme de type Uber a été créée, Clean City Africa, avec une application pour faciliter le ramassage des ordures, le recyclage et apporter un service d’eau propre. Elle compte aujourd’hui 250 000 clients, dont les besoins sont ainsi satisfaits ». Econet Wireless reçoit des appels de toutes parts, émanant de villes africaines qui veulent répliquer le système. « Qui sait ? C’est peut-être un business à 1 milliard de dollars, qui va résoudre le problème de villes qui ne collectent pas les ordures parce que personne ne paie l’impôt ! »

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