En 1979, le lieutenant-colonel Teodoro Obiang Nguema promettait un respect « scrupuleux » des droits de l’homme. Quarante ans plus tard, la Guinée équatoriale est, certes, critiquée par les défenseurs des droits de l’homme, mais par bien peu d’autres.
Lors de son investiture, le président Obiang s’est vu remettre une canne en ébène par le plus haut gradé des forces armées, le symbole d’un pouvoir qui allait s’affirmer au fil des décennies, notamment après la découverte d’importants gisements de pétrole dans les eaux équato-guinéennes.
Quarante ans plus tard, force est de constater que le plus ancien président en exercice au monde a pu faire oublier ses origines et amadouer la communauté internationale, à commencer par les États-Unis, dont les entreprises contrôlent la production pétrolière. Résultat : la Guinée équatoriale, longtemps traité en paria – un universitaire américain de grande renommée l’a même déjà décrite comme un « État voyou » – occupe aujourd’hui un siège au Conseil de sécurité des Nations unies.
Le maître de Malabo, qui n’avait que le mot libertad à la bouche en 1979, dirige aujourd’hui un pays qui n’est pas libre, selon l’ONG américaine Freedom House. Dans son classement, seuls trois pays africains font moins bien (Érythrée, Soudan du Sud et Sahara occidental).
La méthode Obiang ? Des forces de sécurité omniprésentes, une fonction publique aussi loyale que pléthorique et un parti au pouvoir qui rappelle à certains égards les partis communistes d’antan. Selon Susana Castillo-Rodriguez, chercheuse de la State University of New York à Geneseo, les « cellules » du Parti démocratique de Guinée équatoriale (PDGE) rendent possibles une surveillance « transversale » de la société. À son sommet, on trouve la famille Obiang, qu’un ex-ambassadeur des États-Unis à Malabo, John Bennett, assimile à une « entreprise familiale » qui aurait fait main basse sur la manne pétrolière « des centaines de millions de dollars », précise-t-il – avec la complicité des compagnies pétrolières de son pays.
Outre le président Obiang, cette « entreprise familiale » est composée, notamment, de la première dame Constancia Mangue et de deux fils, Gabriel Mbenga Obiang Lima et Teodorin Nguema Obiang Mangue, respectivement ministre des Mines et du Pétrole et vice-président. Ce dernier est, par ailleurs, responsable des forces de sécurité, selon le dernier rapport du département d’État américain sur les droits de l’homme.
Ces relations familiales, loin d’être cachées, sont soulignées par un pouvoir qui joue volontiers la carte du paternalisme. Sous la houlette de Teodorin, les jeunesses du parti au pouvoir s’appellent l’« Association des fils d’Obiang ». Ses membres sont qualifiés de « Frères associés ». Leur groupe Facebook compte près de 3 000 membres.
Malgré ses 40 ans au pouvoir, Obiang père reste populaire, selon un chercheur européen qui s’est rendu sur place à plusieurs reprises. « Le papa est aimé par une partie importante de la population, dit-il. Le fils, lui, est détesté. »
Ses démêlés avec la justice aux États-Unis, au Brésil et en Europe y sont sûrement pour quelque chose. En France, Teodorin Nguema Obiang, souvent appelé TNO, a même déjà été condamné à trois ans de prison et à 30 millions d’euros d’amende (dans les deux cas avec sursis) pour blanchiment d’abus de biens sociaux, détournement de fonds publics, abus de confiance et corruption en 2017. Le sort d’un hôtel particulier, avenue Foch, à Paris, fait l’objet d’un litige entre la France et la Guinée équatoriale à la Cour internationale de justice.
Des droits bafoués
Les contrepouvoirs seraient, à toutes fins utiles, inexistants. La Guinée équatoriale fait figure de cancre lorsqu’il est question de liberté de la presse. Elle arrive au 165e rang (sur 180) dans le classement mondial de la liberté de la presse 2019 de Reporters sans frontières, devançant seulement trois pays africains (L’Érythrée, le Soudan et Djibouti).
L’indépendance du pouvoir judiciaire, quant à elle, serait une vue de l’esprit. Juan E. Mendez, ex-rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, a assisté, au printemps 2019, à Malabo, au procès de 112 personnes accusées d’avoir trempé dans une présumée tentative de coup d’État. Le procès a été entaché de « très graves irrégularités procédurales » et d’« une flagrante absence d’impartialité judiciaire », a-t-il soutenu dans un rapport pour le Centre des droits de l’homme de l’Association du barreau américain.
Dans l’ensemble, la situation des droits de l’homme est « très inquiétante », selon Marta Colomer, une chargée de campagne d’Amnesty International, l’ONG qui dénonçait jadis les crimes du président Macas. Dans la Guinée équatoriale de Teodoro Obiang, les défenseurs des droits de l’homme et les opposants sont harcelés, intimidés, voire arrêtés, y compris pour des délits qui, dans d’autres régimes autoritaires en Afrique, seraient considérés comme des peccadilles.
« La police peut débarquer chez vous pour le simple fait d’avoir critiqué le gouvernement sur Facebook en disant que cela donne une mauvaise image du pays, dit Marta Colomer. Il existe un climat, un sentiment de peur collective. Les gens ont peur de parler, de manifester. »
Le président Obiang a pourtant autorisé le multipartisme il y a 28 ans, et des élections ont eu lieu à intervalles presque réguliers. Mais les scrutins n’ont débouché sur aucune alternance politique, même si les scores électoraux du candidat Obiang ont progressivement et modestement chuté depuis les années 1990. À la dernière présidentielle, en 2016, il n’a pas obtenu 99 % des voix comme il avait l’habitude de le faire, mais un peu moins de 94 %. Le multipartisme n’a pas permis non plus une alternance à la Chambre des députés. Aux dernières législatives, en 2017, le PDGE et les autres formations de la coalition au pouvoir ont remporté tous les sièges, sauf un.
Le pétrole de tous les dangers
Depuis qu’elle exporte massivement du pétrole, c’est-à-dire depuis la fin des années 1990, la Guinée équatoriale s’est hissée au rang des grands exportateurs de brut : elle est même le premier exportateur de l’Afrique centrale après l’Angola. Ses réserves, évaluées à plus d’un milliard de barils, devraient assurer une rente pétrolière jusqu’en 2035.
Malgré la chute des cours du brut, le PIB par habitant est resté le plus élevé du continent (10 174 dollars en 2018, selon la Banque mondiale). Cette manne a permis à l’État de financer d’importants projets d’infrastructure dont les retombées bénéficient à quelques privilégiés, selon Human Rights Watch. « De hauts responsables du gouvernement engrangent d’énormes profits provenant de marchés (…) publics attribués à des entreprises qu’ils détiennent en totalité ou en partie, dans de nombreux cas, en partenariat avec des entreprises étrangères », explique l’ONG.
En revanche, Human Rights Watch constate que le gouvernement de Malabo ne consacrait pas plus de 3 % de son budget annuel à la santé et à l’éducation en 2008 et 2011 (deux années pour lesquelles des données sont disponibles). Au final, le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans est encore plus élevé qu’au Niger : 90 décès pour 1 000 naissances, selon l’Unicef.
Si la réputation de la Guinée équatoriale n’est pas aussi sulfureuse que des opposants pourraient le croire – Teodoro Obiang s’est fait photographier aux côtés des Obama –, c’est notamment parce que Malabo a recruté quantité de lobbyistes aux États-Unis. À Washington, le pouvoir équato-guinéen peut faire appel à de nombreux porte-voix, dont un ancien conseiller du président Clinton (Lanny Davis), deux filiales du groupe français Publicis (Qorvis Communications, MSL Group Americas), sans oublier Cassidy and Associates.
« On ne peut pas comprendre comment un gouvernement corrompu et criminel a pu se faire accepter à Washington et en Europe sans parler des millions de dollars qu’Obiang verse aux lobbies à Washington », affirme Tutu Alicante de l’ONG américaine EG Justice. « La même chose est vraie en Espagne, où Obiang peut compter sur le soutien de deux ex-ministres, et en France et au Royaume-Uni, où il fait appel à des cabinets d’avocats et de relations publiques. »
En 2007, un plan stratégique issu d’une conférence économique nationale, Guinée équatoriale 2020, s’était fixé comme objectif l’éradication de la pauvreté « d’ici 2012 ». « Dans un continent où plusieurs pays richement dotés ont succombé à la malédiction du pétrole, affirmait le rapport, [la Guinée équatoriale] souhaite montrer que le pétrole peut être une bénédiction. »
Beaucoup d’Équato-Guinéens qui ont fui ce « régime présidentiel fort » – comme disent les analystes de la Banque africaine de développement – n’y croient plus.
Chronologie – Guinée équatoriale (1968-2019)
1968 : Indépendance
1979 : Le président à vie Francisco Macías Nguema renversé par Teodoro Obiang Nguema Mbasogo
1982 : Teodoro Obiang nommé chef d’État pour sept ans par le Conseil militaire suprême
1987 : Création du Parti démocratique de Guinée équatoriale, parti unique
1989 : Teodoro Obiang élu avec 99,99 % des voix
1991 : Proclamation d’une nouvelle constitution autorisant le multipartisme
1992 : La Guinée équatoriale commence à exporter son pétrole
1996 : Teodoro Obiang réélu avec 97 % des voix
2001 : Plus forte croissance du PIB au monde (63,3 %)
2002 : 68 personnes emprisonnées, dont l’opposant Placido Mico Abogo
2002 : Teodoro Obiang réélu avec 97,1 % des voix
2004 : 15 mercenaires présumés accusés d’avoir voulu renverser le régime
2009 : Teodoro Obiang réélu avec 95,19 % des voix
2011 : Adoption d’une nouvelle constitution limitant le nombre de mandats présidentiels
2012 : Teodoro Obiang réélu avec 93,53 % des voix
2014 : Teodorin Obiang renonce à des biens d’une valeur de 30 millions de dollars qu’il détenait aux États-Unis, les autorités affirmant qu’ils ont été mal acquis
2017 : Le tribunal correctionnel de Paris condamne Teodorin Obiang à trois ans de prison avec sursis dans une affaire de biens mal acquis
2018 : Interdiction du principal parti d’opposition, Citoyens pour l’innovation
Tancrède Chambraud
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