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Un an d’Ebola en RDC: qui croire dans la polémique sur le deuxième vaccin?

Un après le début de l’épidémie d’Ebola en République démocratique du Congo (RDC), les récentes déclarations du ministre sortant de la Santé sur l’introduction d’un deuxième vaccin ont créé la polémique. Le docteur Oly Ilunga a assuré que des pressions avaient été exercées sur son ministère par un « lobby malveillant », ce que dément le nouveau patron de la coordination de la riposte, le professeur Jean-Jacques Muyembe, co-découvreur du virus Ebola. Enquête.

Le 26 août 1976, Mabalo Lokela se présente avec une forte fièvre à l’hôpital de la mission des sœurs de Notre-Dame-du-Sacré-Cœur de Gravenwezel de Yambuku. Ce directeur d’école de 44 ans revient tout juste de voyage. Avec quelques amis, il était parti explorer le nord de sa province, l’Équateur. Sur les bords de la rivière Ebola, il avait consommé de la viande de brousse, de l’antilope et du singe. Mais il croit souffrir de paludisme, endémique dans cette région forestière du nord-ouest du Zaïre pendant les années Mobutu. Malgré tous les soins prodigués par les bonnes sœurs de la mission belge, Mabalo Lokela meurt une semaine plus tard. C’est le patient « index » de la première épidémie d’Ebola, du nom de la rivière qu’il avait visité quelques jours plus tôt.

Quand Jean-Jacques Muyembe, jeune doctorant en virologie, tout juste diplômé de l’Université de Leuven, débarque de Kinshasa avec son collègue le docteur Omombo, Mabalo Lokela est enterré depuis longtemps. Les deux médecins sont mandatés à Yambuku par le ministre de la Santé pour enquêter sur une mystérieuse maladie qui décime ses habitants. Il y a urgence, la population panique. Jean-Jacques Muyembe découvre en ce mois de septembre 1976 une localité presque désertée. Même l’hôpital de la mission est vide.

Le jeune virologue fait quelques biopsies sur les corps des victimes, effectue des prélèvements sanguins, notamment sur une nonne flamande qui présente une forte fièvre. Jean-Jacques Muyembe note sans trop s’inquiéter qu’en retirant l’aiguille, la patiente saigne abondamment. Il en a plein les mains et se les lave simplement avec un bout de savon. C’est sur la base de ce prélèvement que le docteur Peter Piot de l’Institut des maladies tropicales d’Anvers parvient à isoler le virus Ebola. Leur enquête révèle que les nonnes ont par inadvertance propagé l’épidémie. Elles avaient en tout et pour tout cinq seringues qu’elles utilisaient sans les stériliser.

Muyembe, « une sommité mondialement reconnue »

Quand 42 ans plus tard, le professeur Jean-Jacques Muyembe, directeur de l’Institut national de recherche biomédicale (INRB) prend la tête de la coordination de la riposte, la désormais République démocratique du Congo connaît sa dixième épidémie d’Ebola depuis un an et elle est devenue une « urgence sanitaire mondiale », selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Plus de 1 800 Congolais sont morts, dont plusieurs à Goma, principale ville de l’Est.

« Jean-Jacques Muyembe a participé à la gestion des neuf autres épidémies, c’est une sommité mondialement reconnue », rappelle Giscard Kusema, le directeur adjoint de la communication de la présidence, dépêché à Goma pour assister le nouveau patron de la riposte dans la communication autour des efforts menés. Le nouveau chef de l’État a officiellement pris en main la riposte, désavouant au passage le ministre de la Santé sortantet ancien médecin de son père, le docteur Oly Ilunga. Ce dernier claque la porte et réplique par une lettre datée du 22 juillet 2019, adressée à Félix Tshisekedi lui-même.

Dans cette missive, le docteur Oly Ilunga dénonce des « ingérences », des pressions pour introduire un deuxième vaccin dans l’arsenal de la riposte au Congo, il évoque « des acteurs qui ont fait preuve d’un manque d’éthique manifeste en cachant volontairement des informations importantes aux autorités sanitaires ». Quelques jours plus tard dans les colonnes du journal Le Monde, le ministre démissionnaire parle d’un « lobby malveillant » qui « a tenté par tous les moyens d’imposer, en RDC, le vaccin expérimental du fabricant pharmaceutique Johnson & Johnson ». Le docteur Oly Ilunga reproche à ce vaccin de n’être qu’en « phase 2 » et de nécessiter « deux injections administrées à 56 jours d’intervalle », ce qui n’aurait que peu d’impact pour contrôler la maladie.

Sans se préoccuper des déclarations du docteur Ilunga, le 24 juillet 2019, Peter Piot, devenu directeur de la prestigieuse Faculté d’hygiène et de médecine tropicale de Londres, commente publiquement la réorganisation qui place son ami aux commandes de lutte contre Ebola au Congo et évoque l’affaire du deuxième vaccin : « Durant ces derniers mois, nous avons travaillé avec les autorités locales et nationales en RDC, notamment le ministère de la Santé, pour soutenir le déploiement d’un second vaccin expérimental fabriqué par Johnson & Johnson ». Il salue le rôle du professeur Jean-Jacques Muyembe et le fait que les protocoles expérimentaux de ce deuxième vaccin ont déjà été soumis au comité d’éthique et à d’autres institutions chargées d’autoriser l’utilisation de nouveaux médicaments. « La RDC devrait rester à la pointe de la recherche et de l’innovation dans ce domaine », souligne le codécouvreur d’Ebola. Au même moment, depuis Kinshasa, Jean-Jacques Muyembe tempère au micro de RFI que « rien n’est décidé, ce n’est qu’une proposition ».

L’idée d’un deuxième vaccin est à vrai dire une recommandation qui émane du Groupe stratégique consultatif d’experts (SAGE) de l’OMS. Dans un communiqué daté du 7 mai 2019, ces experts préconisaient déjà « d’introduire un vaccin expérimental supplémentaire (développé par Johnson & Johnson) » et avaient écarté ses concurrents russes et chinois. Depuis l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016, avec la perspective d’une contagion étendue à d’autres pays ou même continents, les cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité ont tous développé des vaccins et des traitements expérimentaux pour la souche Zaïre du virus, c’est la course à l’homologation et le nouveau champ de cette bataille commerciale est la République démocratique du Congo.

« Faire face à une rupture de stock  »

Dans la foulée, le 23 mai 2019, le  ministère congolais de la Santé reçoit un protocole d’étude clinique de ce vaccin. Ce document de 86 pages estampillé confidentiel est établi par un certain « consortium PREVAC ». Sur la troisième page figure le nom du professeur Jean-Jacques Muyembe sous la mention « RDC enquêteur principal ». Lui et Peter Piot, les deux découvreurs d’Ebola, font partie du comité de pilotage de cette étude dont l’objectif est de « mesurer l’efficacité d’une campagne de vaccination basée sur une population sélectionnée ».

On y apprend qu’en décembre 2018, « environ 6 500 avaient reçu la première vaccination », que « des études de phase 2 et 3 avaient été menées ». Sur 2 390 adultes ayant reçu les deux doses, des « effets indésirables graves » ont été observés chez 64 patients, même si « dans l’ensemble », ce vaccin produit des « effets indésirables légers à modérés de courte durée sans séquelles ». Cette étude clinique vise « jusqu’à 1 million de sujets » à vacciner « jusqu’à la fin de la flambée de maladie à virus Ebola actuelle pour l’évaluation de l’efficacité du vaccin ».

Le 1er août 2019, cela fait un an que l’épidémie d’Ebola est en cours en RDC. La polémique sur le deuxième vaccin grandit. Les experts congolais comme étrangers de la coordination de la riposte sont réunis à Goma autour du professeur Jean-Jacques Muyembe pour formuler une nouvelle stratégie. À sa sortie, le docteur Abdourahamane Diallo, l’expert de l’OMS en charge des questions de vaccination, précise : « Le groupe d’experts de l’OMS, le SAGE, a préconisé l’usage d’un deuxième vaccin, mais dans les zones à risque, pas dans les zones affectées ». L’OMS redoute une pénurie du premier vaccin expérimental, le rVSV-ZEBOV d’un autre laboratoire pharmaceutique américain Merck, co-introduit en mai 2018 en RDC pour vacciner les contacts à risque.

L’utilisation de ce premier vaccin n’avait suscité que peu de débat, il avait été testé sur 16 000 personnes en 2015, notamment en Afrique de l’Ouest au cours de l’épidémie d’Ebola, mais aussi en Europe et aux États-Unis. Mais pour l’introduction d’un deuxième vaccin, les mouvements citoyens comme la Lucha montent au créneau et interpellent le nouveau patron de la riposte. « L’urgence, c’est d’arrêter la propagation de l’épidémie et non d’expérimenter toutes sortes de médicaments et vaccins développés par certaines multinationales que vous représentez », peut-on lire sur le compte Twitter de la Lucha.

« Le vaccin de Johnson & Johnson a aussi fait l’objet d’une étude clinique en Guinée, mais après l’épidémie », précise le docteur Diallo. Cet essai clinique a lui-même été mené par ledit « consortium PREVAC » créé 2017, qui se présente comme le « Partenariat pour la vaccination contre le virus Ebola » et regroupe trois pays, la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne ainsi que leurs principaux instituts de recherche : l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en France, les Instituts nationaux pour la santé américains et la faculté de médecine. Trois entreprises « fournissent les vaccins testés », selon l’Inserm : Johnson & Johnson, Merck and Co (MSD) et Bavarian Nordic. L’ONG Alima était chargée de sa mise en œuvre.

Le stock de vaccin rVSV ZEBOV prévu par l’OMS « pour faire face aux éventuelles urgences » aurait été « sous-estimé ». « À l’allure de l’épidémie, si on continue d’utiliser un seul vaccin, on pourrait faire face à une rupture de stock », poursuit l’expert de l’OMS en charge de la vaccination. Selon un proche collaborateur du docteur Oly Ilunga, « Merck assure qu’il peut produire 500 000 doses d’ici la fin de l’année et en ajouter 100 000 tout de suite ». La société citée par Reuters a pour sa part assuré pouvoir livrer 900 00 doses dans un délai de 6 à 18 mois, en plus des 195 000 doses déjà fournies. En un an, ce sont plus de 170 000 personnes qui ont été vaccinées dans les zones affectées.

« Je ne sais pas qui vous a donné le droit »

Pour anticiper une possible pénurie, le SAGE avait recommandé lors de sa réunion du 7 mai 2019 de diviser les doses de vaccin rVSV ZEBOV « par 2 et par 5 » et d’élargir la vaccination. Selon un protocole d’étude daté de la veille, également classé confidentiel et auquel RFI a eu accès, il était envisagé malgré tout d’utiliser ce vaccin pour pratiquer une campagne de « vaccination en ceinture » étendue à « tous les sujets résidants dans le même village ou dans le même quartier résidentiel » des zones affectées « à titre compassionnel ». Les enfants à partir de six mois, les femmes enceintes après le premier trimestre de grossesse et les femmes allaitantes devaient être concernés par cette étude clinique.

Pourtant, si ce vaccin est considéré à l’époque comme « sûr et efficace chez les enfants de 6 à 17 ans », les auteurs de ce rapport précisent que les « données chez les enfants les plus jeunes (1 à 6 ans) » ne sont pas « facilement » disponibles. Comme pour le vaccin de Johnson & Johnson, dans ce document, le professeur Jean-Claude Muyembe est présenté comme l’enquêteur principal de cette étude. Il l’est aussi pour l’un des quatre traitements expérimentaux utilisés dans le cadre de la riposte, le mAb114, dont il est l’un des inventeurs.

Ces recommandations du SAGE provoquent des tensions entre le ministère de la Santé et l’Institut national de Recherche biomédicale du professeur Muyembe. La commission vaccination réunie le 20 mai 2019 sous l’égide du docteur Ilunga décide bien d’élargir la vaccination aux femmes enceintes de plus de trois mois ou allaitantes et aux enfants de plus de six mois, mais refuse la proposition d’« un troisième ring en dose minimal », selon son compte-rendu. Dans un email daté du 22 mai 2019, le professeur Jean-Jacques Muyembe s’emporte contre cette « révision du protocole de vaccination en ceinture avec le vaccin rVSV » à laquelle il dit ne pas avoir été associé. « Je ne sais pas qui vous a donné le droit, à l’insu du PI (Principal investigator, enquêteur principal, ndlr] que je suis », rappelle le directeur de l’INRB. La vaccination en ceinture pour Ebola n’est pas, selon lui une « vaccination de routine, mais plutôt une étude, une recherche ».

Le docteur Abdourahamane Diallo se souvient très bien de cette réunion du 20 mai 2019. « Chaque vaccin était représenté par son promoteur, tous les laboratoires étaient venus à Kinshasa », raconte-t-il. Johnson & Johnson n’était pas la seule entreprise représentée, même si son vaccin « a été jugé meilleur ». Il y avait aussi un représentant de CanSino-Beijing Institute of Biotechnology. « Pour le vaccin chinois, ils avaient envoyé une simple présentation au cabinet du ministre fin mai, ils nous ont expliqué qu’ils avaient voulu introduire un dossier auprès de l’INRB, mais Muyembe ne leur a jamais répondu ».

Finalement, les vaccins chinois et américain seront tous les deux rejetés par la commission vaccination du ministère de la Santé en raison de leur « dose fractionnée » et de la « difficulté communicationnelle qui caractérise ce contexte » de rejet par les communautés affectées des équipes de la riposte. « À mon avis personnel, si on communique clairement, ça ne posera pas de problème », estime pour sa part l’expert de l’OMS tout en réaffirmant que ce sont les autorités sanitaires du pays qui décident.

« Ebola n’est pas la chasse gardée d’un expert »

Depuis le 20 juillet 2019, le nouveau patron de la coordination de la riposte s’appelle Jean-Jacques Muyembe et son choix s’est porté sur le vaccin de Johnson & Johnson. Va-t-il être introduit au Congo malgré la polémique créée depuis les propos du ministre démissionnaire de la Santé ? Du côté de la présidence, on tempère. « Le professeur Muyembe ne travaille pas seul. Aujourd’hui l’épidémie d’Ebola n’est pas la chasse gardée d’un expert », assure Giscard Kusema.

Le directeur adjoint de la communication de Félix Tshisekedi balaie du revers de la main toute allégation de conflit d’intérêts, il rappelle qu’en matière de lutte contre Ebola, « il existe une référence qui s’appelle le professeur Muyembe » et que le choix d’un nouveau vaccin reste une « matière technique ». Le nouveau patron de la riposte dément lui aussi cumuler aujourd’hui trop de fonctions : « Il n’y a pas conflit d’intérêts parce que nous sommes là simplement en tant que scientifiques ». Le professeur Jean-Jacques Muyembe ajoute : « Je ne gagne rien pour cela ».

En octobre 2018, un comité ad hoc avait été chargé par l’OMS de faire des recommandations sur les essais cliniques de traitements « compassionnels » de la maladie à virus Ebola. Sur l’ensemble des experts sollicités, quatre avaient été considérés comme étant en « conflit d’intérêts ». Parmi eux, les professeurs Jean-Jacques Muyembe-Tamfum et Sabue Mulangu de l’Institut national de recherche biomédicale, « répertoriés comme inventeurs » de l’utilisation du mAb114 dans le traitement d’Ebola. L’OMS note toutefois que le gouvernement américain reste « le propriétaire de cette invention » et les deux chercheurs congolais « n’ont pas reçu d’argent et, étant donné la faible valeur commerciale des produits obtenus (limités à une utilisation lors d’épidémies d’Ebola Zaïre), ils estiment peu probable qu’ils reçoivent un revenu quelconque comme les inventeurs à l’avenir ».

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