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Tunisie: le processus démocratique face à l’instabilité régionale

Entre une Algérie à l’avenir incertain, qui la borde sur 1 000 km, et une Libye en plein chaos, qui partage avec elle 460 km de frontières, la Tunisie se retrouve au centre de nouvelles influences géopolitiques.

De notre correspondant à Tunis,

Début avril, quelques heures après l’offensive du maréchal Haftar sur la ville de Tripoli, le ministère tunisien de la Défense ordonne l’envoi de renforts militaires à la frontière libyenne.

Déploiement de personnels supplémentaires, utilisation de systèmes électroniques de contrôle et de détection, Tunis craint l’infiltration sur son sol d’éléments dangereux fuyant les combats. Puis fin avril, le Premier ministre évoque une « alerte de sécurité majeure à la frontière tuniso-libyenne ».

Youssef Chahed affirme « craindre que l’expérience de 2011 ne se renouvelle, avec l’arrivée en grand nombre de réfugiés ». Les organisations humanitaires évoquent déjà un flux continu, 10 à 2  personnes par jour, de migrants subsahariens qui franchissent la frontière pour emplir des centres d’accueil saturés.

Sans compter les centaines de Libyens qui ont fui les combats pour s’installer provisoirement en famille, dans des logements qu’ils louent pour l’occasion.

Redistribution d’influences

Si les effets paraissent semblables, la comparaison avec 2011, année de la chute de Mouammar Kadhafi, s’arrête là selon le chercheur Jalel Harchaoui.

« À l’époque, la communauté internationale était sincère et mobilisée pour venir calmer le jeu en Libye. Grande-Bretagne, Algérie, États-Unis, Italie, de nombreux pays étaient impliqués », rappelle-t-il.

« Aujourd’hui, ces pays ont d’autres soucis et d’autres centres d’intérêt », constate Jalel Harchaoui. Ils ont laissé la main à des acteurs régionaux, selon ce membre de l’institut Clingendael de La Haye :

« Il y a une acceptation de la part des Occidentaux que le superviseur régional qui a la responsabilité de l’ensemble de quasiment la moitié nord de l’Afrique, ce sont les Émirats arabes unis qui en Libye exercent une influence perturbatrice, avec l’Arabie saoudite et dans une moindre mesure l’Égypte. »

Cette redistribution d’influences place la Tunisie entre l’Algérie, qui s’oppose clairement à l’élan des monarchie du golfe Persique, et les forces qui agissent en Libye. De quoi plonger l’appareil politique tunisien dans l’expectative, notamment face à l’évolution de la situation en Libye.

À Tunis, où l’on prône un cessez-le-feu, personne n’a défendu ou attaqué l’offensive de Haftar. Mais on s’inquiète du risque sécuritaire qu’entraînerait une prise de Tripoli par le maréchal.

« Que faire des vaincus ? Vont-ils venir en Tunisie ? », s’interroge Michaël Ayari, qui pousse le scénario encore plus loin : « Haftar se lancerait-il dans une politique expansionniste ? Parce qu’Haftar, les Émirats, les Saoudiens, toutes ces influences aux portes de Tunis, ça influerait fortement sur la scène politique. »

Et l’expert de l’International Crisis Group de prédire, dans ce cas, que les Algériens seront « obligés de contrecarrer ces initiatives. Car, ne l’oublions pas, Alger fait face à des problèmes internes. Mais le pays peut gérer l’interne et l’externe ; l’Algérie reste un acteur puissant d’Afrique du Nord. »

Entre l’incertitude algérienne et le chaos libyen, la Tunisie poursuit sa démarche d’équilibriste. Ne surtout pas s’engager en faveur des uns ou des autres, car selon le chercheur, « cet équilibrisme lui offre une forme de liberté et lui permet de tirer sa marge de manoeuvre en dosant son double-jeu. Même si aujourd’hui, le pays n’est plus à l’avant-garde et se retrouve balloté au gré des vents voisins. »

Ce repositionnement permanent du pays du jasmin ne semble pourtant pas inquiéter Kmar Bendana. « Il y a une écologie politique entre ces trois pays qui respectent leurs champs d’action. Car chacun sait qu’un débordement pourrait être nocif à cet écosystème », selon l’historienne, qui préfère croire dans le souci d’un équilibre géopolitique partagé.

Au-delà du seul voisinage, « le caractère régional de la transition démocratique apparaît aujourd’hui clairement. En termes d’influence, on est passé d’une forme de printemps qatari qui a secoué la région en 2011 à un printemps émirati aujourd’hui », estime même Michaël Ayari, qui observe au niveau de la politique tunisienne un « verrouillage pour réduire l’incertitude et augmenter les capacités de résilience de la Tunisie afin de faire face à des chocs futurs. »

Reconstruire son rapport à une Algérie sans Bouteflika semble un défi majeur de la Tunisie, qui a pu compter sur l’ancien homme fort d’Alger en 2013. Les Algériens avaient alors joué un rôle de protecteur, fournissant une sorte de parapluie sécuritaire et assurant un travail de médiation diplomatique pour éviter le pire.

Mais aujourd’hui, l’Algérie nouvelle semble absorbée par sa politique intérieure. Et sur son flanc Est, la Tunisie se doit d’être réaliste des Saoudiens et des Émiratispour qui, selon Jalel Harchaoui, « l’expérience démocratique tunisienne est une mauvaise nouvelle, car les frères musulmans y ont du pouvoir. Vu du Golfe, si la Tunisie finissait par être un dommage collatéral de la perturbation libyenne, ce serait l’occasion de tout balayer et de repartir sur de nouvelles bases. »

Autant d’éléments qui confirment les dangers auxquels fait face aujourd’hui l’expérience démocratique tunisienne. Ces dangers, à l’aube d’élections législatives et présidentielle, se muent en défis pour la classe politique qui a rendez-vous avec les électeurs à l’automne 2019.

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