Comment contrôler le paiement des impôts par les entreprises publiques en RDC ? Une série de documents relatifs à la Gecamines, la compagnie minière d’Etat, jette le trouble au sein de la société civile congolaise. Ce sont des ordres de paiement internes d’ « avances en fiscalité » officiellement payées par la Gécamines à la Banque centrale du Congo et d’autres documents relatifs à cette pratique. Pour une entreprise d’État comme la Gécamines, cela porte sur un demi milliard de dollars entre 2009 et 2018.
En République démocratique du Congo, la Gécamines, compagnie minière d’État, se retrouve dans une affaire fiscale qui interroge la société civile congolaise. Le trouble porte sur des ordres de paiement internes d’« avances en fiscalité » officiellement payées par la Gécamines à la Banque centrale du Congo (BCC) et d’autres documents relatifs à cette pratique, à raison d’un demi-milliard de dollars entre 2009 et 2018. Plusieurs ONG internationales, comme Global Witness ou le Centre Carter, ou même nationales ont déjà régulièrement pointé le manque de traçabilité de cette procédure et l’évaporation de ces recettes fiscales.
En 2015, quelques dix millions de dollars ont été officiellement versés en liquide à la Banque centrale du Congo, qui se veut comme le fer de lance de la lutte anti-blanchiment. La Gécamines tire cet argent de son compte à la banque gabonaise BGFI. Le numéro d’identification figure sur l’ordre de paiement. En revanche, rien, aucune indication sur le numéro de compte de la Banque centrale bénéficiaire de ces mallettes de billets.
En 2016, ces avances fiscales dépassent les 85 millions de dollars. Accusée par les ONG, la Gécamines brandit une simple lettre du ministre des finances Henri Yav Mulang qui, le 25 avril 2017, a demandé à trois régies financières d’accorder un crédit d’impôt correspondant à ces avances de la compagnie d’État, assurant que ces 85 millions ont bien été reversés au Trésor public en 2016 et qu’il leur sera « ultérieurement communiqué » les montants d’avances consenties par la Gécamines avant 2016, après « certification » par ses services.
Un mode de justification a posteriori qui devient la règle mais qui ne cadre pas avec les déclarations faites à l’Initiative pour la transparence des industries extractives.
Pourquoi le contrôle est aussi difficile ?
Pour l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie), ce serait la direction générale des impôts seule qui aurait reçu ces 85 millions et pas trois régies financières. L’avance fiscale ne correspond plus au crédit d’impôts.
Mais où va l’argent ? A cette question, la Gécamines, la Banque centrale et le ministère des finances répondent simplement : dans les caisses de l’État. Mais à l’intérieur de ses institutions, les spécialistes des finances publiques sont plutôt surpris par la forme des ordres de paiement de la Gécamines. Certains versés en liquide et sans numéro de compte destinataire pour la Banque centrale. En interrogeant leurs supérieurs, ils sont immédiatement rassurés.
« C’est vrai que le code des impôts ne prévoit pas ces avances, explique l’un des agents consultés par RFI. Mais c’est une pratique valable qui tombe dans les attributions du ministre des Finances. » Du côté des entreprises minières privés, on refuse pourtant souvent de répondre aux sollicitations d’un gouvernement en mal de trésorerie, estimant la pratique « trop risquée ». « On préfère payer les taxes et impôts directement aux régies financières concernées », commente un homme d’affaires.
Au sein des organes chargés du contrôle, on parle en des termes feutrés de cette difficulté à retracer « l’affectation des recettes ». « La Banque centrale nous répond toujours que l’argent n’a pas de couleur, elle mélange tout avant de redistribuer », déplore un de ces contrôleurs. Ils ont des doutes même s’ils reçoivent des déclarations concordantes de la Gécamines, la BCC et la direction générale des impôts. « Ça concorde, c’est juste qu’on ne comprend pas comment », soupire-t-il.
La société civile congolaise dénonce des irrégularités
Certains évoquent l’absence d’une cour des comptes fonctionnelle jusqu’ici et espèrent sa montée en puissance. D’autres rappellent que l’Inspection générale des finances est sous le contrôle de la présidence de la République ou que le patron de la Gécamines a longtemps été le coordinateur du comité d’audit de la Banque centrale.
Malgré les dénégations des principaux intéressés, les grandes entreprises, comme la Banque centrale ou la Direction générale des impôts, plusieurs organisations de la société civile demandent aux nouvelles autorités du pays de mettre un terme à cette procédure qu’elle juge dérogatoire au code minier, comme au code des impôts, et d’opérer des audits sur toutes les transactions passées.
Pour l’ancien banquier et lanceur d’alerte Jean-Jacques Lumumba, il y a beaucoup d’irrégularités qui devraient interpeller le nouveau pouvoir. Comme le fait que son ancienne banque la BGFI avait accepté de délivrer en liquide une dizaine de millions de dollars en 2015 pour officiellement payer ces avances d’impôts.
« Voir la circulation d’autant de liquide, alors que nous savons tous que la Direction générale des impôts ou la Banque centrale peuvent collecter leur fiscalité directement auprès de banques, est une pratique qui me paraît assez répréhensible, accuse-t-il. […] Il faut une enquête indépendante qui puisse justifier de la nécessité du paiement en cash, qu’il y ait une nouvelle procédure qui réglemente tout cela, afin d’éviter des abus, des détournements. »
Du côté de la Banque centrale, on assurait hier ne pas être maître de la manière dont les entreprises créditent ses comptes, mais que les documents mis à disposition par RFI étaient en cours d’examen en vue d’une réponse complétementaire. Interpellé par RFI sur le sujet, le ministre des Finances et la Gécamines n’ont pas encore réagi.
C’est aussi ce qu’indique l’Itie dans son dernier rapport. Pour l’Observatoire de la dépense publique, ce problème dépasse de loin le cas de la Gécamines. Il est régulièrement soulevé par la société civile sans obtenir des réponses satisfaisantes. Ci-dessous, les explications de Valery Madianga de l’ODEP :
« La question n’est pas seulement avec la fiscalité minière. Elle est presque générale avec toutes les taxes et impôts de l’État. Cela se paie à travers les banques commerciales. Et maintenant, la traçabilité pose un grand problème. […] Il faut que les institutions de contrôle à venir, notamment le Parlement, doivent jouer pleinement leur rôle pour contrôler le transit de tous ces fonds. Parce que cela viole la loi relative aux finances publiques. »