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Afrique du Sud: la crise d’identité des «born free»

Ils ont 25 ans ou moins et n’ont jamais connu la chape de plomb du régime raciste de l’apartheid. Ils sont les représentants de la nouvelle génération de Sud-Africains, la génération à qui Nelson Mandela a promis la nation arc-en-ciel. RFI vous propose une plongée dans le monde des born free, cette génération « libre » qui doit bâtir une nouvelle Afrique du Sud sur les cicatrices de l’apartheid.

Se construire sur une histoire douloureuse

Devant le célèbre Musée de l’apartheid de Johannesburg, une succession de bus touristiques. Des familles venues de toute l’Europe y viennent voir l’enfer qu’ont vécu des millions de Noirs, d’Indiens et de métis sud-africains pendant un demi-siècle.

Un seul bémol. Peu de visiteurs sud-africains. Et encore moins de jeunes pour visiter les galeries qui retracent la lutte de Mandela, Sisulu, Tambo, Biko et les autres figures de la lutte.

Alors, est-ce un manque d’intérêt des born free ? Un manque de moyen ? Ou un accès trop difficile à leur histoire ? Melusi Pooe, 20 ans, étudiant en logistique à l’Université de Johannesburg, blâme plutôt le tabou qui règne dans les programmes d’histoire. « Depuis mes 14 ans, je connais les moindres détails de la prise de la Bastille et de la vie de Louis XVI, mais on n’apprend rien de l’histoire du continent et de l’Afrique du Sud, admet-il. J’aimerais qu’à l’avenir on nous enseigne plus notre propre histoire, nos racines. » Un souhait que le ministère de l’Éducation semble avoir entendu il y a quelques mois en imposant l’histoire comme discipline obligatoire jusqu’en classe de terminale.

Des étudiants noirs protestent contre l’enseignement obligatoire de l’afrikaans. Soweto, juin 1976. © Getty/Bettmann

Car tel est le dilemme des born free. Comment se sentir libres dans une société post-apartheid où tous les symptômes et les inégalités créés par le régime raciste sont encore visibles. « Comme par exemple à Sandton, assure le jeune documentariste Siphamandla Bongwana en parlant du quartier d’affaires ultramoderne en banlieue nord de Johannesburg. Sandton et ses gratte-ciel, le quartier le plus riche d’Afrique, se trouve à seulement un kilomètre d’Alexandra, le township le plus pauvre et le plus dangereux de la province ».

Des inégalités raciales toujours identiques

Dans l’Afrique du Sud d’aujourd’hui, les inégalités économiques crèvent les yeux. La nation arc-en-ciel est officiellement le « pays le plus inégal au monde », selon la Banque mondiale l’an dernier. Avec deux groupes particulièrement visés, les Noirs et les jeunes. Plus d’un Noir sud-africain sur deux vit dans un township. Plus d’un jeune sur deux est au chômage. Enfin, sur 100 pauvres, 93 sont Noirs.

« Nous sommes libres politiquement, car nous pouvons voter, mais nous ne sommes pas libres économiquement », Siphamandla répète cette phrase frénétiquement, lui qui pense voter pour le parti radical de l’EFF » (« Les Combattants de la liberté économique »). « Je sais que nos mères nous diront que c’était bien pire sous l’apartheid. Elles se battaient contre les lois racistes, comme lorsqu’elles devaient présenter leurs Dom Pass, admet-il. Mais nous ne nous sentons pas du tout libres. Nous lançons une autre guerre aujourd’hui. Celle pour être libres économiquement ».

À son arrivée au pouvoir en 1994, le parti de Nelson Mandela avait en effet promis une nette amélioration des conditions de vie des Noirs. Avec notamment trois réformes. Un système de discrimination positive dans les entreprises, la redistribution des terres et la construction de millions de logements pour les habitants des townships. De ces trois promesses inabouties, aucune n’aura suffi à remettre en cause l’ordre établi par l’apartheid.

En Afrique du Sud, la richesse est toujours blanche. Selon le Trésor, 23% de l’économie est détenue par la majorité noire (80% de la population), contre 39% par les Blancs sud-africains. Un écart visible qui « fausse » les relations entre les différentes communautés, affirme Sazi, étudiant à Johannesburg. « Pour certains, c’est toujours considéré comme un privilège de pouvoir parler avec des Blancs, mais c’est déjà une norme pour d’autres, dit-il. Interagir avec des Blancs, c’est censé être normal. Il n’y a rien de mal à ça. Mais il y a toujours ce sentiment de ségrégation entre les deux races ».

Quel espoir pour les jeunes Noirs ?

L’autre débat brûlant, celui des terres. L’ANC a promis de les redistribuer en expropriant les fermiers blancs. Une promesse électorale qui peine à se concrétiser. « La clé de notre liberté » pourtant d’après Thembi, leader syndicale de 22 ans originaire de la région rurale du Limpopo. « Comment voulez-vous que l’on se sente born free lorsque nos terres ne nous appartiennent pas ? Démocratie et liberté riment avec reconquérir nos terres », explique-t-elle, avant de qualifier les célébrations des 25 ans de la démocratie de « fiction ».

Siphamandla est, lui, né dans le bidonville de Kliptown, lieu chargé d’histoire du township de Soweto, où Mandela et les autres figures de l’ANC avaient rédigé la Freedom Charter en 1955, véritable déclaration des droits de l’homme sud-africaine. Aujourd’hui, la famille de Siphamandla vit dans les mêmes conditions misérables qu’au temps de l’apartheid. Les mêmes cahutes de fortune. La même boue aux pieds. Les mêmes espoirs déchus. « En 1994, mes parents ont reçu une lettre de promesse pour accéder à un logement du gouvernement, assure-t-il. On attend encore aujourd’hui. » Une réalité pour des millions de Sud-Africains.

Malgré les politiques de discrimination positive et le retour en force du mouvement de conscience noire, l’avenir peut sembler sombre pour ces born free. Leur taux de chômage culmine à 52%. Un chiffre qui ne devrait pas s’inverser compte tenu de la récession économique qui a frappé l’Afrique du Sud l’an dernier. Plus inquiétant, les born free ne se mobilisent pas en masse pour aller voter ce 8 mai. Seulement six sur dix se sont inscrits sur les listes électorales. Pas de quoi « changer l’ordre établi » comme le voudrait Siphamandla.

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