Si le président tchadien Idriss Déby, arrivé au pouvoir il y a 29 ans en lançant une offensive à partir du Soudan, avait rendu visite à Omar el-Béchir à Khartoum une semaine avant sa chute, sur le plan diplomatique, le Tchad dit souhaiter le mieux pour le peuple soudanais. Les relations entre les deux pays peuvent toutefois changer drastiquement.
Idriss Déby fait partie des derniers chefs d’État à avoir rencontré Omar Hassan el-Béchir en tant que président de la République, lors d’une visite express à Khartoum jeudi 4 avril. Elle intervenait après le passage à Ndjamena de l’influent chef des services de renseignements soudanais, Salah Gosh.
De nombreux observateurs avaient alors déduit qu’il s’agissait d’un appel à l’aide de M. el-Béchir à Idriss Déby. Mais selon nos informations, les deux chefs d’État n’ont évoqué que la situation sécuritaire à leurs frontières communes.
L’ethnie d’Idriss Déby dans la contestation au Soudan
Ce sont surtout des zaghawa, l’ethnie du président tchadien, qui ont pris les armes contre les pouvoirs en place à Khartoum et à Ndjamena, qui fait également face à un mouvement de contestation.
À Ndjamena, on surveille ce qui se passe à Khartoum comme le lait au feu. « Notre attitude dépendra de l’évolution de la situation », indique une source sécuritaire.
Vendredi 12 avril, à l’ouverture du sommet des chefs d’États et de gouvernement des États sahélo-saharien qui se tient à Ndjamena, le cas du Soudan qui fait partie de l’organisation sera dans tous les esprits.
Après un passé tumultueux, le Tchad craint la tension avec le Soudan
Dans un tweet ce jeudi, le porte-parole du ministère tchadien des Affaires étrangères a indiqué qu’il suivait « avec attention la situation au Soudan, ce pays voisin. Nous souhaitons que la volonté du peuple soudanais connaisse un dénouement pacifique ».
Après la démission d’Omar el-Béchir, les relations entre le Soudan et ses voisins pourraient changer et le Tchad a eu par le passé une histoire tumultueuse avec le pays. En 2008, les deux pays se sont mutuellement accusés de soutenir des mouvances rebelles et la tension dans la région du Darfour s’est crispée.
Selon Abderaman Koulamallah, leader politique et ancien porte-parole de la rébellion tchadienne, il est difficile de dire comment vont évoluer les relations entre les deux pays. Auteur du livre la Bataille de N’Djamena (paru en 2008, il indique que la plus grosse crainte est « un regain de tension au niveau du Darfour », avec une « situation instable avec des rebelles qui vont reprendre du poil de la bête. »
Ce qui se passe n’est pas clair pour tout le monde. Mais pour l’instant, je pense que le gouvernement tchadien s’adaptera au régime qui sera en passe au Soudan. Vous savez que nous partageons 1 084 kilomètres de frontière avec le Soudan et il est inimaginable que le Tchad et le Soudan ne puissent pas trouver un point de chute pour stabiliser leurs relations, qui sont dans l’intérêt des deux peuples.
La seule crainte, de mon point de vue, c’est de voir une situation instable avec des rebelles au Darfour, qui vont reprendre du poil de la bête, parce que le pouvoir central sera affaibli. Certains mouvements armés du Darfour sont au niveau de la Libye et sont approvisionnés en armes, munitions et argent auprès de la Libye. Et je pense que, s’il y a un vent d’air qui souffle au Soudan, ils risqueraient de revenir en force et voir l’ouest du Soudan complètement déstabilisé. Il faut voir ce que les jours à venir vont nous réserver, mais j’ai quand même une grosse crainte sur ce point de voir un regain de tension au niveau du Darfour.
« L’appareil d’État du Soudan ne changera pas »
Bien qu’Omar el-Béchir ait dirigé le Soudan d’une main de fer pendant près de 30 ans, Abderaman Koulamallah insiste qu’il s’agit d’un système « un peu collégial », avec des « luttes internes » au sein de ce groupe, mais qui a « toujours montré une certaine solidarité, une certaine stabilité ».
Je pense que le vice-président du Soudan, les grands cadres du Soudan, tous ceux-là sont des gens qui ont pu jouer un rôle très important dans la direction du pays. L’appareil d’État ne changera pas, le ministre de la Défense est là : dans sa voix tremblotante on voit bien qu’il parle au nom de plusieurs personnes. Ce n’est pas une décision seulement de l’armée, mais une décision qui regroupe les politiques du Soudan, les services de sécurité et l’armée. Ça, j’en suis absolument certain.