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Génocide des Tutsis: les responsabilités de la France, selon David Servenay

David Servenay, journaliste et auteur de plusieurs ouvrages et d’enquêtes sur le génocide des Tutsis, était l’invité, ce 8 avril, de l’édition spéciale de RFI consacrée au 25e anniversaire de ce massacre de masse. Il estime que la France a une responsabilité avant et pendant le génocide.

RFI : Est-ce que la France est responsable de quelque chose ?

Oui, la France est responsable de quelque chose, pour deux raisons, comme l’a bien souligné Stéphane Audoin-Rouzeau [NDRL : chercheur, spécialiste des relations franco-rwandaises, invité de l’édition spéciale de RFI]. D’abord, il faut bien comprendre qu’un génocide, d’une manière générale, c’est quelque chose de planifié, un processus politico-militaire qui est préparé. Et en l’occurrence, il est préparé de longue date, au moins deux ans avant qu’il ne soit commis. C’est-à-dire qu’à partir de 1992, on voit apparaître, par exemple, la formation des fameuses milices Interahamwe qui vont être si efficaces au printemps 1994. Ces milices, elles sont créées à l’instigation des principaux partis politiques rwandais de l’époque, le MNRD (Mouvement révolutionnaire national pour le développement), parti du président Juvenal Habyarimana, et le CDR (Coalition pour la défense de la république). Elles sont financées par le biais d’entreprises publiques ou semi-publiques rwandaises. Et tout cela, la France le sait parfaitement puisqu’elle a, sur place, un dispositif militaire extrêmement important et un dispositif de renseignements qui est très performant. Or, il y a plusieurs personnalités, de hauts officiers, des généraux français, qui tirent la sonnette d’alarme à ce moment-là et qui disent : « Attention, on est en train de déraper, on est en train d’aller sur une pente qui va être extrêmement dangereuse, et il y a des risques de génocide ». Le mot est employé à plusieurs reprises dans des télégrammes diplomatiques et dans des notes, faits par ces militaires. Or, aucun de ces avertissements ne va être entendu. Ils vont même être repoussés les uns après les autres.

RFI: « Purification ethnique, génocide, crimes contre l’humanité », dit la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) en 1993. « Oui, nous savions », dit Hubert Védrine. C’est pour cela que la France s’est impliquée pour obtenir un accord politique entre Hutus et Tutsis. La France n’a rien sous-estimé ?

En tout cas, la France a commis une « grave erreur d’appréciation » pour reprendre peut-être les termes de Nicolas Sarkozy en 2010. Pourquoi ? Pour une raison assez simple – et Hubert Védrine [NDRL : secrétaire général de l’Élysée sous la présidence de François Mitterrand au moment du génocide] le dit : en fait, il parle de 85% de Hutus. C’est-à-dire qu’il a une lecture ethnique du conflit. Il ne considère pas le FPR (Front patriotique rwandais) de l’actuel président Paul Kagamé comme des adversaires, mais comme des ennemis. Et c’est là où on entre dans une logique qui est très perverse, c’est-à-dire qu’en réalité, on veut faire faire la guerre par le peuple, par les gens. Et cela pose un vrai problème de conception des choses. Et c’est ce que vont soulever encore une fois un certain nombre d’analystes, d’officiers qui disent : « Attention, par exemple, on a une coopération sur le fichage de la gendarmerie. La gendarmerie rwandaise a un fichier et on va les aider à informatiser ce fichier ». Dans l’absolu, on se dit : « Mais c’est très bien ». Sauf qu’en réalité, on va se rendre compte petit à petit que ce fichage et cette informatisation du fichier de la population va servir à établir des listes de Tutsis, donc de gens qui vont être les premières victimes de cette guerre. Et encore une fois, un génocide, c’est une manière de faire la guerre. Et de ce point de vue là, il y a une responsabilité qui est extrêmement importante. L’autre chose qu’il faut quand même relever, c’est que quand Paul Quilès [NDRL: ancien président de la Mission d’information parlementaire sur le Rwanda] dit : « On n’a pas participé aux combats ». C’est faux ! C’est complètement faux et là, il y a plusieurs témoignages, il y a des rapports qui disent bien que, à un moment donné, la coopération militaire dans le cadre du détachement d’assistance militaire et d’instruction a dérapé. On a, par exemple, nos commandos, nos super commandos des forces spéciales qui ont été faire des raids derrière les lignes ennemies du FPR ; nos artilleurs qui instruisaient les forces armées rwandaises ont réglé très précisément les tirs d’artillerie pour contrer le FPR, etc. C’est là où, de manière assez claire, on a une forme d’appui. Après, la question qui se pose aujourd’hui – et c’est pour cela qu’ils s’arc-boutent, ces gens-là, sur l’idée que nous n’avons pas été complices- c’est la question de la complicité judiciaire qui est encore un autre problème. C’est-à-dire que demain, vous pouvez très bien imaginer que des responsables politiques et militaires qui sont toujours vivants, qui ont eu des responsabilités positives – par exemple si on retrouve un jour une note avec une annotation d’Hubert Védrine qui pourrait l’impliquer positivement, encore une fois d’un point de vue juridique -Hubert Védrine pourrait se retrouver à la barre d’une cour d’assises à répondre du crime de « complicité de génocide ». C’est ça qui les inquiète ces gens-là, aujourd’hui.

RFI: La France a cru, malgré le déclenchement du génocide, qu’il était possible de sauver la réconciliation, dit Hubert Védrine. C’est de la naïveté, de l’aveuglement, de l’incompétence, comme nous le dit Stéphane Audoin-Rouzeau? Qu’en pensez-vous ?

Sans doute un peu des trois. Premier élément : quand le gouvernement intérimaire rwandais, celui du génocide, se forme dans les locaux de l’ambassade de France, entre le 8 et 9 avril, que reste-t-il de l’opposition dite modérée ? Parce que, encore une fois, Hubert Védrine parle des Hutus comme si c’était monolithique. Comme si tout le monde pensait la même chose. Il y a des extrémistes chez les Hutus, mais il y a aussi des modérés. Or, toute l’aile modérée est systématiquement éliminée dès les premiers jours du génocide. Ça, c’est la première chose. Deuxième chose : on n’entend pas, à ce moment-là, tous les signaux. On ne veut pas voir le génocide. À partir du 17 mai, il y a un embargo de l’ONU sur les armes et on continue en sous-main à favoriser des livraisons d’armes aux génocidaires. Puis on met en place l’opération Turquoise, laquelle opération Turquoise, certes, permet de sauver des vies, une opération humanitaire ; mais en même temps, elle est aussi une manière de stopper le front et l’avancée du FPR qui met fin au génocide, et de permettre l’exfiltration des forces armées génocidaires, c’est-à-dire à la fois des plus grands miliciens, mais aussi de toutes les unités militaires des forces armées rwandaises qui ont trempé dans le génocide et qui vont reconstituer leur arsenal dans le Kivu.

RFI: De qui parle-t-on quand évoque le rôle de la France ?

Quand on dit « la France », quand Hubert Védrine parle de « la France ». C’est qui la France au fond ? Ce n’est pas vous, ce n’est pas moi, ce n’est même pas la représentation nationale puisqu’à l’époque, le Parlement ne se saisit pas de cette question. « La France » en l’occurrence, c’est une petite poignée de décideurs autour du président Mitterrand, qui aujourd’hui doit se justifier de ses actes et des décisions qui ont été prises à l’époque.

► À écouter : l’édition spéciale de RFI du 8 avril

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