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Paul Quilès: «La France a apporté une aide au gouvernement rwandais» en 1994

Le Rwanda commémore ce dimanche 7 ans les 25 ans du génocide perpétré contre les Tutsis. En 1994, près d’un million de personnes ont trouvé la mort dans le pays en quelques semaines. Un quart de siècle plus tard, le rôle qu’a joué la France dans cet épisode tragique continue de susciter la polémique. Une polémique sur laquelle revient Paul Quilès. En 1998, il a présidé la mission d’information parlementaire chargée d’examiner le rôle de la France au Rwanda, avant, pendant et après le génocide. Il répond aux questions d’Arnaud Pontus.

RFI : Nous voici donc 25 ans après le déclenchement du génocide et le rôle de la France continue de susciter d’intenses polémiques. Comment l’expliquez-vous ?

Paul Quilès : Je l’explique difficilement et aisément. Difficilement parce que, quand on connaît bien le dossier, ce qui est mon cas, quand on a travaillé pendant près d’un an avec 40 députés qui ont auditionné pendant 110 heures 88 personnes -des responsables politiques, des militaires, des diplomates, des universitaires, des civils français et rwandais-, quand on a fait ce travail, qu’on a publié un rapport de 1 500 pages, quand on a déclassifié des télégrammes diplomatiques, des documents militaires pour 7 000 pages, on se dit que tout a été fait ou presque. Quand on sait qu’il y a eu d’autres analyses faites par d’autres instances, que ce soit l’ONU, que ce soit les Espagnols, que ce soit le rapport du Tribunal pénal international, quand on sait que tous ces documents sont allés aussi loin qu’ils le pouvaient dans les témoignages et dans l’analyse de cette horreur qu’a été le génocide, et surtout de ce qui s’est passé avant et après, on se dit qu’il n’y a plus rien à dire si ce n’est commémorer l’horreur, sans scandaliser bien sûr.

On dit « intense polémique », vous parlez de « procureur auto désigné », car la France, employons les mots, est accusée de « complicité de génocide »…

Rien de moins, c’est-à-dire c’est délicat. C’est allé plus loin parce que, dans le rapport demandé par monsieur Kagame, le chef du FPR [Front patriotique rwandais] et maintenant le président du Rwanda, il y avait en 2008 une commande qu’il a passée à son ancien ministre de la Justice qui était monsieur Mucyo, et ce rapport Mucyo qu’il avait commandé, publié en 2008, avait comme objet de prouver l’implication de la France dans l’organisation et la conduite du génocide. On dit que « La France et l’armée française ont participé à l’exécution du génocide » et les soldats de l’opération Turquoise, qui s’est déroulée pendant deux mois à partir de la mi-juin 1994, étaient « venus au Rwanda pour tuer des Tutsis ». Rien de moins quoi. Rien de moins et ce qui est triste et confondant, c’est qu’un certain nombre de journalistes ou de personnalités françaises ont repris au premier degré, jusqu’à ce que, comme c’était un peu gros et que monsieur Kagame avait besoin de se mettre un peu mieux avec la communauté internationale qui commençait à le trouver un peu trop autoritaire, pour ne pas dire plus, notamment ce qui s’est passé au Congo par la suite, à partir de ce moment-là monsieur Kagame a un peu baissé le ton. Il a dit qu’il ne demandait pas à la France de s’excuser. Mais personne, à l’époque, je me souviens, n’a dit : ce rapport est un pur scandale. C’était une commande qui mentait sur ce qu’avait fait la France, qui a été et c’est dans le rapport de la mission que j’ai présidée, qui a été impliquée non pas dans la conduite du génocide, non pas dans le génocide lui-même, mais dans un certain nombre d’erreurs qui sont soulignées dans le rapport.

Vous parlez d’erreurs d’appréciation dans ce rapport ?

Oui, oui. Absolument.

Revenons aux faits. La machine infernale est enclenchée en octobre 1990. Les rebelles tutsis du Front patriotique rwandais lancent une offensive depuis l’Ouganda sur le Rwanda, et le régime du président hutu, Juvénal Habyarimana. La France intervient militairement. Pourquoi intervient-elle à ce moment-là ?

Elle intervient dans le cadre d’un accord de coopération. La France à l’époque avait des accords de coopération avec plusieurs pays africains. Et elle se devait, sauf à renier sa parole, d’aider le pays qui était attaqué de l’extérieur. Et la France a donné un coup de main, en ne participant pas au combat, mais en apportant une aide au gouvernement rwandais. Et dans le rapport de ma mission, nous avons dit que nous pensons que cette aide est allée peut-être un peu trop loin.

Trop loin, on a parlé de « cobelligérance » ? Est-ce que cela vous semble juste ?

Non, je ne sais pas ce que ça veut dire. Je sais simplement que les militaires français, ce qu’on appelait l’opération Noroît, ont donné une formation aux troupes des forces officielles rwandaises contre le FPR. D’où la haine du FPR et de Kagame à l’égard de la France puisque cela les empêchait non seulement de revenir au Rwanda, mais de prendre le pouvoir. Il ne faut jamais oublier que ce groupe qui était très minoritaire voulait, non pas partager le pouvoir, mais le prendre. Et c’est là que je suis quand même très étonné qu’il y ait si peu de commentateurs, enfin étonné non, je sais pourquoi ils n’en parlent pas, qui ne parlent pas des accords d’Arusha. Le 4 août 1993, après des mois et des mois de discussions et après des opérations armées, la France a obtenu à Arusha que les parties en présence, tutsie et hutue, organisent le partage du pouvoir. Partage du pouvoir y compris dans les institutions et dans l’armée. Et après que cet accord ait été signé, la France a retiré toutes ses troupes et la mission de surveillance de ce qui se passait au Rwanda a été confiée à ce qu’on appelle la Minuar, c’est la Mission pour l’assistance au Rwanda de l’ONU. Donc la France fin 1993 n’était plus présente avec des forces militaires à part quelques coopérants.

Dans le contexte que vous décrivez, est-ce que la France a pris suffisamment au sérieux le risque de massacre ?

Disons les choses clairement, je l’ai écrit dans le rapport. Elle a été naïve, c’est-à-dire qu’elle a pensé que cet accord d’Arusha pour lequel soit dit en passant monsieur Kagame a félicité François Mitterrand et l’a remercié, il l’a remercié par écrit, de l’implication de la France pour mettre d’accord les Tutsis et les Hutus. Et la France a été un peu naïve parce qu’elle a cru que cet accord allait être respecté. Il ne l’a pas été parce que du côté des Hutus, il y avait des extrémistes ; du côté des Tutsis, il y avait une grande hypocrisie, ils ne voulaient pas partager le pouvoir, ils voulaient tout le pouvoir. Et la France a été naïve et elle a cru que les choses allaient se régler et que l’ONU allait faire son travail.

Vous parlez de naïveté de la France. Est-ce qu’elle est allée trop loin dans son soutien au régime hutu du président Juvénal Habyarimana ?

C’était en l’occurrence dans la période dont je vous parle, c’est-à-dire après les Accords d’Arusha, la France a été pour le respect de ces accords, c’est-à-dire qu’elle a retiré ses troupes et elle a pensé que les uns et les autres allaient travailler ensemble, ce qui n’a pas été le cas et peut-être qu’il y a eu une insuffisance d’analyse dans les risques qui étaient là. Je veux dire, aujourd’hui a posteriori, tout le monde dit : c’est évident, c’est évident. Non ! Ce n’était pas évident parce que, si l’ONU, si les forces internationales avaient joué leur rôle d’interposition avant le déclenchement du génocide, on n’aurait pas eu ce déclenchement abominable d’un génocide, ne l’oublions pas, commis par des Rwandais sur des Rwandais. Des actes racistes, abominables. Alors, dire ensuite a posteriori, dans cette énorme pagaille des commentaires qui ont suivi, que la France avait participé ou favorisé le génocide, c’est tout simplement une ignominie.

Après le début du génocide, quel a été le rôle de l’armée française au Rwanda ?

L’armée française n’était plus présente. Il y a eu une opération d’exfiltration des Français, des personnes qui étaient là et qu’il a fallu exfiltrer. Ce qu’on a appelé l’opération Amaryllis. Ensuite, le génocide a commencé à se dérouler. Personne ne parlait de génocide. C’est la France, c’est Alain Juppé qui a lui-même, ministre des Affaires étrangères, prononcé le mot de « génocide » pour que l’ONU l’accepte.

Est-ce qu’on a encore des choses à apprendre sur le rôle de la France au Rwanda dans cette période ?

Pour moi, pas grand-chose.

Vous avez le sentiment d’avoir tout dit dans le rapport de la mission d’information que vous avez menée ?

Pas simplement la mission, je l’ai dit et je l’ai écrit, mais après la mission qui était fin 1998, dont le rapport a été publié fin 1998, il y a eu toute une série de rapports. Je les cite : le rapport de l’ONU du 15 décembre 1999, le rapport de l’Union africaine mai 2000, les instructions des juges Bruguière et Trévidic, le rapport des travaux du TPIR [Tribunal pénal international pour le Rwanda] en 2003, les rapports rwandais notamment du rapport Mucyo, les rapports des juges espagnols en 2008. Et puis aussi et surtout si je puis dire, la lettre que j’ai envoyée au secrétaire général de l’ONU en septembre 2008 où j’ai demandé à Ban Ki-moon, qui était alors secrétaire général, que l’on soumette l’ensemble de ces travaux à l’examen d’une commission internationale constituée par des personnalités indépendantes à l’expertise reconnue. Et Ban Ki-moon a refusé, tout simplement. On est devant un ensemble d’éléments, d’évènements racontés chacun à sa façon qui mériterait quand même que l’on fasse ce travail pour arrêter cette hystérie, je le dis parfois qui frise la diffamation.

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