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Les électeurs nigérians entre continuité et envie de changement

Elections générales au Nigeria. Plus de 84 millions d’électeurs voteront le 16 février prochain pour élire leurs sénateurs, députés et président. Un scrutin qui s’annonce particulièrement serré entre les candidats des deux principaux partis : le président sortant Muhammadu Buhari du All Progressives Congress (APC) et Atiku Abubakar pour le People's Democratic Party (PDP). Deux dinosaures de la politique qui devront séduire un électorat majoritairement masculin, jeune et du Nord. Un électorat tantôt hésitant, tantôt séduit. Mais jamais à court de mot quand il s'agit d'aborder la politique. Portraits.

Salisu Pawa. © RFI/Bineta Diagne

■ Salisu Pawa, retraité, Kura (Etat de Kano)

Du haut de ses 65 ans, peut-être même 75, Salisu en a vu défiler des dirigeants : de l’époque des dictatures militaires au retour de la démocratie en 1999. Il était d’ailleurs jeune agriculteur quand le putschiste Muhammadu Buhari a pris le pouvoir (1983-1985). Et c’est tout naturellement qu’il a voté pour « ce Haoussa de Daura » en 2015. Rebelote quatre ans plus tard. Samedi, Salisu glissera un bulletin APC dans l’urne. Pour ce désormais retraité, pas de doute : l’ancien général est l’homme de la situation. « Regardez tous les changements, tout ce qu'il a fait en matière de sécurité et de corruption », lance ce père de quatre enfants, des trémolos dans la voix. « Son gouvernement a donné du travail à beaucoup de jeunes. Et ils ont fait des choses pour l’agriculture ».

Ces quatre dernières années, l’administration Buhari a en effet multiplié les mesures incitatives dans le secteur. Importation de meilleures semences, distribution d’engrais, constructions de routes, mise à disposition de terres et de tracteurs. Le tout pour créer de l’emploi, attirer les jeunes et ainsi relever le défi colossal de l’autosuffisance alimentaire dans un pays de 190 millions d’habitants qui importe la majeure partie de ses denrées.

Salisu est formel : « Kura (située à 30 km de Kano, la mégalopole du Nord) a bénéficié de tout cela ». Il esquisse un large sourire. Tous ses enfants ont d’ailleurs repris le flambeau : trois dans la riziculture, un autre dans la culture de la tomate. Mais quand il s’agit de penser au futur du Nigeria, « Baba » reste préoccupé par une chose : l’éducation. Pas assez d’écoles. Pas d’enseignants qualifiés. « Dans nos zones rurales, beaucoup de jeunes et de femmes ne savent ni lire et encore moins écrire », regrette le retraité. « J’espère que le gouvernement fédéral se mettra sérieusement au travail, une fois Buhari réélu. »

Saadatu Falila Hamu. © RFI

■ Saadatu Falila Hamu, avocate, Abuja

Falila a beau vivre dans la très proprette capitale nigériane, Abuja et exercer le confortable métier d'avocat, tout la ramène sans cesse à sa région natale du Nord-Est : les dossiers qu'elle plaide parfois, mais surtout son engagement associatif en faveur de l'éducation des filles.

Née dans l'Etat de Bauchi dans une famille de fonctionnaires Haoussa/Peul, la demoiselle passe son adolescence à Maiduguri ; jusqu'à ce que l'insurrection des jihadistes de Boko Haram ait raison de son inscription à l'université de l'Etat de Borno. Depuis, la jeune fille de 29 ans n'a cessé de scruter la crise et sa gestion par les gouvernements successifs. « Même si je n'ai pas voté en 2015, j'avais bon espoir que Buhari résoudrait les problèmes », avoue-t-elle. « Son administration a permis de réduire l'intensité des violences les deux premières années, mais il est évident aujourd'hui que le problème n'est pas réglé », regrette Falila. D'autant que les régions du Nord-Ouest et du Centre sont elles aussi, désormais traversées par de graves problèmes sécuritaires. « La réponse militaire n'est pas la panacée », lance-t-elle avec l'aplomb de ceux qui ont retourné la question mille fois dans leur tête, « il faut une réponse holistique et repenser le fonctionnement de la police. »

Falila est désormais inscrite sur les listes électorales. Convaincue que c'est la seule façon de pouvoir demander des comptes aux hommes politiques, la jeune fille ira voter samedi. Reste à savoir pour qui ? Le sortant Muhammadu Buhari ou le candidat de l'opposition Attiku Abubakar ? « C'est blanc bonnet et bonnet blanc », regrette-t-elle. « On a le choix entre un président sortant à qui l'on fait moins confiance qu'avant et un candidat d'opposition, lui aussi très âgé, en qui on ne croit qu'à moitié, ne sachant pas s'il sera aussi corrompu que par le passé. » Et pourquoi pas un des 70 autres candidats ? « Non », tranche-t-elle. « Il faut un leader capable de nous unir pour résoudre les problèmes sécuritaires. Elle s'interrompt. Avant de poursuivre dans un grand éclat de rire : mais je ne sais pas encore qui. »

Rajah Abdullah. © RFI/Bineta Diagne

■ Rajah Abdullah, commerçant ambulant à Lagos (Etat de Lagos)

D'emblée, Rajah dit être le « frère d'Atiku ». Haoussa comme le patron du PDP. Venu à Lagos pour le business, comme lui . Mais la ressemblance s'arrête là. Contrairement à son candidat de cœur, Rajah n'a pas fait fortune. Il est vendeur ambulant de vêtements dans les rues de la mégalopole. Un choix contraint faute d'avoir trouvé des débouchés à Ibadan, cette ville-carrefour située à 130 km de là et où réside sa famille. « Je gagne ma vie, mais maintenant c'est dur : avant j'avais un magasin, mais j'ai dû mettre la clé sous la porte. Trop de racket du parti APC », précise-t-il. Les impôts et autres taxes du gouvernorat de l'Etat de Lagos ont « tué » son affaire. Quant au candidat Buhari ? « Il me déçoit », lance-t-il sans ambages. « J'avais voté pour lui en 2015, mais qu'est-ce qu'il a fait ? Rien. Il dit combattre la corruption, mais ils sont toujours aussi nombreux au pouvoir. C'est les gens qu'il a sacrifiés : on n'a plus rien à manger. »

Frappée en 2016 par la plus importante récession de ces 25 dernières années, l'économie nigériane sort tout juste la tête de l'eau. Selon le Bureau national des statistiques (BNS), la croissance s'établit à 1,9% sur l'année 2018, avec une accélération à 2.8% au quatrième trimestre. L'administration Buhari s'est d'ailleurs empressée de faire sortir les chiffres à cinq jours du scrutin, dans l'espoir de torde le cou aux idées reçues d'un pays qui va mal. Qu'importe ! Rajah ne changera pas d'avis. Devenu nostalgique des « grandes années du PDP d'Olusegun Obansajo et de Goodluck Jonathan » pour qui il n'avait pas voté, le commerçant misera cette fois, sur le candidat de l'opposition.

■ John Richard Vaughan, consultant en marketing, Lagos (Etat de Lagos)

John Richard. © RFI

Rien ne prédestinait John Richard – J.R pour les intimes – à s'intéresser de près à la politique. Né en Angleterre dans une famille yoruba, le jeune homme de 37 ans a passé la majeure partie de sa vie dans le nord de Londres. Après quelques expériences dans la mode, la musique et l'Internet, il a finalement plié bagage, quitté une « vie monotone et ennuyeuse », dit-il, pour rentrer au pays. C'était il y a bientôt dix ans.

Désormais consultant en marketing à Lagos où sa famille est installée de longue date, ce « repats » est aussi un fervent défenseur du vote. Depuis un an et demi, il coordonne les jeunes du populeux quartier d'Obalende pour le compte de l'APC. « J'en avais marre de voir les jeunes dépossédés de leurs voix », explique-t-il. Sur le terrain, il enchaîne les discussions pour apprendre à bien voter : poser des questions, fixer des objectifs. Faire prendre conscience qu'un vote engage celui qui le reçoit. « Les gens ont tendance à croire que voter c'est se choisir un héros qui va porter secours, et que leadership c'est donner de l'argent. Si on ne change pas de logiciel de pensée, les hommes politiques vont continuer à faire ce qu'ils ont toujours fait : demander aux jeunes de les élire pour les ignorer jusqu'au prochain scrutin ».

Selon lui, le duel au sommet Buhari/Atiku est l'exacte traduction de ce phénomène. John Richard votera malgré tout pour l'ancien général « parce que, dit-il, les changements ne peuvent pas se produire du jour au lendemain. Il faut donner sa chance à ce qui a déjà été amorcé en matière d'aide sociale pour les plus pauvres, d'éducation ou de transport ». Mais sans grand enthousiasme. « La présidentielle est bien trop grande ». Son pari, il le fait au niveau local – sénateurs, députés et assemblées constituantes – avec l'espoir qu'un jour, cette exigence citoyenne change fondamentalement la donne politique nationale.

Répartition des voix lors de la présidentielle de 2015. © Studio graphique FMM

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