Les premiers symptômes sont apparus – fièvres et les voix sont devenues rauques avec la toux.
M. Garg a d’abord attribué ce phénomène à la grippe saisonnière, ne voulant pas admettre qu’il s’agissait d’un coronavirus.
« Cinq ou six personnes tombent souvent malades au même moment dans cette maison, ne paniquons pas », s’est-il dit.
Les jours suivants, cinq autres membres de la famille ont présenté des symptômes de Covid-19. Et il a commencé à s’inquiéter.
Bientôt, la famille Garg allait devenir un cluster de contamination au coronavirus puisque 11 de ses 17 membres ont été testés positifs.
« Nous n’avons rencontré personne de l’extérieur et personne n’est entré dans notre maison. Mais même là, le coronavirus est entré dans notre foyer et a infecté un membre après l’autre », écrira plus tard M. Garg sur son blog, qui a depuis attiré des centaines de commentaires de lecteurs.
Ce récit exhaustif montre comment la famille multigénérationnelle, pilier de la vie indienne, constitue un défi dans la lutte contre la Covid-19.
Le confinement strict du pays, qui a commencé le 25 mars et s’est poursuivi jusqu’à cette semaine, avait pour objectif de maintenir les gens chez eux, hors des rues animées et des espaces publics bondés.
Mais en Inde, où 40 % des ménages sont composés de plusieurs générations (souvent trois ou même quatre vivant ensemble sous un même toit), la maison est un lieu très fréquenté.
Elle est également vulnérable, car les recherches montrent que le virus est plus susceptible de se propager à l’intérieur.
« Toutes les familles confinées deviennent des clusters dès qu’une personne est infectée, c’est presque une évidence », explique le Dr Jacob John, virologue.
Et, comme les Gargs l’ont découvert, la distanciation sociale n’est pas possible au sein des familles nombreuses, surtout pendant un confinement, lorsque vous êtes déjà coupé du monde extérieur.
Nous nous sommes sentis si seuls
Les Gargs vivent dans une maison de trois étages dans un quartier très peuplé du nord-ouest de Delhi.
M. Garg, 33 ans, sa femme, 30 ans, et leurs deux enfants, âgés de six et deux ans, vivent au dernier étage, avec ses parents et grands-parents.
Les deux étages inférieurs sont occupés par ses oncles – les frères de son père – et leurs familles. Les membres de la famille vont d’un bébé de quatre mois à un grand-père alité, âgé de 90 ans.
Contrairement aux maisons familiales exiguës où beaucoup de gens partagent une chambre et une salle de bain, la maison des Garg est spacieuse. Chaque étage fait environ 250 mètres carrés, soit à peu près la taille d’un double court de tennis, avec trois chambres, des salles de bain attenantes et une cuisine.
Et pourtant, le virus s’est rapidement propagé, traversant les étages et infectant presque tous les adultes de la maison.
Ils ont identifié le patient zéro – l’oncle de M. Garg – mais la famille ne sait toujours pas comment il a attrapé le virus.
« Nous pensons qu’il pourrait avoir été contaminé par un vendeur de légumes ou quelqu’un à l’épicerie, car c’est la seule fois où un membre de la famille est sorti », dit-il.
Mais lorsque le virus s’est répandu, la peur et la honte les ont empêchés de se faire tester.
« Nous étions 17, mais nous nous sentions si seuls. Nous avions peur que si quelque chose nous arrive, personne ne vienne aux funérailles à cause de la stigmatisation associée au coronavirus », raconte M. Garg.
Mais la première semaine de mai, lorsque sa tante de 54 ans s’est plainte d’essoufflements, la famille l’a emmenée d’urgence à l’hôpital. Et, dit M. Garg, ils savaient qu’ils devaient tous se faire tester.
Le mois de la maladie
Tout le mois de mai a été consacré à la lutte contre le virus.
M. Garg dit qu’il passait des heures à parler aux médecins au téléphone, pendant que tout le monde se donnait des nouvelles quotidiennement sur WhatsApp.
« Nous avons également continué à déplacer les membres de la famille en fonction des symptômes, de sorte qu’il n’y ait pas deux personnes avec une forte fièvre dans la même pièce », raconte M. Garg
Six des onze personnes infectées présentaient des comorbidités – diabète, maladies cardiaques et hypertension – qui les rendent plus vulnérables.
« Du jour au lendemain, notre maison est devenue un centre de soins de santé Covid-19 où nous jouions tous à tour de rôle à l’infirmière », explique M. Garg
Les virologues affirment que les familles nombreuses sont comme tous les autres groupes, à l’exception de la fourchette d’âge.
« Lorsque plusieurs groupes d’âge partagent des espaces communs, le risque est réparti de manière disproportionnée, les personnes âgées étant les plus exposées », explique le Dr Partho Sarothi Ray, virologue.
Cela a pesé lourdement sur M. Garg, qui s’inquiétait pour son grand-père de 90 ans.
Mais le virus, qui continue à déconcerter les experts médicaux du monde entier, a également réservé des surprises aux Gargs.
Il n’était pas étonnant que lui et sa femme, tous deux au début de la trentaine, soient asymptomatiques. Mais il était déconcertant que son grand-père soit lui aussi asymptomatique. Et un membre de la famille, qui n’avait aucune comorbidité, a été emmené à l’hôpital. Les autres présentaient des symptômes typiques.
M. Garg dit qu’il a écrit ce blog parce qu’il voulait atteindre les personnes qui s’inquiètent de chercher de l’aide.
« Au début, nous nous souciions tellement de ce que les gens allaient penser. Et en lisant les commentaires, c’est tellement agréable de voir les gens dire que ce n’est pas grave si vous êtes contaminé, qu’il n’y a pas de quoi avoir honte », explique M. Garg.
Au cours de la deuxième semaine de mai, les symptômes ont commencé à disparaître et les membres de la famille ont commencé à être testés négatifs, apportant un soulagement. C’est également à ce moment-là que la tante de M. Garg pu quitter l’hôpital après avoir été testée négative.
Ils ont finalement eu l’impression que le pire était passé.
À la fin du mois de mai – « le mois de la maladie », comme l’a dit M. Garg – seules trois personnes, dont lui, étaient encore positives.
Le 1er juin, ils ont subi un troisième test et les résultats sont revenus négatifs.
Le meilleur et le pire
Les grandes familles indiennes peuvent être une source de soutien et de soins, mais aussi de frictions et d’épineux conflits de propriété. Mais dans ces moments-là, elles peuvent aussi venir à la rescousse.
« Pouvez-vous imaginer une personne âgée en quarantaine toute seule, sans personne pour l’aider ? Malgré les difficultés, les familles nombreuses bénéficient du fait que les jeunes s’occupent des personnes âgées », déclare le Dr John.
En Inde, les cas ont dépassé les 250 000 cas, ce qui a suscité un débat sur la question de savoir si la pandémie pouvait menacer la famille élargie, les jeunes craignant de transmettre l’infection à leurs parents âgés.
« C’est un système qui a survécu à des centaines d’années d’assaut des valeurs occidentales et à la colonisation », explique le professeur Kiran Lamba Jha, qui enseigne la sociologie à l’université CSJM de Kanpur. « Le coronavirus ne va pas détruire la famille indienne ».
Les Gargs seraient d’accord.
Avant que le virus ne frappe, la famille était prospère. Cela rappelait presque un film de Bollywood des années 90, dit M. Garg.
« En tant que famille, nous n’avions jamais passé autant de temps ensemble que pendant ce premier mois de confinement. C’était aussi la famille la plus heureuse qui ait jamais existé », dit-il, ajoutant que cela ne faisait que rendre plus difficile de voir une personne tomber malade après l’autre.
« Nous nous sommes vus sous notre meilleur et notre pire jour, mais nous en sommes sortis plus forts », dit-il.
« Nous sommes toujours prudents en ce qui concerne la réinfection, mais pour l’instant, nous nous réjouissons d’avoir réussi à vaincre ce virus et d’être passés de l’autre côté », conclut M. Garg.