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« La Vie aux temps du coronavirus » à Bujumbura

Mais oui, parce que le coronavirus est déjà à nos portes. Qu’on le reconnaisse ou pas, qu’on le sous-estime ou pas, qu’on le craigne ou pas, il est déjà presque parmi nous. Que l’on critique la préparation de la réponse en cas d’épidémie ou la diffusion de fake news pour des raisons politiques, le coronavirus est bel et bien présent au Burundi, du moins, dans tous les esprits.

*les réactions de nos lecteurs n’engagent pas Yaga

 

Le Covid-19 préoccupe, désoriente, fait paniquer. Au besoin, il réchauffe les esprits, il les polarise. Il occupe la première position au début d’une conversation, quand on commence par se justifier pour ne pas donner la main afin d’éviter tout risque de contamination. Il déstabilise les Burundais habitués aux poignées de main, aux bises, aux « karibu ! » et au reste des salutations de circonstance, ceux qui les offrent comme ceux qui les attendent.

Rappelée en Europe par mon université, je m’étais préparée à voyager avant la décision de fermer l’aéroport de Bujumbura. Avant le départ, je m’étais rendue chez des personnes à qui je devais remettre ou chez qui je devais récupérer des livres. Les différentes réactions que j’ai observées à mon arrivée chez eux m’ont carrément bouleversée.

1. Les négationnistes

La première personne est venue vers moi et m’a tendu la main comme si de rien n’était. Moi je lui ai dit que j’étais désolée et que je n’allais pas lui serrer la main : il pouvait considérer comme si je la lui avais serrée virtuellement, ce n’était pas pour être impolie, mais le risque d’attraper le coronavirus passe par là. J’ai bien remarqué la déception sur son visage. Toutefois, comme je suis muzungu, presque tous mes comportements peuvent être perçus comme bizarres et ainsi acceptés. Mon refus de serrer la main ne doit pas l’avoir trop choqué, mais je pouvais entendre la voix dans sa tête : « Rien ne va se passer au Burundi ! Depuis que l’épidémie a commencé, même pas un cas ici. Et puis ce n’est qu’une grippe ! Ici il fait chaud, c’est une maladie qui n’attrape que les vieux, il faut prendre du citron, du miel, prions le bon dieu, et ça ira ! »

2. Les réalistes… indécis 

La deuxième personne à qui je devais remettre un livre a gardé la distance quand elle m’a vue, mais elle était souriante et cordiale comme toujours. On s’est salués avec les coudes, selon la nouvelle salutation inventée pour ne pas se toucher les mains. On s’est assis, on a discuté (du coronavirus in primis), on a partagé même un verre. « Ce n’est pas une blague, ce coronavirus ! Mais nous ne pouvons pas arrêter nos vies. Surtout qu’ici si tu veux gagner ton pain, il faut sortir de la maison… Mais les masques, la distance sociale, ah ma chère, ce n’est pas facile pour nous les Burundais ! Mais il est vrai que si le virus frappe ici, ça va être une catastrophe. Aujourd’hui au bureau tout le monde me regardait bizarrement parce que je ne serrais la main à personne. Mais moi-même, si mon directeur entre, je ne peux pas refuser de lui donner la main… C’est compliqué ! Bon, dis-moi, tu pars quand ? On se voit pour une dernière bière avant ton départ, non ? Oui, bien-sûr, à un mètre de distance… ».

3. Les gentils, mais pas trop

La troisième personne est descendue de sa chambre pour me rencontrer en bas des escaliers. « On ne se salue pas maintenant, seulement de loin ! », il m’a dit en gardant au moins deux mètres de distance de moi et en agitant les deux mains dans l’air. Après m’avoir montrée son bureau, il m’a indiqué de loin où m’asseoir. Le monsieur ne semblait pas avoir trop envie de passer du temps en ma compagnie. Pas de sourires détendus, pas de thé offert comme c’était toujours le cas auparavant, pas de questions sur mon travail, pas de causeries. Il semblait avoir envie de finir notre conversation pour rentrer au plus vite dans sa chambre. Je me suis dite que cela devait être dû à la crainte du virus. Je me sentais mal à l’aise de vouloir imposer une conversation. J’ai rendu mes livres, j’ai dit les au revoir de circonstance et je m’en suis allée. J’ai quitté la maison malgré tout désorientée, même un peu déçue par ce changement soudain de personnalité.

4. Les terrifiés

Le dernier m’a réservé un accueil pour le moins effrayant. Le monsieur avait passé une journée au Rwanda juste après la détection du premier cas de coronavirus dans le pays, et il était terrorisé. Il devait me remettre un livre pour le compte de quelqu’un qui ne se trouvait pas au Burundi. C’était la première fois que je le rencontrais. On ne s’est même pas présentés. Il m’a vue sur la route, il m’a appelée de son portail avec un « tsssst ! », pendant que je m’approchais, il a fui dans sa maison. En essayant de le suivre, je craignais de finir dans la maison de quelqu’un d’autre. Dans sa maison, il a couru récupérer le livre qu’il devait me remettre pour ensuite le déposer sur la table, à deux mètres de distance de moi, impatient de se débarrasser et du livre et de moi. Même pas un « ça va ? », même pas un « bon voyage ». Il était dans la panique totale. Pendant que je me dirigeais vers la sortie, impatiente moi aussi de terminer cette rencontre horrible, en approchant le portail avec ma main pour l’ouvrir, « Non, non ! Touche pas ! », il m’a crié. Il a ouvert la porte pour moi, il ne m’a même pas dit au revoir. Après notre rencontre, le monsieur m’a dit qu’il allait faire du sport. Je me suis demandée s’il connaissait un endroit où il pouvait faire du sport seul, à Bujumbura, avec sa terreur de passer du temps dans le même endroit avec d’autres gens.

De quoi vous rendre fou

Après avoir quitté la maison de ce dernier, j’étais complètement désorientée. Il avait effectivement raison ce monsieur, ce virus se transmet d’une manière tellement insidieuse. Simplement en parlant avec quelqu’un, on peut être contaminés. C’était moi qui ne le prenais pas suffisamment au sérieux ? J’ai commencé à paniquer. Tous ces gens qui continuent leurs vies comme si de rien n’était, ne savent-ils pas qu’un virus létal est en circulation depuis des mois ? Une chamaillerie commence entre moi et moi dans ma tête. 

Moi un : « Oh mon dieu, on est foutu. Si le virus arrive ici, il fera une hécatombe. » Moi deux :  « Mais non, attends, n’exagère pas. Tu connais le virus et ses symptômes. Il s’agit effectivement d’une grippe, tu sais quelles sont les mesures de précaution à prendre. Si tu fais attention, tu ne vas pas tomber malade ! On ne va pas arrêter la vie ainsi. Même cette bière-là que tu as promise à ton pote, vous pouvez bien la partager. Après tout, il n’y a pas encore d’épidémie ici, ni de morts par complications respiratoires… ». Moi un rétorque : « Hah, à ta connaissance ! En es-tu sûre ? Rappelle-toi de ce qui s’est passé en Italie à cause de tous ceux qui sous-estimaient le virus. » 

Je suis rentrée en pensant être devenue schizophrène. La vie semble continuer si normalement dans ce pays immaculé que je me demande si ce n’est pas moi qui exagère. Oui, je dois être affectée par ce que je lis sur les médias européens, je transporte ici une réalité qui n’existe pas au Burundi. Regarde les gens comme ils sont tranquilles et pris par leurs occupations et soucis de toujours. Mais ne serait-il pas naïf et même inconscient de penser que le virus ne va pas arriver ici ? Si nous continuons nos vies comme si de rien n’était, non seulement nous risquerons d’être contaminés et de tomber malades, mais nous risquerons aussi de devenir porteurs de germes qui vont contaminer d’autres gens et les mettre en danger. Et de cela, nous sommes responsables. 

Dans l’attente de trouver des réponses, j’ai décidé de me confiner à la maison, moi qui peux travailler à partir de chez moi. Il faut de la force mentale pour affronter ces jours, les informations vraies et fausses qu’on lit et les différentes réactions des gens. Ce coronavirus, il nous fout la lucidité en l’air ! Ce qui est en effet une raison additionnelle pour rester à la maison, pour que ma panique ne contamine pas les autres. Entre-temps, j’espère que des informations et indications cohérentes arriveront de la part de qui de devoir…

 

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