Pour certains militants de la protection de la nature, l’abattage est inévitable. Mais d’autres estiment qu’il existe de nombreuses autres solutions pour contenir les animaux sauvages en surnombre.
Un troupeau de trois douzaines d’éléphants marche tranquillement vers une mare située dans la savane africaine. Soudain, un hélicoptère surgit de nulle part. Les animaux, en panique, commencent à fuir. Les plus petits se font piétiner durant la débandade.
L’hélicoptère descend en piqué, et un tireur se met à lancer des fléchettes trempées de substances paralysantes en direction des animaux. Bientôt, des hommes armés arrivent à bord d’une jeep.
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Un homme, un fusil de gros calibre à l’épaule, s’approche calmement des animaux anesthésiés. Un coup de feu retentit, et la balle se loge dans la tête d’un gros éléphant.
En quelques minutes, toute la horde d’éléphants – des femelles âgées, des éléphants destinés à la reproduction, de jeunes mâles et des veaux – est décimée.
C’est par cet abattage de masse que des populations d’éléphants ont été tuées dans les années 1970 et 1980. Des milliers d’éléphants ont été tués à l’époque parce que leur population était jugée excédentaire.
Les organisations de protection de la faune sont en colère à cause de la décision des autorités du Botswana autorisant de nouveau le braconnage. Mais les responsables de ces organisations de protection de la nature sont divisés sur la question. Certains écologistes optent pour une protection permanente des animaux. D’autres admettent que les animaux sauvages soient tués dans certaines circonstances.
Les arguments pour et contre l’abattage ?
En ce qui concerne les espèces envahissantes, il existe un consensus presque universel parmi les défenseurs de la nature sur le recours à l’abattage sélectif, pour se débarrasser de certaines têtes.
Dans l’État américain de Floride, des chasses annuelles sont organisées pour se débarrasser d’une variante hybride de pythons birmans.
Les serpents, qui peuvent atteindre près de sept mètres de long et peser plus de 100 kilos, représentent une réelle menace pour les mammifères et les oiseaux.
La situation était si alarmante en Floride que les autorités ont même fait venir depuis l’Inde des chasseurs de serpents.
L’abattage de rats sur l’île de Lundy, dans le sud-ouest de l’Angleterre, a permis de tripler la population de certains oiseaux marins comme le puffin des Anglais, le macareux moine et le guillemot en 15 ans seulement.
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Une tigresse mangeuse d’hommes
Les animaux jugés dangereux pour l’homme sont éliminés de manière sélective en Afrique et en Asie.
L’année dernière, une tigresse mangeuse d’hommes a été abattue dans l’État du Maharashtra, dans l’ouest de l’Inde. Selon des responsables du ministère des Forêts, l’animal avait tué plus d’une douzaine de personnes, et la seule façon de mettre fin à sa gourmandise meurtrière, selon eux, était de le tuer.
Les organisations de protection de la faune s’y sont opposées et ont même saisi les tribunaux pour mettre fin au braconnage. Certains ont estimé que ces protecteurs de la faune appartenaient à une élite basée dans les villes, qui ignorait la dangerosité des prédateurs pour les villageois.
Mais des experts du tigre, qui se sont battus pendant des décennies pour une meilleure protection de félin en Inde, ont manifesté leur soutien sans réserve à la décision du ministère chargé de la faune…
Mais quelquefois, même des abattages ciblés, bien planifiés, peuvent mal tourner.
Le recours à l’abattage a permis de capturer de nombreux requins, dont les petits, dans l’ouest de l’Australie en 2014.
En avril de la même année, un tribunal australien a estimé que le fait de tuer des poissons prédateurs ne réduit pas les attaques de requins. Il a ainsi interdit l’abattage dans les récifs de la Grande Barrière.
Les éléphants mangent environ 270 kg de nourriture par jour et peuvent constituer de sérieux dangers pour les cultures et les arbres.
La principale raison invoquée par les autorités du Botswana, en faveur de la levée de l’interdiction du braconnage, est le « niveau élevé des conflits entre hommes et éléphants ».
Le pays dispose d’une vaste aire protégée pour ses quelque 130 000 éléphants, mais plus de 27 000 d’entre eux vivent en dehors de cette réserve, souvent en contact étroit avec les hommes. Ils font des raids sur les récoltes, causant d’énormes pertes aux agriculteurs.
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« Atténuer les conflits entre hommes et éléphants »
Les éléphants ont une longue vie. Ce ne sont pas des reproducteurs prolifiques comme les tigres, mais l’absence de prédateurs et le fait de vivre en grands groupes augmentent beaucoup leur taux de survie.
Selon l’Unité de recherche en écologie de la conservation de l’Université de Pretoria, l’éléphant femelle moyenne produit 12 petits au cours de sa vie d’environ 60 ans.
Pour de nombreux pays, se débarrasser des éléphants est une solution hâtive.
« Une chasse réglementée aidera les communautés à obtenir des ressources financières et, dans une certaine mesure, à atténuer les conflits entre hommes et éléphants », explique Erik Verreynne, vétérinaire et consultant basé à Gaborone, au Botswana.
Les permis de chasse sont délivrés aux communautés locales, qui les vendent à leur tour aux riches chasseurs occidentaux. Un éléphant adulte peut rapporter jusqu’à 55 000 dollars (environ 29,3 millions de francs CFA).
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« Le Botswana n’a jamais dépassé son quota de 340 éléphants par an lorsqu’il autorisait la chasse. De plus, environ 200 à 300 animaux perturbateurs sont tués chaque année lors des chasses populaires.
En sacrifiant environ 700 éléphants, nous serons en mesure d’obtenir un soutien solide pour la conservation », souligne Erik Verreynne.
La « chasse éthique »
Le même point de vue est partagé par les responsables de la faune sauvage en Ouganda, qui délivrent des permis de chasse.
« La chasse est nécessaire. Elle aide à gérer et à contrôler la population animale, en particulier les prédateurs », explique Bashir Hangi, responsable de la communication à l’agence chargée de la faune sauvage en Ouganda.
Dans ce pays, tout chasseur doit coopérer avec les services forestiers chargés d’identifier les vieux animaux qu’il peut être autorisé à abattre.
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« Les chasseurs ne peuvent pas tuer n’importe quoi », précise Hangi. Il dit que 80 % des revenus de la chasse vont aux populations ougandaises.
Mais une étude réalisée en 2013 par « Economists at Large », un réseau d’experts mondiaux, montre que les communautés locales ne perçoivent que moins de 3 % du revenu total généré par la chasse, dans la plupart des pays africains.
Solution archaïque
Mais pour beaucoup, tuer les espèces ne relève pas de la gestion de la faune. Paula Kahumbu, experte en éléphants basée à Nairobi, méprise ce que l’on appelle parfois la « chasse éthique ».
« Je ne peux pas imaginer le bruit causé par les coups de feu de ceux qui veulent mettre fin à la vie de ces magnifiques animaux. Nous devons nous attaquer aux problèmes causés par les conflits entre les hommes et les éléphants. Les tuer n’est pas une solution. C’est archaïque comme moyen de protection de la faune. Ça manque d’imagination aussi », dit-elle.
Barrières électriques
Le Dr Kahumbu suggère que le Botswana ouvre ses frontières, afin que les éléphants excédentaires puissent se disperser dans les pays voisins comme l’Angola. Elle souhaite que le Botswana commence à ériger des barrières électriques pour empêcher les éléphants de piller les cultures.
« En Afrique du Sud, on a essayé l’abattage. Des milliers d’animaux ont été abattus, et ça n’a pas marché. Si vous abattez des éléphants, cela cause beaucoup de stress et aggrave les rapports conflictuels entre l’homme et la faune. L’abattage les fait aussi se reproduire le plus vite », souligne Paula Kahumbu.
En Asie aussi, de nombreuses régions connaissent une recrudescence des conflits entre hommes et éléphants. Mais la chasse aux éléphants en surnombre n’est pas encore considérée comme une option. Les animaux à problèmes sont généralement ramenés en forêt.
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« Tuer n’est pas une solution »
« Le surpeuplement des éléphants est dû à la perte de corridors et d’habitats. Tuer n’est pas une solution », soutient le Dr Sanjeeta Pokharel, qui étudie le comportement des éléphants d’Asie.
« Les éléphants vivent dans des groupes sociaux complexes. On ne sait jamais quel membre est abattu ou traqué et cela peut avoir des effets à long terme », avertit-elle.
Une étude réalisée par l’Université du Sussex en 2013 montre que les troupeaux d’éléphants qui ont perdu des adultes à cause de l’abattage au cours des années 1970 et 1980 étaient moins capables de répondre de manière appropriée aux appels des autres éléphants.
La chasse est souvent perçue comme un sport sanguinaire, et les images de chasseurs gais posant avec un magnifique lion ou un éléphant peuvent provoquer un retour de bâton et nuire à l’image du pays.
La chasse est aussi souvent considérée comme une relique du colonialisme. Elle rappelle les riches tireurs blancs exploitant les ressources naturelles africaines.
Mais au Botswana – où il y a un éléphant pour 18 personnes -, la chasse est une question très actuelle.
« Bien-être animal et bien-être humain«
« Nous assistons déjà à des représailles violentes de la part des communautés. Les lions sont empoisonnés à mort. Beaucoup d’animaux sont pris dans des pièges et meurent d’une mort atroce. Le braconnage est également en hausse », explique M. Verreynne.
« Le Botswana examine toutes les options. Mais nous devons trouver un juste équilibre entre le bien-être animal et le bien-être humain. Tuer par balle est plus humain pour moi… » ajoute-t-il.