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Le blues du cinéma sénégalais

Souleymane Faye, BBC Afrique

La cinéaste franco-sénégalaise Mati Diop, lauréate du Grand Prix du 72ème Festival de Cannes, le 25 mai 2019, pose avec l'acteur et réalisateur américain Sylvester Stallone. Copyright de l’image Getty Images
Image caption La cinéaste franco-sénégalaise Mati Diop, lors de la réception du Grand Prix du 72ème Festival de Cannes, le 25 mai 2019, aux côtés de l’acteur et réalisateur américain Sylvester Stallone.

Le 7ème art sénégalais a gagné en popularité durant ces six dernières années, avec de prestigieuses distinctions remportées dans de grands festivals. Mais ces prix remportés sont l’arbre qui cache la forêt.

Avec le long métrage « Tey » (Aujourd’hui, pour le wolof), le réalisateur franco-sénégalais Alain Gomis a remporté en 2013 l’Étalon de Yennenga, le Grand Prix du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), l’un des plus grands festivals de cinéma du continent.

Quatre ans plus tard, en mars 2017, Alain Gomis repart encore de la capitale du Burkina Faso avec le Grand Prix du FESPACO, qui récompense son long métrage « Félicité ».

Quelques jours auparavant, ce film avait déjà remporté le Grand Prix du Festival international du film de Berlin.

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Le film « Atlantique », de la Franco-Sénégalaise Mati Diop, a remporté le Grand Prix du Festival de Cannes, en France, le 25 mai dernier.

La lauréate signe ainsi l’une des plus belles réussites du 7ème art sénégalais. Avant « Atlantique » – un long métrage tourné à Dakar -, aucun film sénégalais n’avait été sélectionné pour la compétition officielle du Festival de Cannes après « Hyènes », de Djibril Diop Mambéty (1945-1998), en 1992.

Derrière ces splendeurs se cachent les misères du cinéma au Sénégal, pays où cet art était très populaire, de l’indépendance en 1960 jusqu’au début des années 80.

A cette époque, le Sénégal a donné à l’Afrique des cinéastes de renom, dont Djibril Diop Mambéty, Mahama Johnson Traoré (1942-2010) et Ousmane Sembène (1923-2007), une légende du 7ème art africain.

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Image caption Le réalisateur franco-sénégalais Alain Gomis soulève l’Étalon de Yennenga, le Grand Prix du Fespaco qu’il a remporté en 2013 et 2017.

Au Sénégal, les cinéastes ne sont pas à la fête malgré les prestigieux prix remportés. Et les acteurs se désolent de la situation du secteur, qui souffre de plusieurs maux : financements insuffisants, inexistence de salles de cinéma dans la quasi-totalité des grandes villes, etc.

« Il ne faut pas qu’on nous fasse croire que le cinéma sénégalais se porte bien. Tous ces films, ceux d’Alain Gomis et de Mati Diop ont été financés au moins à 95 % par des fonds étrangers (…) On fait du boucan pour s’attribuer le mérite des autres et dire que le cinéma sénégalais se porte bien… » peste le cinéaste sénégalais Mansour Sora Wade, 67 ans, lauréat en 2002 du Tanit d’or, le Grand Prix du Festival du film de Carthage (Tunisie) pour « Le prix du pardon ».

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Modou Mamoune Faye, journaliste au quotidien sénégalais « Le Soleil » et critique de cinéma, semble partager cet avis : « On peut même s’interroger sur la nationalité du film ‘Atlantique’, même si la réalisatrice est une Franco-Sénégalaise. Ce film a été financé à environ 80 % par des fonds étrangers. Le Sénégal n’a contribué qu’à hauteur de 20 % peut-être. Est-ce qu’il a même atteint ce pourcentage ? On est très fiers d’avoir une femme sénégalaise pour nous représenter au Festival de Cannes, mais un film porte la nationalité des fonds avec lesquels il est financé ».

« De petites sommes »

Le premier sacre de Gomis au Fespaco a été un déclic pour le 7ème art au Sénégal. C’est en recevant la délégation de son pays rentrée de Ouagadougou avec le Grand Prix que le président sénégalais, Macky Sall, a annoncé sa décision d’approvisionner le Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle (Fopica). Soit 11 ans après la création du Fopica via une loi promulguée en 2002 par Abdoulaye Wade, son prédécesseur.

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Image caption Mansour Sora Wade (à gauche) et l’actrice sénégalaise Nar Sène (à droite), le 23 septembre 2001, lors du 49ème Festival international du film de Saint-Sébastien (Espagne).

Le financement annuel du fonds est passé d’un milliard de francs CFA en 2014 à deux milliards par an les années suivantes. Mais le Fopica peine encore à sortir le 7ème art de sa longue disette financière. De nombreux acteurs du cinéma déplorent la modicité du fonds.

« On ne développera pas le cinéma en octroyant 20 millions, 50 millions ou 60 millions aux films. (…) Ce n’est pas avec de petites sommes comme celles-là qu’on va y arriver », jure Mansour Sora Wade. « Avec deux milliards de francs CFA, on peut avoir trois bons longs métrages », reconnaît-il toutefois.

Selon Modou Mamoune Faye, le cinéma a été victime de la politique d’ajustement structurel en vigueur au Sénégal dans les années 80 et 90, durant lesquelles « l’État a décidé de se désengager de certains secteurs comme la culture ».

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« La culture était complètement laissée en rade. La plupart de nos cinéastes réalisaient des films avec des fonds étrangers, des fonds de la coopération française notamment. À la suite du désengagement de l’État, la production cinématographique a beaucoup baissé. Le cinéma sénégalais parvenait à peine à faire deux longs métrages par an, au moment où des pays comme le Nigeria en faisaient des dizaines dans l’année. De cette période aux années 2000, le cinéma a été plombé », se souvient Faye.

Le budget nécessaire pour certains films dépasse le montant annuel octroyé au Fopica, fait-il remarquer, suggérant que le secteur privé s’implique dans ce secteur.

Au Sénégal, le 7ème art peut-il retrouver son faste des années 60 à 80 ?

Oui, répond Mansour Sora Wae. Pour y arriver, dit-il, « il faut qu’il y ait une véritable relance du cinéma avec le peu de moyens que nous avons ». « Il nous faut une véritable politique cinématographique. Il faut qu’on y mette vraiment les moyens nécessaires. La relance, on en parle depuis longtemps, mais il n’existe pas une véritable relance du cinéma au Sénégal », soutient Wade.

Il se souvient de l’époque où « les films sénégalais étaient financièrement soutenus par des fonds locaux ».

L’absence de salles de cinéma est l’un des obstacles au développement du 7ème art sénégalais. Les salles sont pourtant au cinéma ce que les stades sont au football et les arènes à la lutte : un important pourvoyeur de recettes.

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Copyright de l’image Modou Mamoune Faye

Image caption Selon Modou Mamoune Faye, l’engouement suscité à Dakar par la projection de « Black Panthers » est la preuve que les Sénégalais ont encore envie d’aller au cinéma.

Dans certains pays, comme la France, les recettes provenant des salles de cinéma sont tellement importantes que les réalisateurs bénéficient d’un financement qu’ils doivent rembourser avec l’argent tiré de l’exploitation des salles, explique Faye. « On finance des films qui ne sont pas encore sortis, en attendant de les rentabiliser avec les salles de cinéma », précise-t-il.

« Un cinéma sans salles »

« Il faut construire des salles de cinéma », recommande Mansour Sora Wade, qui regrette de voir, dans son pays « de tradition cinématographique, des jeunes de 20 ans ou 30 ans qui n’ont jamais mis les pieds dans une salle de cinéma ».

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« Un cinéma sans salles, c’est un cinéma qui n’existe presque pas », lance Faye, rappelant qu’il y avait une centaine de salles de cinéma au Sénégal entre les années 60 et 80. « Les films étaient vraiment courus. Les gens allaient au cinéma. En dehors de Dakar aussi, il y avait beaucoup de salles. »

Aujourd’hui, il y aurait moins de cinq salles de cinéma à Dakar, selon un décompte de Modou Mamoune Faye et d’Aboubacar Demba Cissokho, également journaliste culturel et critique de cinéma. « Sortir un film, y mettre des centaines de millions pour le voir seulement dans le circuit des festivals, ce n’est pas économiquement viable », soutient Faye.

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Image caption De gauche à droite, les acteurs sénégalais Mariama Gassama et Amadou Mbow, la réalisatrice Mati Diop, d’autres actrices sénégalaises aussi, Mame Bineta Sané, Nicole Sougou et Aminata Kane, lors de la présentation du film « Atlantique » à Cannes, le 17 mai 2019.

Manque d' »autonomie de gestion financière »

« Il faut qu’il y ait des salles pour que les Sénégalais aillent au cinéma, pour que le public renoue avec les salles, pour que le cinéma puisse s’autofinancer. Quand il n’y a pas de salles, quand un film n’est pas vu par le public auquel il est destiné, on ne peut pas parler d’industrie cinématographique », soutient Modou Mamoune Faye.

Le ministère de la Culture a peut-être pris conscience du problème. Il a promis d’ouvrir une salle de cinéma de 100 à 200 places dans chacune des 14 capitales régionales du pays.

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L’engouement suscité au Sénégal par certains films, dont le très populaire « Black Panthers », projeté à Dakar, est la preuve que les Sénégalais ont encore envie d’aller au cinéma, assure Faye. « Il faut que ce potentiel soit exploité pour que le cinéma sénégalais puisse émerger », ajoute-t-il, déplorant que les structures publiques dédiées au cinéma n’aient pas assez de moyens pour accomplir leur mission.

Faute d' »autonomie de gestion financière », la Direction de la cinématographie n’est pas capable de gérer le fonds annuel d’un milliard de francs CFA que l’État lui a octroyé, révèle-t-il. En 2018, l’État a retiré cette ligne budgétaire réservée au cinéma, mais non utilisée, pour financer… la participation du Sénégal à la Coupe du monde de football en 2018.

« Depuis trois ans, aucun film n’a été financé par le Fopica. Des projets s’accumulent au niveau de la direction du cinéma. Les cinéastes râlent. On tourne en rond. Ça ne marche pas ! » s’alarme Modou Mamoune Faye.

Écoutez la réaction de la cinéaste Fatou Kandé Senghor au sacre de Mati Diop au Festival de Cannes :

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 » On a hate que Maty Diop revienne au Sénégal avec son prix »

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