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Abou Bakar Sidibé : l’ancien migrant devenu réalisateur

Abou Bakar Sidibé photographié dans le quartier de Wedding à Berlin Copyright de l’image BBC/SUY Kahofi
Image caption Abou Bakar Sidibé, co-réalisateur du documentaire « Les Sauteurs »

De son Mali natal à l’Allemagne, Abou Bakar Sidibé aura passé trois ans sur « son chemin » vers l’Europe.

Entre son départ de Lafiabougou à Bamako en 2011 et son arrivée sur le sol de l’Allemagne le 4 avril 2015, Abou Bakar Sidibé aura vécu une aventure typique de celle d’un migrant décidé à faire sa vie de l’autre côté de la méditerranée.

Né en Côte d’Ivoire dans une famille polygame, il a grandi avec ses grands-parents à Bamako où il a décroché au terme de ses études universitaires une maitrise en anglais.

Dans un Mali en proie à une crise politique, Abou Bakar sentait le besoin de refaire sa vie ailleurs surtout après de longs mois de maladie.

Après plusieurs heures de réflexion le seul mot qui lui revenait en boucle était « partir ».

Partir sans jamais s’imaginer qu’il allait devenir le co-réalisateur du documentaire le plus primé de Scandinavie en 2016.

Influencé par les migrants qui revenaient au pays, auréolés de gloire et d’argent avec leur mode de vie tape-à-l’œil, le jeune homme va décider de quitter Bamako pour l’Europe. Objectif : l’Angleterre ou, à défaut, un pays scandinave.

« J’ai quitté le domicile familial avec la somme de 5.000 f CFA en poche, juste de quoi payer le transport pour Ségou (centre du Mali). Une fois dans la ville il ne me restait que 1.500 f, or mon souhait c’était de rallier Niamey puis le nord du Niger pour tenter la traversée par la Libye » nous explique Abou Bakar.

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Une aventure à 5000 f CFA

Déjà parti et à court d’argent, il brade un complet en bazin à 7.500 f CFA pour rallier Bobo Dioulasso au Burkina Faso.

Au pays des hommes intègres, il vivra de la générosité des apprentis chauffeurs et des voyageurs sur les gares routières pour sa pitance alimentaire quotidienne.

Quand il pouvait, il vendait à 500 ou 300 f CFA les quelques vêtements qui lui restait pour espérer poursuivre son voyage.

« Au bout de quelques jours je n’avais plus rien à vendre : c’était de nouveau la galère. J’ai donc demandé 25.000 f à mon cousin en Guinée Equatoriale pour financer mon voyage sur Niamey via Ouagadougou ».

« Mais une fois à Niamey, les échos qui me sont parvenus de la Libye ne m’ont pas rassuré », nous explique le jeune homme.

Des histoires d’Africains qui se faisaient enlever, torturer voire tuer lors de la traversée l’ont découragé.

Fallait-il poursuivre ou renoncer sachant qu’aucun membre de sa famille à Bamako ne sait où il se trouvait en cette fin d’année 2011 ?

Il prend la décision de revenir au Mali avec l’aide financière de sa sœur mais ne renonce pas pour autant à poursuivre son voyage vers l’Europe.

De Niamey, il rallie Gao dans le nord du Mali et y passera quelques mois en compagnie d’un migrant guinéen.

« Barry Sangaré, c’était un peulh. Il est devenu mon compagnons de ‘rêve européen’ vers le nord de l’Afrique avec désormais pour objectif l’Espagne ».

Copyright de l’image Getty Images

Image caption De 2015 à 2018, 87.026 migrants sont arrivés en Espagne selon l’OIM

Avec son compagnon d’infortune, ils dormiront à la belle étoile à la place de l’indépendance de Ségou pendant plusieurs semaines jusqu’à ce qu’il retrouve par hasard un ami d’enfance, élément de la gendarmerie nationale malienne.

« Cet ami nous a offert le gîte et le couvert pour plusieurs semaines mais je lui ai clairement indiqué que mon souhait était d’aller en Europe ».

« De mon départ de Bamako jusqu’à mon retour à Gao j’avais déjà fait un an sur les routes ! Il me fallait continuer vers le nord : l’Algérie et le Maroc », précise Abou Bakar.

En janvier 2012, il passe la frontière nord du Mali et se retrouve dans les foyers de migrants à Borj Badji Moktar en Algérie où, par le plus heureux des hasards, il retrouve son frère cadet lui aussi en route pour le Maroc.

C’est d’ailleurs ce dernier qui lui dira qu’il est possible d’être en Espagne sans quitter le sol africain, une référence aux enclaves de Ceuta et Melilla.

« Je me suis dit que c’était jouable mais il nous fallait de l’argent pour financer le voyage. Nous sommes allés à Tamanrasset, Ghardaïa et Alger où nous avons vécu de petits boulots ».

« Nous avons passé près d’un an dans ce pays du Maghreb pour rassembler de l’argent ».

« D’Alger nous avons longé la frontière nord et rallié le Maroc à pieds. Nous sommes arrivés à Oujda puis nous avons regagné Nador et la forêt de Gourougou ».

Abou Bakar Sidibé arrive aux porte de Melilla le 27 septembre 2013 avec son petit frère et un autre compagnon.

Deux ans après son départ de Bamako, le jeune malien n’a toujours pas vu son rêve européen se matérialiser.

Image caption Flux migratoire vers l’Espagne de 2015 à 2018 (Source OIM)

Gourougou et l’idylle avec la caméra

La forêt de Gourougou dans le nord du Maroc est devenue célèbre en raison des camps de migrants clandestins qui s’y trouvent.

A peine arrivés qu’Abou Bakar et ses compagnons tentent, à trois, de passer la barrière de Melilla. Un souvenir qu’il n’est pas près d’oublier de si tôt.

« A peine nous avons posé les mains sur les grilles que l’alarme a retenti. Automatiquement les véhicules de police nous ont encerclés. Nous avons été copieusement battus si bien que j’ai décidé de retourner direct en Algérie », indique Abou dans un fou rire.

C’est à Gourougou qu’Abou Bakar va vivre pendant plus de 15 mois. Dans cette forêt situé à 900 mètres d’altitude, chaque migrant vit dans un ghetto en fonction de sa nationalité.

Les ghettos sont dirigés par des « chairmans » secondés par leurs « ministres ». Ceux-ci organisent la vie dans le camp, règlent les litiges et surtout organisent les attaques sur la barrière de Melilla.

La Valla de Melilla ou barrière de Melilla est une clôture parallèles de 12 km de longueur pour une hauteur de 6 mètres couronnées de barbelés, de caméras de surveillance et de postes d’observation.

« La première fois ça m’a fait un choc de voir des hommes vivre dans une telle misère, tout sale, mangeant dans des bouts de jerricanes et ayant à peine de quoi se laver ».

« Mais j’ai compris qu’à Gourougou il y avait Dieu : la nature était Dieu et c’est elle qui prenait soin de ces Camerounais, Ivoiriens, Maliens, Sénégalais et Gambiens qui rêvaient de l’Europe ».

Pour manger à Gourougou, il faut souvent descendre en ville faire les poubelles et pour un bain il faut chercher de l’eau à une fontaine…quand l’eau accepte de couler pour les migrants.

En 15 mois, Abou a participé à de nombreuses « attaques » sur la clôture de Melilla entre les coups de la Guardia espagnole et de la police marocaine qui, elle, n’hésite pas à mettre le feu aux tentes et objets personnels des migrants dans la forêt de Gourougou.

Copyright de l’image BBC/SUY Kahofi

Image caption Abou Bakar Sidibé posant avec l’une des nombreuses distinctions du documentaire « Les Sauteurs »

C’est dans cette forêt aux multiples descentes de la police marocaine que va se jouer son destin, sa rencontre avec la caméra. Tout part d’un reportage de Antena 3 dans la forêt de Gourougou.

Grâce à ses connaissances en anglais, Abou Bakar va accepter d’être le fixer et traducteur de l’équipe de télé.

La diffusion du reportage en Espagne (télé, radio, journal) va le propulser grâce à la magie des réseaux sociaux.

« J’ai été contacté par plusieurs médias et équipes de reportages qui sont venus du monde entier. Etats Unis avec le New Time, Corée, Espagne…de nombreux médias ont commencé à s’intéresser à la vie des migrants ».

C’est dans la foulée de ce succès qu’il fait la connaissance du journaliste espagnole Joseph Blasco et des cinéastes Estephan Wagner et Moritz Siebert.

Ces deux derniers vont lui proposer de filmer sa vie dans le camp de migrants de Gourougou.

Un ‘hommage’ aux sauteurs

« Estephan et Moritz m’ont proposé de filmer ma vie au quotidien dans le Gourougou ».

« Au début j’étais intéressé par l’argent que je devais recevoir : 20 euros chaque semaine. Mais au fil du temps j’ai commencé à aimer la caméra et à aimer rendre compte de la vie du ghetto ».

Le 20 octobre 2014, Abou Bakar arrive à passer la clôture de Melilla et le 4 avril 2015 – après quelques mois en Espagne – il arrive en Allemagne.

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Abou Bakar Sidibé, co-réalisateur du documentaire « Les Sauteurs »

Les précieuses séquences filmées à Gougougou sont assemblées pour donner vie à un documentaire.

Estephan Wagner, Moritz Siebert et Abou Bakar Sidibé réalisent le documentaire le plus primé de Scandinavie au cours de l’année 2016.

Le parcours d’Abou jusqu’à la frontière hautement militarisée de l’Europe lorsqu’il tombe amoureux de la réalisation de films.

« Les choses sont allées vite en 2016 avec de nombreuses distinctions et invitations à des festivals ».

« Les Sauteurs » de l’anglais « Those who jump » décroche entre 2016 et 2017 près de 14 distinctions internationales pour 22 sélections lors de différents festivals.

Le documentaire sera diffusé dans une centaine d’autres rencontres internationales dédiées au cinéma.

Abou Bakar Sidibé, aujourd’hui installé en Allemagne ne perd pas le goût d’empoigner de nouveau une caméra.

Mais dans l’immédiat et grâce à un titre provisoire de séjour il espère finir sa formation d’éducateur et décrocher un titre permanent de séjour.

« J’ai un cahier dans lequel j’ai noté toute mon aventure depuis mon départ du Mali…qui sait…j’écrirais un jour un livre. Mais aujourd’hui comme beaucoup de migrants je cherche à m’insérer au plan socio-professionnel ».

D’ailleurs, grâce à sa petite expérience sur les routes de la migration, Abou Bakar Sidibé veut mettre sur pied le Parlement des migrants, une organisation qui en plus de revaloriser les migrants luttera pour leurs droits à l’intégration en Allemagne.

Copyright de l’image Getty Images

Image caption « Les Sauteurs » décroche entre 2016 et 2017 près de 14 distinctions

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