Le Bénin qui est considéré comme un exemple de démocratie en Afrique de l’ouest présente un visage politique plutôt inquiétant depuis plusieurs mois.
Petit pays d’Afrique de l’Ouest, le Bénin était à l’avant-garde d’une nouvelle vague de démocratie multipartite qui s’est répandue sur le continent depuis 1991.
Cependant, les dernières élections qui se sont déroulées dans le pays ont terni son image, estiment certains analystes de la politique africaine.
L’opposition n’a pas pu participer au scrutin législatif et les militaires ont ouvert le feu sur des manifestants lors de mouvements de protestation.
Que s’est-il passé ?
L’armée patrouille toujours dans les rues de Cotonou, la capitale du Bénin, quelques jours après le recours à la force contre des manifestants qui s’étaient rassemblés à proximité du domicile du chef de l’opposition et ancien président Thomas Boni Yayi.
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Aucun bilan officiel n’a été publié, mais l’opposition affirme que sept civils ont été tués.
Leur colère a été provoquée par l’exclusion de tous les partis d’opposition des élections législatives du 28 avril. Le taux de participation n’a jamais été aussi bas : 29 %, une première depuis l’indépendance du pays.
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L’accès à Internet a été restreint le jour du scrutin, ce que les groupes de défense des droits de l’homme et les organisations de la société civile ont fermement condamné.
Il s’agit d’une « violation de la liberté d’expression », comme l’a qualifiée Amnesty International, ajoutant que cela montrait « un niveau alarmant de répression ».
« Cette situation n’a pas commencé avec les élections », a déclaré à la BBC Adeline Van Houtte de l’Economist Intelligence Unit. « Au cours de l’année écoulée, nous avons été témoins de la restriction des libertés civiles et de la répression des manifestations. »
« La démocratie a été implantée dans l’esprit des citoyens et l’a été pendant longtemps, donc c’était un coup de grâce. Elle a ruiné l’image du Bénin au niveau national et international. »
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Qu’est-ce que cela signifie pour la démocratie au Bénin ?
Après un régime marxiste-léniniste et une série de coups d’État, le Bénin est devenu, avec la Zambie, l’un des premiers pays africains à organiser des élections multipartites en 1991.
Ces élections ont vu l’ancien président béninois Mathieu Kerekou devenir le premier dirigeant ouest-africain à admettre sa défaite lors d’une élection.
Depuis lors, le Bénin est considéré comme un modèle démocratique indique Rachida Yénoukunmè Houssou de la BBC à Cotonou. Plusieurs pays africains ont même reproduit son organe de réconciliation, la Conférence nationale souveraine de la Nation.
Les nouvelles lois électorales introduites cette année précisent qu’un parti politique doit payer environ 424.000 dollars US pour présenter une liste aux élections législatives.
« Ce qui se passe n’honore pas l’image démocratique du Bénin », a admis le président Patrice Talon à la télévision publique en avril dernier. « Cette situation jette le discrédit sur notre démocratie et sur moi. »
Pourtant, la semaine dernière, la présidence a rejeté les appels lancés par l’opposition pour invalider les résultats et reprendre tout le processus électoral. Cet appel répété ce week-end n’a pas eu de suite favorable.
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Le porte-parole de la Présidence Wilfried Léandre Houngbedji avait qualifié les actions de l’opposition d’entreprise visant à vendre « la peur et la psychose aux populations », insistant sur le fait que les élections se sont déroulées conformément à la loi, relaie RFI.
Selon les analystes, il s’agit d’un tournant inquiétant pour le Bénin. Gilles Yabi, du think tank Wathi, basé à Dakar, souligne que le Bénin se trouve dans une « impasse » qui ternit son image.
« Nous basculons dans la violence » indique l’analyste béninois. « Cela nuit à l’image du pays, où le dialogue politique a permis d’éviter la violence dans le passé ».
« Avec un si grand nombre de personnes qui ne se sont pas rendus aux urnes, l’Assemblée nationale manquera de légitimité. »
Il est également probable de voir le gouvernement diriger « sans contrepouvoir », a déclaré Mme Van Houtte de l’Economist Intelligence Unit, « fragilisant de nouveau la légitimité démocratique du Bénin ».
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« Le président Talon aura les coudées franches pour faire adopter les modifications constitutionnelles qu’il a voulu apporter au cours des deux dernières années. L’élaboration des politiques sera plus rapide, mais d’un autre côté, son image de président moderne, qui lui est si chère, en souffrira. »
Pourquoi en est-on arrivé là ?
Il y a cinq ans, les électeurs béninois pouvaient choisir parmi les candidats de 20 partis politiques pour les 83 sièges du Parlement, selon l’AFP.
Depuis, le nombre de partis politiques est passé à plus de 200, un nombre que le président Patrice Talon s’est efforcé de réduire dans le cadre d’un programme de réforme socio-politique.
Les députés fidèles au président ont initié deux lois à cette fin – un nouveau code électoral et une nouvelle charte pour les partis politiques.
En vertu de ces nouvelles conditions, tous les partis politiques ont dû déposer des documents administratifs afin d’être approuvés par le ministère de l’Intérieur.
Seuls deux partis remplissaient les critères – le Bloc républicain et l’Union progressiste – qui sont tous deux proches du président Talon.
Tous les autres ont été jugés irrecevables et donc exclus des élections législatives. Selon les chiffres de l’opposition, cela montre que le président Talon voulait simplement contrôler les partis et les institutions.
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La mission d’observation de l’Union africaine a conclu que « l’apathie du peuple béninois » était le résultat de l’interdiction de l’opposition.
L’ambassadrice américaine Patricia Mahoney a déclaré que les élections n’étaient « ni pleinement compétitives ni inclusives et ne reflétaient pas le Bénin que nous connaissons ».
Qui sont les rivaux politiques ?
L’ancien président Thomas Boni Yayi et le président Patrice Talon sont de vieux amis, a déclaré le journaliste correspondant de la BBC au Bénin.
Surnommé le « roi du coton » en raison de la richesse qu’il a accumulée dans ce secteur, l’ancien homme d’affaires, Talon a contribué au financement des campagnes présidentielles réussies de Boni Yayi en 2006 et 2011.
Mais les relations entre les deux hommes s’étaient détériorées au moment du second mandat du président Yayi.
D’abord, un scandale de corruption a vu M. Talon, accusé d’avoir détourné plus de 20,4 millions de dollars en 2011, puis un an plus tard, l’homme d’affaires a fui en France après des accusations de complot visant à empoisonner le président Yayi.
La France s’est opposée à un ordre de son extradition. Mais M. Talon a par la suite été gracié par le président en 2014, ouvrant la voie à son retour au Bénin.
Cependant, M. Talon avait des ambitions politiques et leur réconciliation apparente n’a pas duré.
Certains craignaient que M. Yayi ne défie les limites constitutionnelles de son mandat et ne se présente pour un troisième mandat.
Mais en fin de compte, il ne l’a pas fait, et l’élection présidentielle de 2016 a vu M. Talon battre Lionel Zinsou, le candidat du régime Boni Yayi.
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Aujourd’hui dans l’opposition, M. Yayi a été à l’avant-garde des demandes visant à rendre le processus électoral plus démocratique et ouvert.
Il a battu le pavé aux côtés d’un autre ancien président, Nicéphore Soglo.
Que nous réserve l’avenir ?
Les résultats des élections ayant été validés par la Cour constitutionnelle, les députés doivent prêter officiellement serment le 15 mai.
L’opposition soutient que les résultats devraient être annulés et les élections réorganisées. Mais jusqu’à présent, le gouvernement de M. Talon ne semble pas disposé à donner une suite favorable à cette requête.
« Selon la Cour constitutionnelle béninoise, les élections étaient conformes à la loi électorale », a déclaré Mme Van Houtte de l’Economist Intelligence Unit.
« De l’extérieur du pays, on ne peut pratiquement rien contre cette situation, si ce n’est de condamner l’usage de la force contre les manifestants et la coupure d’Internet ».
« Toute autre chose serait considérée comme une ingérence. »