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Comment les collectionneurs de vieilles pièces de monnaie gagnent-ils leur vie ?

Vous les avez sans doute vus dans la ville de Bujumbura, ces acheteurs des vieilles pièces de monnaie installés derrière de petites tables. Certains n’hésitent pas à les qualifier de féticheurs tandis que d’autres les confondent allégrement avec les cambistes. Nous avons approché Shabani Vyamungu, l’un de ces collectionneurs. Il nous parle de son métier. 

Difficile de savoir ce que vendent les trois hommes postés en face de la micro finance Mutec, non loin de la banque commerciale du Burundi (Bancobu). Ils passent patiemment leurs journées assis derrière de petites tables sur lesquelles sont entassées de vielles pièces de monnaie en nickel, en bronze, en argent, etc. Ils achètent de la monnaie ? Oui, et cela les fait vivre.

« Les gens ne savent pas ce que nous faisons ici, et beaucoup d’entre eux ne comprennent pas comment je suis ici depuis 30 ans. Je suis collectionneur, un métier qui me fait vivre. J’ai acheté une parcelle et j’ai construit ma propre maison à Buterere grâce à ce métier », affirme Shabani, père de 6 enfants dont  l’aîné termine bientôt l’école secondaire.

Il est midi et un soleil de plomb transforme la ville Bujumbura en sauna à ciel ouvert. Shabani essaie de se couvrir avec un parapluie en lambeau. Son chechia ample ne suffit pas pour dissiper la chaleur que dégage son corps. Des perles de sueur suintent sur sa peau. 

« Je le croyais féticheur »

A côté de Shabani, un autre collectionneur quinquagénaire très méfiant ne veut pas parler.  Plus tard, il interrompt notre conversation avec Shabani pour glisser, souriant: « La plupart des passants pensent que nous sommes des féticheurs ». Alors que nous parlons, une dame que je connais vient me saluer. Je lui présente Shabani sciemment pour lui demander si elle sait à quoi servent les pièces de monnaie collectionnées. Dubitativement, elle rétorque que ce sont des cambistes. Nous rions tous, mais peu après Shabani explique calmement en quoi consiste son métier. Non, les vieilles pièces de monnaie ne sont pas des fétiches et oui il y a des gens qui viennent acheter ces vieilleries parce que ce sont des objets recherchés pour leur valeur historique. Après quoi la jeune femme rit à gorge déployée, avant de dire : « Je le croyais féticheur !».

Selon Shabani, la valeur de la pièce varie en fonction de son âge : « Les plus chères sont celles des années 1700-1800. Celles que nous collectionnons souvent viennent des pays de la sous-région dont le Kenya, la RDC, l’Ouganda, la Tanzanie, le Burundi, etc.». Les pièces qui constituent son fonds de commerce ?  L’ancien franc Congo-Belge, celui du Royaume du Burundi, celui du Rwanda-Urundi, l’ancien Shilling de l’East-Africa colonial, le Heller (Allemagne), la Roupie, etc. D’autres pièces de monnaie sont essentiellement de Chine, du Vietnam, de la Corée, etc. Ce collectionneur affirme qu’avant 2015, il recevait même des pièces en provenance des pays européens, notamment de la France, de la Belgique et l’Allemagne, des pièces trouvées dans les fripes importées de ces pays. 

Monsieur Shabani révèle avoir déjà vendu une pièce de Roupie à 20 mille BIF dans les années 1990. Au cours actuel de la monnaie burundaise, c’est peut-être 20 ou 30 fois ce  prix.  

Et la Covid-19 gâcha tout…

Depuis 1991, il a connu pas mal d’embûches dans son métier. Il rappelle les crises des années 1990 et 2015, sans oublier l’embargo et maintenant le coronavirus. Indépendamment de ces entraves qui ont jalonnées son travail, il affirme qu’il ne peut plus exercer un autre métier. Pourtant, pendant plus de 2 heures qu’on a passées avec Shabani, aucun client n’est venu.

« Franchement les clients sont devenus très rares. Avant 2015, il y avait des blancs qui achetaient presque régulièrement ce que nous avions. Tout de même il  y a  certains Burundais qui les achetaient pour les vendre en Europe. Malheureusement, la Covid-19 a tout compliqué. Cela étant dit, je n’abandonnerai jamais mon métier. Tôt ou tard, les frontières rouvriront », martèle avec force l’homme de 49 ans.

Difficile de donner une valeur monétaire aux pièces de monnaie étalées sur la table de Shabani. Par ailleurs elles ne sont même pas en grande quantité. Et pour cause, il ne s’agit que d’un échantillon, sinon le stock de son fonds de commerce, il le garde à la maison. Shabani ne veut pas parler de son capital ou de ses revenus, histoire de rester discret. Ce qui est sûr, « je vis de cela », tient-il à préciser. 

Avant d’exercer le métier de collectionneur, Shabani Vyamungu vendait du tabac et des arachides. Un bon jour, quelqu’un est venu lui demander s’il pouvait trouver de vieilles pièces de monnaie. Il s’y est mis et petit à petit c’est devenu plus rentable, et bien entendu il a continué. C’est comme ça qu’il est tombé dans le métier. Dans sa collection, il n’y a pas que les pièces de monnaie. On y trouve aussi quelques bijoux anciens, dont des bracelets et des « imiringa ».

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