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Les « enfants de la rue », ces damnés de la République

En écrivant cette missive
Mon encre a séché
Ma plume s’est brisée
Mes pensées ont tardé
À se transmettre en vers

[Ce poème a été rédigé par Lily Kaze, Gretta Dushime et Anny Princia Habiyaremye]

 

Comment amplifier les détails d’une réalité
Que les aléas de la vie opposent
Diamétralement à la mienne
J’ai rassemblé quelques lanternes
Que l’humanité a daigné pourvoir
Pour éclairer ce long tunnel
Funeste et lugubre
Où les acquéreurs des parts de lions
Popularisent les oubliés
Pour vous en parler…
Du moins essayer

Je vois des épaules frêles
Qui s’écrasent sous le poids
Des problèmes d’adultes,
Au-dessus des limites de l’enfance
Je vois des lèvres desséchées
Qui trahissent l’inconstance des repas
Je vois des yeux aux regards fuyants
Qui ne se permettent plus de laisser
Transparaître les cris de détresse
De leurs âmes harassées
Des prunelles parsemées de résignation
Je vois des mains égratignées, écorchées
Des pieds éraflés
Et fort…fortifiés par
Les peines de leur quotidien
Les difficultés de leur gagne-pain
Les coups et les courses haletantes
Je vois des mines aux tendances lunatiques
Tantôt gaies tantôt piteuses
Ou entre les deux
Selon les lois instables de la rue

Aux allures impitoyables
De ces visages aussi enfantins que matures
S’est forgée au bas fond des rues sombres
Une destinée de luttes acharnées
Le spectre d’un tourment qui semble
S’appesantir encore et toujours
Sur ces maigres épaules
Des épaules dont les bras creusent
Cherchant la survie
Car la vie est un mot bien étrange
Aux oreilles de ceux qui mènent
Une existence invisible
Aux yeux d’une société qui se prétend responsable
Une existence de bouc émissaire
Dans une société qui a apostasié sa foi
Une rue qui offre voies périlleuses et mortelles
Une rue qui ôte fragilité et sécurité
Une rue qui dessine étiquettes et casiers judiciaires
Au dos d’une innocence volée dès la naissance.

Longtemps, ils ont erré
Quémandant ici et là
Partageant entre eux le sourire innocent
D’une enfance insouciante
Tout comme moi, ils se posent des questions
Tout comme moi, ils rêvent d’affection
Tout comme moi, ils ont droit à l’éducation
Tout comme moi, ils ont le crime en aversion
Mais ce que j’ignore
C’est qu’à chaque nuit qui tombe
Ils se créent des vies
Des vies que l’on pourrait leur offrir
Mais ce qu’ils reçoivent
C’est le dédain mortel de l’indifférence
L’identité morbide de la délinquance
La gifle cinglante des averses abondantes
Le dos tourné d’une société amère et repoussante.

Chaque artiste veut briller par ses œuvres
Mais cette fois-ci la quête de la gloire débouchera sans conteste sur une trêve
Pour avouer ma honte
Toutes ces fois où je les ai déshumanisés
Ne me doutant pas que derrière
La solitude des sentiers se trouvent des enfants qui soupirent après
Un abri sûr et la chaleur d’un foyer
Tout comme moi.
Jamais je n’ai discerné la tragédie de leur triste sort
La peur dans leurs regards
La violence des rues
Qu’ils subissent du jour au jour
Telle une sangsue qui suçote le restant de l’humanité
Jamais je n’ai admiré ces petits cœurs qui s’acharnent
A espérer voir l’aurore d’un lendemain meilleur poindre à l’horizon
Un lendemain qui pourtant s’entête à rester à jamais absent
Jamais je n’ai constaté leur envie de vivre
Jamais je n’ai su me reconnaître
Dans cette pitié pour ma main tendue
Jamais je ne leur ai accordé le droit à la beauté
Je n’ai pensé qu’ils se voulaient séduisants
Qu’eux aussi aspiraient au charme
Jamais il ne m’est passé par la tête qu’ils rêvaient de héros de films
De princes de dessins animés
De princesses de contes de fées
D’amour et de romance
De splendeurs et de grandeurs
D’arts et de carrières
Jamais je n’ai cru qu’ils avaient des ambitions en gestation
Et pour n’avoir jamais pensé à tout cela
Je plaide coupable
J’abjure mes erreurs et me rallie à leur cause
Que ma missive révèle le mystère de cécité
Qui nous a frappés malgré les foules d’enfants
Que les rues déversent et que les galeries souterraines engloutissent.

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