Site icon LE JOURNAL.AFRICA

Burundi: Du choix des sites funéraires de nos présidents : on vous explique tout

Pourquoi les rois étaient toujours enterrés à la frontière avec le Rwanda ? Pourquoi le Prince Louis Rwagasore repose à Bujumbura ? Dans quelles circonstances Micombero a été inhumé dans sa propriété, à Rutovu et non pas Bagaza, dont la tombe se trouve à Bujumbura tout comme Ndadaye et Ntaryamira ? Comment expliquer l’enterrement à Gitega de Nkurunziza ?  On vous éclaire.

Le choix du site funéraire des chefs d’État burundais n’a jamais rien eu d’anodin depuis la période monarchique. Les rois étaient enterrés au nord du pays, particulièrement dans la commune de Kabarore, sur la limite avec le Rwanda.

Selon les historiens Jean-Pierre Chrétien et Emile Mworoha, le choix de cet emplacement s’inscrivait dans la défense de l’unité politique du pays, de l’intégrité nationale. Les tombeaux royaux placés sur la limite avec le Rwanda devaient protéger le Burundi contre les occupants venus du voisin du nord. 

En effet, les deux royaumes, le Burundi et le Rwanda, étaient souvent en guerre et celui qui réussissait à s’imposer sur l’autre pouvait annexer des territoires conquis. « Le Burundi de l’au-delà protégeait le Burundi temporel », concluent-ils dans leur enquête. 

Dans leur article publié en 1970 dans les Cahiers d’études africaines numéro 30, voulant savoir pourquoi les tombeaux royaux n’étaient pas par exemple placés du côté de la région de Ngozi, les gardiens des tombeaux leur ont expliqué que plus au sud, il y avait la Kanyaru qui servait de frontière et que des princes plus importants y avaient été aussi fixés. 

« Nationalisation de Bujumbura »

Avant d’embrayer sur les raisons du choix des sites d’enterrement des cinq Burundais ayant exercé la plus haute fonction de la République, venons-en d’abord au cas qui me semble très illustratif : le choix du site funéraire du Prince Louis Rwagasore. 

Assassiné la nuit, son corps a été emmené dans la matinée en province de Gitega (où il était d’ailleurs né en 1932) en vue des funérailles l’après-midi. Si le héros de l’indépendance repose à Bujumbura, sur le mont Vugizo, cela s’est fait contre la volonté du pouvoir colonial qui voulait que sa tombe soit à Gitega, capitale de l’Urundi sous la période coloniale. 

En se référant à Jean-Paul Harroy, dernier résident du Rwanda-Urundi et auteur des mémoires mémorables sur le Burundi, Christine Deslaurier, historienne française et spécialiste du Burundi contemporain, fait savoir que le choix de Bujumbura n’a rien eu de banal à l’approche de l’indépendance. 

« Usumbura, la cité moderne des bords du lac Tanganyika, était en effet à l’époque le chef-lieu du Territoire du Ruanda-Urundi, non celui du seul Burundi. Aussi y enterrer Rwagasore a procédé d’une forme subtile de nationalisation de la ville à la veille de l’obtention des souverainetés séparées », écrit la spécialiste du Burundi.

Quant au sujet du choix des sites funéraires des présidents, il y a lieu de les classer en trois catégories en tenant compte du lieu d’enterrement et du traitement que le gouvernement a réservé à l’un ou l’autre après sa mort. 

Quel choix pour des funérailles nationales ? 

Les présidents Jean Baptiste Bagaza, Melchior Ndadaye et Cyprien Ntaryamira reposent tous en mairie de Bujumbura. Le premier dans l’une de ses propriétés dans le quartier résidentiel de Kiriri et les deux autres à la Place des martyrs. Ils ont tous en commun le fait que le gouvernement leur a offert des funérailles nationales. 

Aussi, Bujumbura aujourd’hui capitale économique, était la capitale politique quand chacun des trois a été enterré. Le président Bagaza en 2016, les présidents Ndadaye et Ntaryamira respectivement en 1993 et 1994. Il sied de souligner que leur offrir des obsèques nationales dans la capitale politique revêt un cachet hautement politique. 

Concernant le choix du site funéraire pour leur successeur de loin, le président Nkurunziza, la province de Gitega ne s’explique pas simplement du fait que le défunt était « mystiquement » très attaché à cette province. Mais c’est parce que Gitega est aujourd’hui officiellement la capitale politique. De ce fait, l’enterrement du « Guide suprême » à Gitega viserait logiquement à cimenter cette idée de capitale politique.

Toutefois, tant que les bureaux de la présidence de la République, le palais principal du chef de l’Etat et presque tous les ministères régaliens se trouvent à Bujumbura, celle-ci reste en vérité le symbole du pouvoir politique au Burundi. Et ceci serait pour longtemps dans la mesure où le président Ndayishimiye a solennellement fait sien le souhait du président Nkurunziza auquel il voue vénération, de parachever la construction du Palais Ntare Rushatsi de Bujumbura en construisant sur l’espace restant du terrain une résidence du chef de l’Etat. 

Micombero, dans la simplicité forcée 

Contrairement aux autres, le président Michel Micombero a été enterré dans la simplicité, loin de Bujumbura. Il est le seul auquel l’État n’a pas offert des funérailles nationales. Dès lors, le choix de sa propriété familiale (Rutovu), terre de ses ancêtres, est compréhensible. Sa tombe se trouve dans une région calme, loin de Bujumbura symbole du pouvoir politique qu’il a incarné pendant une décennie (1966-1976). 

Celui qui abolit la monarchie le 28 novembre 1966 s’en est allé, en exil à Mogadiscio, pendant que les rênes du pouvoir étaient encore dans les mains de son tombeur qui selon toute logique ne pouvait pas lui accorder des honneurs nationaux pour son enterrement. 

Ailleurs, de grands chefs d’État refusent les funérailles nationales et le mentionnent dans leurs testaments plusieurs années avant la mort. En France, le Général Charles De Gaulle, George Pompidou, François Mitterrand

Il serait curieux de savoir, si les présidents burundais pouvaient indiquer par testament comment ils voudraient que leur enterrement soit organisé, quelles seraient les réactions de leurs compatriotes si certains refusaient les obsèques nationales, c’est-à-dire les honneurs. 

Le Burundi est un pays où l’on tient aux funérailles somptueuses au nom de la dignité

Quitter la version mobile