Dans cet ouvrage de plus de 700 pages qui couvre exclusivement la période de 1987-2017, Sylvestre Ntibantunganya s’ingénie, par une plume puissante et une lucidité extraordinaire, de livrer des témoignages sobres de ce qu’il a vécu dans l’arène politique, des réflexions éclairées et des analyses basées sur les différents documents lus sur les événements que le Burundi a traversés. Un contributeur de Yaga nous partage sa lecture.
« Burundi : Démocratie piégée » est un livre écrit par Sylvestre Ntibantunganya, ancien Président et compagnon de première heure de celui qui fut le symbole de l’espoir et de l’optimisme de bon nombre de Burundais, S.E Melchior Ndadaye, mais qui fut capturé, roué de coups, traîné dans la boue, humilié et assassiné. Cet « acte imbécile » perpétré par un petit groupe de militaires hégémoniste et ségrégationniste précipitera toute la Nation dans les affres d’une guerre civile qui fera plusieurs centaines de milliers de victimes. L’assassinat tragique, honteux et scandaleux de Ndadaye et ses camarades mettra ainsi fin au « Burundi Nouveau » que cette génération, en avance sur leur époque, rêvait de construire.
L’auteur n’essaie aucunement d’influencer le lecteur. Il le met au parfum des pratiques cyniques, des coups bas, des crocs-en-jambe qui ont caractérisé la politique d’après l’indépendance ayant toujours débouché aux génocides, pogroms, massacres de masse et lynchages inter-ethniques. Il évoque des noms (avec des proportions bien gardées à l’établissement des responsabilités), rend hommage, salue le courage, la bravoure et le sacrifice suprême des « héros de l’ombre » de notre jeune démocratie et dénonce la lâcheté, l’égoïsme et le nihilisme des traîtres des causes nationales.
S’approprier son histoire sans en être prisonnier
Au milieu de ses témoignages glaçants et analyses froides, l’auteur invite le lecteur à revendiquer cette « histoire nauséabonde », de l’accepter et de se l’approprier sans pour autant s’en constituer prisonnier. En d’autres termes, il invite le lecteur de quitter son bunker , d’essayer d’aller vers l’autre, d’écouter son histoire et de pleurer avec lui. Bref, d’avoir du cœur et de refuser la politique de l’autruche qui nous as longtemps « ensorcelés et compromis ».
Vers la fin, tout comme le Commandant Martin Ndayahoze, l’auteur fait un procès aux « élites burundaises », qui ont confisqué (et continuent de confisquer) la parole de tout un peuple pour protéger leurs propres intérêts. « Dépasser leurs propres douleurs et modérer leurs ambitions » est-ce que l’auteur recommande aux leaders qui, selon l’auteur, doivent « laisser partir le peuple burundais » vers la quête de son bonheur tributaire d’une véritable réconciliation.
Pour cela, l’auteur défie la nouvelle génération « quelquefois désemparée, désorientée et voire déboussolée » mais qui n’a rien à se reprocher par rapport à l’ « histoire nauséabonde » par laquelle le Burundi est passé de 1960 à 2003/2008, de refuser la fatalité et de continuer à œuvrer pour la « démocratie apaisée, sûre et rassurante » qui ne « se confine pas au seul fait électoral » dont a besoin le Burundi.
En définitive, l’ouvrage offre une parfaite leçon de témérité intellectuelle, de maturité politique et de responsabilité sociale dont les futures/présentes générations devront/doivent s’inspirer dans leur démarche de redéfinition de l’identité nationale en tant que peuple partageant une mémoire collectivement assumée.