S’il est vrai qu’en administrant le Burundi, les Belges ont recouru à l’indirect rule censé respecter l’ordre et l’autorité royale, il se trouve que dans les faits, surtout à la suite de la loi de 1925, l’autorité du roi en pâtira.
Une mise au point de l’historien Emile Mworoha d’abord. À la suite d’une certaine ordonnance législative du 6 avril 1917, les pouvoirs du roi du Burundi d’exercer ses attributions politiques et judiciaires sous la direction du résident se trouvent reconnus.
Pour administrer le pays, les conseils du pays. Parmi lesquels celui du Mwami avec des pouvoirs prépondérants. Sauf que dans les faits, la réalité était toute autre. Mworoha pointe surtout du doigt l’intervention du résident dans les actions entreprises par le roi. Un peu comme une sorte de droit de veto disposé par le représentant du royaume de Belgique. De quoi montrer à juste titre que le Mwami et son conseil étaient subordonnés au résident. Faut-il encore souligner que ce conseil, censé être l’organe suprême, n’était qu’une assemblée consultative ?
Au gré de cet interventionnisme de la puissance « mandataire », Mworoha explique qu’en matière judiciaire, les pouvoirs du roi se retrouvent réduits. Et de l’illustrer par l’ordonnance législative du 5 octobres 1943 qui organisait les juridictions indigènes. Surtout, ce professeur actuellement en retraite éclaire que les restrictions des prérogatives royales étaient plus sensibles en matière répressive, la justice pénale étant exclusivement du domaine de l’autorité coloniale. Ainsi, les tribunaux indigènes n’avaient pas de juridictions pour les causes répressives. Même le tribunal du Mwami ne jugeait que les différends d’ordre civil et commercial.
Et dans la hiérarchie indigène, quelle position du roi ?
L’ouvrage Banyarwanda et Barundi éclaire à ce sujet. Toujours dans l’esprit de l’indirect rule, il faut dire que dans l’administration coutumière, le pouvoir colonial entendait renforcer la position du Mwami vis-à-vis de ses administrés. Et dans cette perspective, le vice-gouverneur général adressait à tous les fonctionnaires du territoire sous mandat le 25 septembre 1930 un programme résumant les idées conductrices de la politique générale à suivre au Rwanda et au Burundi. C’était entre autre le respect et le renforcement de l’autorité autochtone dans la mesure où elle s’exerce suivant les ordres civilisateurs. Encore que parmi ces idées conductrices, il était question aussi de préciser les modalités de remplacement des chefs incapables par des candidats désignés en accord avec le roi ainsi que le regroupement des chefferies de façon à supprimer la dispersion des fiefs. Ceci pour in fine rendre l’administration plus aisée et plus efficace.
Trop bien en théorie. Mais dans la pratique, explique Mworoha, ce n’était pas toute à fait la même chose. Il s’agissait en fait de s’attirer les faveurs du pouvoir royal en écartant les opposants afin de mener tranquillement l’œuvre de la colonisation. C’est ainsi par exemple qu’en 1920, après avoir contraint Kilima à la relégation près de Ntahangwa, ils exilent ses fils au Congo. Tout comme ils pousseront le rebelle Mbanzabugabo à se réconcilier avec la famille royale.
Un roi fort mais acquis à la cause coloniale
De toute évidence, l’administration avait besoin d’un roi fort mais acquis à la cause coloniale. Ce qui revient à dire que cette administration avait besoin d’un roi faible malgré lui. Paradoxale, non ? D’ailleurs, c’est René Lemarchand dans son Rwanda et Burundi qui nous l’apprend, pour freiner l’éventualité de l’hégémonie du roi et de sa famille, pas mieux que les puissants chefs Batare, en froid avec les Bezi à l’époque. L’administration coloniale reconnaîtra leurs domaines du Nord-est et un groupe de chefs Batare très influent fera partie de conseil de régence.
La mesure, elle ne sera pas bien accueillie par le camp d’en face, celui des Bezi qui voyaient en eux leurs rivaux. L’on comprend donc pourquoi des chefs comme Baranyanka, un mutare traitait amicalement avec l’autorité coloniale sans passer par le Mwami. Et comme lui, plusieurs chefs deviennent indépendants vis-à-vis du Mwami.
De quoi donc nous pousser à affirmer que la position des chefs se retrouve renforcée au détriment du pouvoir royal. Et ce ne sera pas sans effets comme on le verra.