Dans leurs entreprises de colonisation, du moins au Burundi (Ruanda-Urundi à l’époque), les puissances colonisatrices ont soit eu recours à l’indirect rule, soit au direct rule. Retour ici sur l’Indirect Rule, ce système d’administration qui sera appliqué par la Belgique dans ses premières années de la colonisation du Burundi.
Comme on peut le lire dans le Burundi sous administration belge, à son arrivée au Burundi en 1917, Pierre Rickmans trouve une organisation politique solide, l’existence de deux peuples, Banyarwanda et Barundi, riches de la conscience d’appartenir chacun à une nation. De quoi les distinguer, à ses yeux, des pays voisins.
C’est donc pour cette raison (avouée) que dès le début de l’occupation belge, en 1920, il sera appliqué une politique d’administration indirecte. Cette décision résulte d’un constat du ministre des colonies d’une organisation politique fortement échafaudée, coiffée par une autorité solidement assise.
Mais, faut-il le souligner, cette méthode d’administration consistant à laisser au souverain et aux institutions locales le pouvoir dans les affaires coutumières avait été expérimentée par les Allemands dès 1905. Elle n’était donc pas l’apanage des seuls Belges.
Encore qu’à la même époque, l’Angleterre appliquait ce système dans ses colonies. Cet Indirect Rule trouvait d’ailleurs un terrain favorable dans l’ensemble des royaumes inter-lacustres auxquelles appartient le Burundi. Elle était par exemple déjà rodée en Ouganda depuis le début du siècle.
La portée de ce système
En fait, la mise sur pied d’une administration indirecte reposait sur un double besoin. Besoin d’ordre pratique et d’efficacité. Comme on peut le lire dans « Le mwami et la colonisation du Burundi », un mémoire de licence en Histoire disponible à la bibliothèque centrale de l’Université du Burundi, les colonisateurs ne pouvaient en effet mieux communiquer et toucher aussi facilement les populations locales s’ils ne s’adressaient pas d’abord aux autorités locales, en l’occurrence le roi qui représentait le pouvoir légitime. Surtout qu’à ses débuts, l’étranger n’était qu’un conquérant, un envahisseur.
Selon Germaine Butoyi, l’auteure du mémoire en question, c’est un Rickmans qui le reconnaît lorsqu’il évoque que « ce n’est pas par amour de la tradition, de la couleur locale, du pittoresque que nous conservons les rois indigènes […]. Ils sont le décor familier qui nous permet d’agir dans les coulisses sans alarmer le peuple ». Et d’ajouter : « Grâce à leur présence, nous sommes en bonne voie d’arriver sans soubresaut et n’avoir que dans le pays que de chefs disposés ou résignés à marcher vers le progrès ».
P. Rickmans, nous dit Germain, ne se privera d’ailleurs pas de donner les raisons du maintien du roi au Rwanda et au Burundi : « Pour agir sur la masse, nous ne pouvons pas se passer d’eux. Malgré toute notre force, ils sont plus forts que nous, ils ont pour eux toute l’autorité de la tradition, tout le poids de la légitimité ».
« L’indirect rule », un trompe-l’œil ?
Il faut le dire tout de suite. Ce système d’administration indirecte n’impliquait pas nécessairement le respect des institutions locales. Ceci est d’autant plus vrai quand on sait que toute colonisation, quelle que soit la doctrine politique adoptée, opère des changements politiques et socio-culturelles. Il en résulte des rapports de domination et de soumission entre la société colonisée et la société colonisatrice.
C’est d’ailleurs ce que note l’historien Émile Mworoha qui explique que tout système de colonisation implique une dépendance à la fois politique, économique et culturelle. Selon cet universitaire, quelle que soit la liberté que le colonisateur a par la suite reconnue aux anciens dirigeants des sociétés dominées, quel que soit le respect qu’il a semblé accorder aux cultures locales, la situation coloniale a été rapidement ressentie comme une domination en premier lieu par les groupes traditionnellement investis de l’autorité. Leur pouvoir étant atteint d’une double façon : directement par la perte de leur souveraineté et par l’abandon de tous les moyens leur permettant de l’exercer ; indirectement et progressivement par les changements que la colonisation a introduit dans l’ancienne organisation sociale et le système traditionnel de valeurs.
Mais en fin de compte, semble conclure Joseph Gahama dans son Burundi sous administration belge, au-delà du bien fondé ou non de ce système d’administration, il importe de se rendre compte que la politique belge des années vingt est caractérisée par un manque de continuité : ajustement, modification et changement sont très fréquents dans les programmes politiques. Cette politique hésitante trouve un terme en 1925, quand une loi unit administrativement le Ruanda-Urundi au Congo-Belge. On y reviendra.