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L’internat au Burundi : on balance tout !

Pour les non-initiés, l’internat reste ce monde mystérieux où on part jeune et d’où on revient complètement métamorphosé. Pour le bien comme pour le mal. Mais ils ne sont pas prêts de se douter de ce que c’est réellement. 

L’internat. Cet endroit où nos parents nous ont envoyés pour diverses raisons. Je ne sais pas pour vous, mais moi, on m’y a envoyé car je n’avais plus envie d’étudier à Bujumbura, encore moins dans l’enseignement général. À la limite, je voulais une école technique (ETS), ignorant que j’étais, je pensais qu’il n’y avait que l’ETS Kamenge. 

Et un soir, mon paternel m’appelle pour me dire qu’il a eu une place pour moi « muri ETS ». Dans mon for intérieur, je me disais « enfin ! ». Mais c’était avant qu’il ajoute : « Demain, tu vas acheter le nécessaire et après-demain, tu vas monter… ». En demandant à un voisin s’il connaissait la province où on m’envoyait, il me la décrivit de la façon la plus insolite qui soit. Il me demanda de fermer les yeux et de lui décrire ce que je voyais. Après lui avoir répondu que je ne voyais rien, il me répondit : « Voilà…Tu es arrivé ! »

Ainsi, je me retrouverai à étudier dans une contrée que même ceux qui m’y ont envoyé ne connaissaient pas. J’y passerai 4 ans sans aucune visite. Inspirant, n’est-ce pas ? 

Un nouveau monde, de nouvelles habitudes

À mon arrivée à l’internat, j’ai appris plein de nouveaux trucs et terminologies comme i goya (toilettes), mwirefe (refectoire), i doro(dortoir), imvutu (beignets), etc. On buvait imidaho (urwarwa ), on mangeait umunyame (avocat pressé à la main), i kotoni( huile de palme cuisinée avec des ingrédients qu’on verse directement sur la nourriture). Comme avant la venue d’internet, on croyait que le mot « missionnaire » est un homme blanc qui prêchait l’évangile, j’ai appris d’autres choses peu recommandables (vu par un parent burundais) à l’internat. 

Dans ce milieu où la monotonie est le maître-mot, le cerveau devient créatif pour casser cette routine. Tenez, le matin on se réveillait à 5h pour être à l’étude matinale à 6h. 6h50 à 7h15 on allait « gusisa ». Pour les connaisseurs (ça vient de sucer) et pour vous non-initiés, c’est prendre la bouillie. Eh oui, on avait la bouillie, sha. Pendant ces 25 minutes, les débutants pouvaient prendre un gobelet de bouillie. Pour les légendes, c’était un seau de 20 litres pour quatre personnes. 

De 7h30 à 10h30, c’était les cours. De 10h30 à 10h45, les « regulars » allaient papoter en pause, les VIP allaient acheter imvutu (les beignets), les légendes qui avaient bu 20 litres de bouillie trois heures auparavant allaient se chercher l’urume qu’ils accompagnaient de quelques gobelets supplémentaires de bouillie refroidie. Urume (rosée en français) est une nourriture de la veille qui souvent était de la pâte de manioc ou des patates douces. Par l’air qui régnait dans les classes après la pause, on pouvait savoir si l’urume avait été consommé avec ou sans modération. 

Les cours continuaient jusqu’à 14h. Un riz et du haricot servi dès 10h nous attendait sagement au réfectoire. Des fois c’était bon, d’autres fois, il nous arrivait de nous demander si l’on n’avait pas rincé les haricots pour retirer toute l’huile avant de nous les servir. Heureusement, des copains venus de Rumonge avaient résolu ce souci en nous amenant ikotoni qui vient de amakoto. En réalité, c’était de l’huile de palme cuisiné avec des oignons, du piment, des poivrons, des ndagalas secs etc… on versait directement cette huile dans la bouffe et c’était un pur régal. On pouvait consommer cette huile pendant tout le trimestre. Le plus chanceux était celui qui se retrouvait sur une table de plus de 5 filles (les esprits tordus, Imana irababona). Il avait de la bouffe à en revendre. Voilà sa chance. 

Après le réfectoire, si la classe n’était pas programmée pour les travaux (triage des haricots, sanitaires, propreté du réfectoire ), tu pouvais te reposer en paix en attendant l’appel des abamotsi, littéralement aboyeurs (encadreurs) pour aller à l’étude du soir qui commençait de 17h à 19h puis de 20h30 à 21h45. 

Lorsque ma classe était programmée pour les travaux, je détestais tellement trier les haricots que je préférais travailler mwigoya (toilette ou sanitaires). C’est ce qu’on appelait guhoka , ça se lit comme « hoquet ». À quoi ça consistait ?

Avec nos toilettes ressemblant plus à des caniveaux, il s’agissait de prendre un seau d’eau, et de pousser les excréments avec l’eau. En quelques sortes, on chassait. Recevoir une éclaboussure de merde dans la figure ou tomber dedans n’était pas si rare que ça… 

Et des vices …

Après ça, on prenait une douche, et on allait… kugasuka. Vous vous dites maintenant, c’est quoi ça ? Eh oui, chaque parent devrait savoir que son enfant qu’il envoie à l’internat ne reviendra pas comme il y est allé. On y apprend aussi la masturbation et les différentes façons de la pratiquer. Comme utiliser de la vaseline, du savon, la main tout simplement ou même trouer son matelas et y induire toute sa vaseline. Des noms de la pratique comme aka moins cher, agasabuni, rutungaboro, akanyamerika, etc… pour leurrer les non-initiés. Cette routine était tellement ancrée en nous qu’une devise en était sortie : Turiga -Tukarya -Tukagasuka

Entre les bonnes valeurs comme le travail, l’entraide, la cohabitation dans la société, l’adaptation, le partage et des actes comme la consommation des opiacés, la masturbation à outrance, l’alcoolisme, le vol, l’internat est un couteau à double tranchant. Les parents devraient essayer de préparer leurs enfants avant de les y envoyer car eux-mêmes sont passés par là. Ils devraient aussi savoir que l’internat ne devrait pas servir de punition pour l’enfant car plus tu y vas pour de mauvaises raisons, plus tu as la chance de basculer du mauvais côté. Comme on dit en kirundi : «  Iyitavyaye inyana ivyara ishuri. »

 

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